Economie et connaissance[1] F.A. Hayek, Economica IV (new ser., 1937), 33-54. T
Economie et connaissance[1] F.A. Hayek, Economica IV (new ser., 1937), 33-54. Traduit par Christophe Piton Economics and Knowledge L'ambiguïté du titre de cet article n'est pas fortuite. Son sujet principal est, bien sûr, le rôle que jouent dans l'analyse économique les hypothèses et les propositions concernant la connaissance détenue par les différents membres de la société. Mais cela n'est nullement indépendant de l'autre question que l’on pourrait étudier sous le même titre, qui est de savoir dans quelle mesure l'analyse économique formelle véhicule quelque connaissance que ce soit sur ce qui se passe dans le monde réel. En effet, mon affirmation principale est que les tautologies en lesquelles consiste essentiellement l'analyse économique formelle de l'équilibre ne peuvent être transformées en propositions qui nous renseignent sur la causalité dans le monde réel que si nous sommes capables d'alimenter ces propositions de descriptions précises sur la façon dont la connaissance est acquise et communiquée. En bref, j'affirme que l'élément empirique dans la théorie économique - la seule partie pour laquelle n'importent pas seulement des relations logiques, mais également des causes et des effets, et qui conduit de ce fait à des conclusions qui, au moins en principe, peuvent faire l'objet de vérifications[2] - consiste en propositions sur l'acquisition de la connaissance. Peut-être devrais-je commencer par vous rappeler le fait intéressant que, dans un certain nombre des tentatives les plus récentes effectuées dans divers domaines pour pousser la recherche théorique au-delà des limites de l'analyse traditionnelle de l'équilibre, la solution s'est rapidement orientée vers des hypothèses que nous formulons sur un sujet qui, s'il n'est identique au mien, en fait au moins partie, je veux parler de la prévision. Je pense que le domaine dans lequel la discussion des hypothèses concernant la prévision a suscité pour la première fois un intérêt plus conséquent fut, comme on pouvait s'y attendre, la théorie du risque[3]. La stimulation exercée en cette matière par le travail de Frank H. Knight pourrait cependant avoir une profonde influence bien au-delà de son domaine propre. Peu de temps plus tard, les hypothèses produites au sujet de la prévision se révélèrent d'une importance fondamentale pour la résolution des énigmes de la théorie de la connaissance imparfaite, et des problèmes du duopole et de l'oligopole. Depuis lors, il est devenu de plus en plus évident que, dans le traitement des questions plus « dynamiques » des fluctuations monétaires et industrielles, les hypothèses avancées au sujet de la prévision et des « anticipations » jouent un rôle tout aussi central et, en particulier, que les concepts importés dans ces domaines provenant de l'analyse pure de l'équilibre, comme celles d'un taux d'intérêt d'équilibre, pourraient être définies dans les termes d'hypothèses sur la prévision. Nous semblons être dans une situation où nous devrions d'abord expliquer pourquoi les hommes peuvent jamais avoir raison avant d'être en mesure d'expliquer pourquoi ils commettent des erreurs. En général, il semble que nous sommes arrivés au point où nous nous rendons tous compte que le concept d'équilibre lui-même ne peut être clairement défini et éclairci qu'en termes d'hypothèses sur la prévision, bien que nous puissions être en désaccord sur ce que ces hypothèses essentielles sont exactement. Cette question m'occupera plus loin dans cet article. Pour le moment, je souhaite simplement montrer qu'en la circonstance présente, que nous voulions définir les limites de la statique économique ou que nous voulions aller au-delà, nous ne pouvons éviter la question controversée de savoir quelle place les hypothèses sur la prévision tiennent exactement dans notre raisonnement. Est-ce une simple coïncidence ? Comme je l'ai déjà suggéré, l'explication de cet état de fait semble être que nous avons ici affaire à un aspect particulier d'un problème beaucoup plus large, que nous aurions dû rencontrer bien plus tôt. Des questions essentiellement similaires à celles que nous mentionnons se posent en fait dès que nous essayons d'appliquer le système des tautologies - cette série de propositions qui sont nécessairement vraies parce qu'elles sont de simples transformations des hypothèses de départ, et qui constitue l'essentiel de l'analyse de l'équilibre - à la situation d'une société formée de plusieurs personnes indépendantes. J'ai longtemps pressenti que le concept d'équilibre lui- même, ainsi que les méthodes que nous employons en analyse pure, n'ont une signification claire que lorsqu'elles sont confinées à l'analyse de l'action d'une seule personne, et que nous passons vraiment dans une sphère distincte lorsque nous l'appliquons aux interactions d'un certain nombre d'individus différents, car nous introduisons là un élément nouveau, d'un caractère tout à fait autre. Je suis sûr que beaucoup considèrent avec impatience et méfiance toute la tendance, inhérente à toute l'analyse moderne de l'équilibre, à transformer l'économie en une branche de la logique pure, une gamme de propositions allant de soi qui, à l'instar des mathématiques ou de la géométrie, ne sont sujets à aucun autre critère de validité que leur cohérence interne. Mais il semble que ce processus comporte son propre remède, à condition qu'il soit poussé assez loin. En extrayant de notre raisonnement sur les faits de la vie économique ces éléments véritablement a priori, nous n'isolons pas seulement un élément de notre raisonnement en une sorte de « pure logique du choix » dans toute sa pureté : mais nous isolons également un autre élément qui a été trop largement négligé, tout en soulignant son importance. Ma critique à l'égard des tendances récentes à rendre la théorie économique de plus en plus formelle ne tient pas à ce qu'elles seraient allées trop loin : elles n'ont pas été développées suffisamment pour parachever l'isolement de cette branche de la logique et rendre sa juste place à l'étude du processus causal en utilisant la théorie économique formelle comme un outil, de la même manière que les mathématiques. Mais avant que je puisse étayer mon affirmation selon laquelle les propositions tautologiques de l'analyse pure de l'équilibre en tant que telles ne sont pas applicables à l'explication des relations sociales, je dois d'abord montrer que le concept d'équilibre a un sens s'il s'applique aux actions d'un seul individu, et quel est ce sens. On pourrait arguer, contre mon affirmation, que c'est précisément dans ce cas que le concept d'équilibre n'a pas de sens, parce que, si l'on voulait l'appliquer, tout ce qu'on pourrait dire est qu'une personne isolée est toujours à l'équilibre. Ce dernier constat, bien qu'il soit un truisme, ne montre rien d'autre que la façon erronée dont le concept d'équilibre est généralement utilisé. Ce qui est pertinent n'est pas de savoir si une personne en tant que telle est ou n'est pas en équilibre, mais lesquelles de ses actions sont en équilibre les unes par rapport aux autres. Toutes les propositions de l'analyse de l'équilibre, comme celle qui veut qu'à des valeurs relatives correspondent des coûts relatifs, ou qu'une personne mettra au même niveau les revenus marginaux de n'importe quel facteur dans ses différents emplois, sont des propositions sur des relations entre actions. Les actions d'une personne peuvent être dites en équilibre dans la mesure où elles peuvent être comprises comme les parties d'un plan. Dans ce cas seulement, et seulement si elles ont toutes été décidées à un seul et même moment, et en considération d'un même ensemble de circonstances, alors nos affirmations sur les interconnections entre les actions d'une personne, que nous déduisons de nos hypothèses sur son information et ses préférences, sont valides. Il est important de se rappeler que les prétendues « données », à partir desquelles nous élaborons ce type d'analyse sont toutes (les goûts mis à part) des faits attribués à la personne en question, les choses telles qu'il les connaît (ou croit les connaître) et non des faits objectifs à proprement parler. C'est simplement pour cette raison que les propositions que nous déduisons sont nécessairement valides a priori et que nous garantissons la cohérence de notre argumentation[4]. Les deux principales conséquences de ces considérations sont, en premier lieu, que, puisque des relations d'équilibre entre les actions successives d'une personne n'existent que dans la mesure où elles font partie de l'exécution d'un seul et même plan, tout changement dans la connaissance pertinente de cette personne, c'est-à-dire tout changement qui la conduit à modifier son plan, rompt la relation d'équilibre entre les actions entreprises avant et celles entreprises après le changement de sa connaissance. En d'autres termes, la relation d'équilibre n'unit ses actions que pendant la période où ses anticipations s'avèrent exactes. Et, en deuxième lieu, que, puisque l'équilibre est une relation entre des actions, et puisque les actions d'une personne doivent nécessairement se succéder dans le temps, il est évident que le passage du temps est essentiel pour donner un sens au concept d'équilibre. Cela mérite d'être noté, car beaucoup d'économistes semblent avoir été incapables de donner une place au temps dans l'analyse de l'équilibre et ont, par conséquent, suggéré que l'équilibre doit être conçu comme atemporel. Cette affirmation me paraît dépourvue de sens. En dépit de ce que j'ai dit plus haut sur la signification douteuse de l'analyse de l'équilibre en ce sens si elle est appliquée aux uploads/Philosophie/ friedrich-hayek-economie-et-connaissance.pdf
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- Publié le Jui 02, 2021
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