Institut d’égyptologie François Daumas UMR 5140 « Archéologie des Sociétés Médi

Institut d’égyptologie François Daumas UMR 5140 « Archéologie des Sociétés Méditerranéennes » Cnrs – Université Paul Valéry (Montpellier III) Mais qui est donc Osiris ? Ou la politique sous le linceul de la religion Bernard Mathieu Citer cet article : B. Mathieu, « Mais qui est donc Osiris ? Ou la politique sous le linceul de la religion », ENiM 3, 2010, p. 77-107. ENiM – Une revue d’égyptologie sur internet est librement téléchargeable depuis le site internet de l’équipe « Égypte nilotique et méditerranéenne » de l’UMR 5140, « Archéologie des sociétés méditerranéennes » : http://recherche.univ-montp3.fr/egyptologie/enim/ Mais qui est donc Osiris ? Ou la politique sous le linceul de la religion (Enquêtes dans les Textes des Pyramides, 3) Bernard Mathieu Institut d’égyptologie François Daumas UMR 5140 (CNRS - Université Paul-Valéry - Montpellier III) N N’INSISTERA JAMAIS assez sur la nécessité de recourir, à propos de l’Égypte ancienne, à la catégorie du « politico-religieux » ou du « théologico-politique », l’imbrication des deux domaines, consubstantiels, constituant l’une des spécificités emblématiques et structurantes de la culture pharaonique. La recherche égyptologique est loin d’avoir mesuré et tiré toutes les conséquences de ce principe pourtant unanimement reconnu 1, comme voudraient le montrer les pages qui suivent, consacrées à la mise en évidence d’un événement majeur de l’histoire égyptienne. Les origines d’Osiris En l’état actuel des connaissances, les premières mentions d’Osiris remontent au plus tard au milieu de la Ve dynastie, plus précisément au règne de Nyouserrê, dans les formulaires funéraires d-nsw-Ìtp Wsjr ou jm“≈w ≈r Wsjr 2. En témoigne le célèbre linteau de Ptahchepsès conservé au British Museum, un officiant du temple memphite de Ptah, né sous le règne de Mykérinos, vers 2510, et mort sous celui de Nyouserrê, vers 2430 [fig. 1] 3. Une date plus haute pourrait être retenue si l’on situait la décoration du mastaba de Néferirténef, prophète de Rê attaché aux temples solaires de Sahourê et de Néferirkarê [fig. 2], avant le règne de Nyouserrê, mais son éditeur penche pour la deuxième moitié de la dynastie 4. 1 J. Assmann, par exemple, définit la pensée égyptienne comme « une façon de conceptualiser le monde, qui n’a pas fait de distinction entre théologie et science, cosmos et société, religion et État » (Maât, l’Égypte pharaonique et l’idée de justice sociale, Paris, 1989, p. 12). 2 Quelques références sont données par B.L. BEGELSBACHER-FISCHER, Untersuchungen zur Götterwelt des Alten Reiches im Spiegel der Privatgräber der IV. und V. Dynastie, OBO 37, Fribourg, 1981, p. 124-125. Voir aussi N. de G. DAVIES, A.H. GARDINER, The Tomb of Amenemhet n° 82, Oxford, 1973, p. 83. 3 BM EA 682 ; PM III2, p. 464 ; T.G.H. JAMES, Hieroglyphic Texts from the British Museum I, 2e éd., Londres, 1961, p. 17 et pl XVII ; P.F. DORMAN, « The Biographical Inscription of Ptahshepses from Saqqara: A Newly Identified Fragment », JEA 88, 2002, p. 95-110 et pl. XI ; N. KLOTH, Die (auto-)biographischen Inschriften des ägyptischen Alten Reiches : Untersuchungen zu Phraseologie und Entwicklung, SAK Beiheft 8, 2002, p. 15-16 (29) ; N.C. STRUDWICK, Texts from the Pyramid Age, Society of Biblical Literature, Leyde, 2005, p. 303-305 (226). Sur le personnage et ses titres : M. BAUD, Famille royale et pouvoir sous l’Ancien Empire égyptien, BiEtud 126/2, 1999, p. 452-454 [68] et 532 [170]. 4 B. VAN DE WALLE, La chapelle funéraire de Neferirtenef, Bruxelles, 1978, p. 24, n. 70, et p. 81. O Bernard Mathieu ENIM 3, 2010, p. 77-107 78 Fig. 1. Linteau de Ptahchepsès (BM 682), détail (d’après T.G.H. James, Hieroglyphic Texts from Egyptian Stelae I, pl. XVII). Fig. 2. Inscription de Néferirténef, détail (d’après B. van de Walle, La chapelle funéraire de Neferirtenef, 1978, pl. 1). C’est donc à l’extrême fin de la IVe dynastie ou durant la première moitié de la Ve dynastie qu’apparut, pour des raisons difficiles à saisir, mais selon des modalités que je vais tenter d’explorer à travers une nouvelle lecture des Textes des Pyramides (TP) 5, une entité divine qui allait connaître, durant près de trois millénaires, une fortune exceptionnelle, en Égypte et dans tout le bassin méditerranéen. La question chronologique mise à part, un premier constat, essentiel, s’impose : la conjonction de l’apparition soudaine d’Osiris et de l’extraordinaire diffusion de son culte dans l’ensemble du territoire égyptien suppose l’existence d’une décision (s≈r) émanant d’un pouvoir central et tout puissant. Il est indispensable de donner un nom au phénomène historique considérable, et paradoxalement peu analysé en regard de l’expansion amonienne ou de la révolution amarnienne, que représente cette volonté politique de promouvoir et de diffuser un nouveau dogme. On peut le nommer, faute de mieux, « innovation », « invention », ou « Réforme » 6 osirienne, en utilisant une majuscule pour signaler son ancrage historique. Les textes égyptiens, on le verra, désignent l’émergence de ce nouveau dieu du nom de wr.t, « événement vénérable » 7, ou encore de m“.t, « quelque chose de nouveau, nouveauté » 8. L’acception première de la « réforme » en tant que « retour à l’observance de la règle primitive » (TLF) pourrait convenir, mutatis mutandis, au phénomène osirien. La question se pose, de fait, de savoir si l’autorité royale voulait présenter le dogme osirien comme une refondation ou comme une pure innovation ; on la laissera de côté ici. 5 Je rappelle que les conventions utilisées sont celles de la Mission archéologique française de Saqqâra (MAFS) : voir notamment J. LECLANT, « À la pyramide de Pépi I, la paroi Nord du passage A-F (Antichambre - Chambre funéraire », RdE 27, 1975, p. 137, n. 3 ; A. LABROUSSE, L’Architecture des pyramides à textes, I. Saqqara Nord, BiEtud 114/1, Le Caire, 1996, p. 229-231 ; C. BERGER-EL NAGGAR, J. LECLANT, B. MATHIEU, I. PIERRE- CROISIAU, Les textes de la pyramide de Pépy Ier. Édition. Description et analyse, MIFAO 118/1, Le Caire, 2001, p. 6-9. 6 Sans référence, naturellement, à l’histoire religieuse occidentale. 7 § 258d [TP 247]. 8 § 304b [TP 257]. Mais qui est donc Osiris ? http://recherche.univ-montp3.fr/egyptologie/enim/ 79 Dans son étude classique The Origins of Osiris, J.G. Griffiths conclut que le théonyme Wsjr pourrait signifier étymologiquement « le Puissant » (Wsr) 9. Une dénomination à rapprocher de celles d’Amon, « le Caché » (Jmn), réduction probable de « Celui au nom caché » (Jmn- rn≠f), d’Atoum, « le Complet » (Tmw), d’Horus, « l’Éloigné, le Très-Haut » (Îrw), de Sekhmet, « la Puissante » (S≈m.t), etc. Il est curieux de constater, à ce titre, que l’une des attestations les plus anciennes d’Osiris figure dans le mastaba d’un certain Nétjer-ouser, dont le nom signifie justement « Le dieu (est) puissant » 10. Mais la démonstration linguistique de J.G. Griffiths est loin d’être acquise. Si l’hypothèse récente de W. Westendorf (w“s.t-jr.t, « celle qui porte l’œil ») est peu convaincante 11, la proposition de D. Lorton est beaucoup plus séduisante : elle consiste à voir en Wsjr un composé abstrait, formé à l’aide du morphème préformant s.t- : s.t-jr.t, « l’activité », « l’action », plus précisément celui qui cristallise sur sa personne l’ensemble du rituel (funéraire) 12. Cette analyse permet de rendre compte à la fois de la séquence hiéroglyphique, dans laquelle le siège surmonte et donc précède l’œil ( ã u s.t-jr.t), et de l’essence théologique de la figure osirienne. Osiris une fois apparu dans le panthéon égyptien, tout défunt doit bénéficier du même traitement rituel, la signification de « rituel » étant une acception possible de jr.t, comme dans le fameux syntagme nb jr.t ≈.t, « seigneur de l’accomplissement des rites », définissant a minima la fonction royale. C’est cette connotation ritualiste qu’expriment à l’envi tous les corpus funéraires, à commencer par les TP, en jouant manifestement sur le radical jr : uC °u µ C∆µ ° ã u jr n≠f jr.t n jt≠f Wsjr, a été accompli pour lui ce qui avait été accompli pour son père Osiris 13. Si l’on admet l’hypothèse de D. Lorton, cet énoncé pourrait bien dériver d’un jeu étymologique conscient. Quoi qu’il en soit, c’est bien un jeu graphique délibéré, fondé sur le signe du trône, qui associe étroitement le nom d’Osiris à celui d’Isis (s.t / ”s.t). C’est qu’Osiris est une autorité « siégeante » avant tout, dépositaire de la puissance monarchique dans le domaine funéraire et détenteur d’une fonction éminemment juridique. Sans relation, à l’origine, avec quelque forme animale que ce soit, et de ce point de vue fort différent des divinités « populaires » du terroir, divinités de la fertilité et de la fécondité, issues de la culture prédynastique et volontiers figurées sous l’aspect de taureaux, béliers, serpents, crocodiles ou autres 9 J.G. GRIFFITHS, The Origins of Osiris, MÄS 9, 1980, p. 60-61. 10 A. MARIETTE, Mastabas, D1 ; M. MURRAY, Saqqara Mastabas, Part I, ERA 10, Londres, 1905, pl. XX-XXV ; Kl. BAER, Rank and Title in the Old Kingdom, Chicago, 1960, [294]. 11 W. WESTENDORF, « Zur Etymologie des Namens Osiris : *w“s.t-jr.t “die das Auge trägt” », dans J. Osing, G. Dreyer (éd.), uploads/Philosophie/ osiris-enim-3 1 .pdf

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