La création en Proverbes 8,12-31 et Isaïe 40,12-24 Le texte de Pr 8,22-31 sur l
La création en Proverbes 8,12-31 et Isaïe 40,12-24 Le texte de Pr 8,22-31 sur la Sagesse créatrice a donné lieu à une lit- térature très importante'. La fascination exercée par ce passage du Livre des Proverbes tient au fait que, d'une part, il traite de la créa- tion du monde et que, d'autre part, c'est le premier texte concernant véritablement la Sagesse personnifiée2, début d'une tradition qui a connu des développements majeurs. Toutefois, au niveau de l'imaginaire de la création du monde, le texte des Proverbes reprend des descriptions traditionnelles3, tout en apportant des réponses nouvelles à la question des rapports entre l'homme et son créateur. On peut déjà rapprocher Pr 8, 27b : « Quand il grava un cercle (hwg) à la surface de l'abîme », d'Is 40, 22a : « II trône au-dessus du cercle (hvog) de la terre. » Le seul autre emploi de hwg dans la Bible se rencontre enJb 22, 14. Dans un article qui vient d'être réédité, M. Gilbert4 a fait une re- marque importante concernant l'étude de-Pr 8 : « II nous a semblé en effet que, trop souvent, on s'est attaché à telle ou telle partie de ce chapitre, en particulier aux versets 22 à 31, alors qu'une vue d'en- semble pourrait permettre une meilleure évaluation du message. » Nous verrons que le rapprochement entre le passage sur la « Sagesse royale » de Pr 8,12-21 et celui de la « Sagesse créatrice » de 8, 22-31 est en effet un point important de l'histoire de la rédaction du cha- 1. On pourra consulter entre autres •.M.DAîîOOD,Proverbs8,22-31. Translation and commentary, dans Thé Catholic Biblical Quarterly 30 (1968) 512-521 ;J.N. ALETTI, Proverbes 8, 22-31. Étude de structure, dans Biblica 57 (1976) 25-37 ; R.E. CLEMENTS, « Wisdom », dans It is Written : Scriptwe Citing Scripture, édit. D.A. CARSON et H.G.M. WILLIAMSON, Cambridge University Press, 1988, p. 67-83. 2. Cf. P.E. BONNARD, La sagesse en personne annoncée et venue : Jésus Christ, coll. LD, 44, Paris, Cerf, 1966, p. 18ss; B. LANG, Frau Weisheit, Dùsseldorf, Patmos-Verlag, 1975 ; J.A. EMERTON, « Wisdom », dans Tradition and Interprétation, édit. G.W. ANDERSON, Oxford, Clarendon Press, 1979, p. 231ss ; M. GILBERT, La Sagesse personnifiée dans les textes de l'Ancien Testament, dans Cahiers Évangile 32 (1980) 5-43. 3. Cf. R.TOURNAY, Proverbes 1-9 : Première synthèse théologique de la Tradition des Sages, dans Concilium 20 (1966) 155 : « Quoi qu'il en soit, ce poème admirable rappelle quelque peu le second Isaïe (40, 9.12 ; 45, 19.21 ; cf. Dt 32, 18)... » 4. « Le discours de la Sagesse en Proverbes, 8. Structure et cohérence », dans La Sagesse de l'Ancien Testament. Nouvelle édition mise à jour, édit. M. GILBERT, coll. BEThL, 51, Leuven, University Press, 1990, p. 202-218, ici p. 202; cité LA CRÉATION EN PR 8 ET IS 40 187 pitre (cf. le verbe hqq, « graver, tracer, écrire, décréter » : Pr 8, 15.27.295 et 37, 5+ [+signifie que toutes les attestations ont été men- tionnées]). Or, ce point de l'histoire de la rédaction n'apparaîtra pas comme quelque chose de fortuit, mais comme intrinsèquement lié à la doctrine sur la Sagesse telle qu'elle est développée en Pr 8. W. McKane6 a bien noté que ce rapprochement entre 8, 12-21 et 8, 22-31 relevait de l'histoire des traditions, mais laissait le problème non résolu. Toutefois, dans son commentaire de Pr 8, W. McKane propose une autre ouverture, qui apparaîtra prometteuse et complé- mentaire de celle qui consiste à étudier Pr 8 dans son ensemble. Il re- marque que le passage concernant la Sagesse créatrice de Pr 8 est à rapprocher de traditions sapientielles antérieures, réinterprétées par la littérature prophétique : II y a deux passages dans le Deutero-Isaïe (40, 12-17.28-31, voir plus haut, sur 3, 19-20, p. 296 ss.), où sont mis en évidence le niveau et les capacités intellectuelles de Yahvé, en lien avec son grand dessein pour le monde créé — ceci est un aspect de la réinterprétation prophétique du vocabulaire de la sagesse ancienne. Toutefois W. McKane n'a pas cherché à développer sa proposi- tion. Dans cet article, nous allons tenter de concilier ces deux ouver- tures, celle de M. Gilbert et celle de W. McKane. Nous verrons que l'ensemble constitué par Pr 8, 12-21 et 22-31 propose une évolution doctrinale par rapport à Is 40,12-24, tout en reposant sur le même imaginaire. Pr 8 apparaîtra comme représen- tant une avancée indéniable par rapport aux éléments d'Is 40 qui constituent également sa référence. En fait, Pr 8 réinterprète certai- nes questions et problèmes exposés en Is 40. Les questions d'Is 40, 12-14 : « Qui a mesuré... ? Qui a dirigé l'esprit de Yahvé... ? Qui a- t-il consulté... ? », supposent une réponse négative, soulignant la dif- férence radicale entre Dieu et les hommes8. Pr 8 répond en introdui- 5. Nous aborderons plus loin le problème posé par l'attestation de 8, 29 dans le texte massorétique. 6. Proverbs, coll. OTL, London, SCM Press, 1970, p. 351-352: «Avec ces remarques il apparaîtra clairement que je ne conçois pas que les versets 12-31 aient été délibérément constitués comme une unité artistique. Les deux passages (versets 12-21 et 22-31) ne présentent aucune sorte de connexion intrinsèque, qui puisse se justifier en référence au travail de création d'un auteur unique. Nous devons considérer que nous n'avons pas un seul contexte, mais deux contextes, et le rapprochement des deux passages doit être étudié dans le cadre de l'histoire des traditions. » 7. 7W.,p.351. 8. Cf. B. COUROYER, Iuïe XL, 12, dans Revue Biblique 73 (1966) 187 et 196 : « À la question mî la réponse doit être, a mon avis : Aucun humain... » 188 B. GOSSE sant le thème de la Sagesse, présente auprès de Dieu lors de la créa- tion, et à laquelle, par ailleurs, les hommes peuvent avoir accès : « La Sagesse n'appelle-t-elle pas ? L'Intelligence n'élève-t-elle pas la voix ? » (Pr 8, 1). À la disproportion de majesté entre le Dieu créa- teur d'Is 40,22 et celle des « nobles » misérables d'Is 40, 23, Pr 8 ré- pond en introduisant la Sagesse royale. La Sagesse, en tant que créatrice, partage les privilèges divins, mais en tant que royale, elle peut faire participer les nobles à ces privilèges, qui, au-delà des no- bles, sont offerts à tous. Cette prise en compte de l'ensemble de Pr 8,12-31 comme avancée par rapport à la doctrine d'Is 40,12-24 va également permettre de ré- soudre deux questions soulevées par M. Gilbert dans son étude de Pr8. Le premier de ces problèmes vient de la difficulté rencontrée en ce qui concerne les autorités citées en Pr 8, 15-16 : Par moi régnent les rois et les nobles gravent le droit ; par moi gouvernent les princes et les grands, les juges légitimes . Sur ce point M. Gilbert écrit : Les versets 15 et 16 ne visent pas nécessairement le pouvoir en Israël ou à Jérusalem. Mais on peut s'étonner de voir la Sagesse, qui invite la foule à l'écouter (versets 1-10), vanter son succès auprès des autorités. En se présentant comme un conseiller royal idéal, elle vise à augmenter son crédit auprès de la foule. On a l'impression de se trouver à une époque et dans un milieu où le pouvoir ne souffre pas de contestation (5' 208). Nous verrons qu'en fait Pr 8, 15-16 se comprend très bien si l'on tient compte du fait que l'histoire de la rédaction de Pr8,12-21 et 22- 31 correspond à une évolution doctrinale par rapport à Is 40, 21-22 et 23. Par ailleurs en Pr 8, 29c M. Gilbert est gêné par l'emploi, dans le texte massorétique, du verbe hqq-, « graver » : La Septante voit en 8, 29c la simple continuité de 8, 28. Alors que le texte massorétique met en tête de 8, 29c un b1' hùqô (« quand il 9. Traduction d'après le texte hébreu : kl-spty sdq. Autres manuscrits : kl-spty 'rs, cf. Is 40, 23 ! « En 8, 16b avec Dahood et McKane, on peut traduire le texte massorétique des manuscrits de Leningrad et d'Alep : tous les chefs légitimes. Mais avec d'autres manuscrits hébreux, avec la Septante et la Vulgate, il serait préférable de lire 'ères au lieu de sèdèq... » (S 206 s.). Ce problème montre les liens étroits existant entre Pr 8 et Is 40 dans la tradition la plus ancienne. LA CRÉATION EN PR 8 ET IS 40 189 grava ») déjà venu en 8, 27b, où il est mieux en place, avec son sens d'établir, la Septante a lu à sa place b<'^azzeqô (du verbe hzq au piel, « affermir »), « lorsqu'il affermit », en parfaite harmonie avec les verbes de 8, 28, nous le verrons. Plusieurs auteurs (BHK, Gemser, Barucq) corrigent d'ailleurs behûqô (« lorsqu'il grava ») en be haz- 2e qo (« lorsqu'il affermit »). On peut se demander si, dans le texte massorétique, ce n'est pas l'addition du 8, uploads/Philosophie/ gosse-la-creation-en-prov-8-et-isaie-40.pdf
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- Publié le Dec 05, 2022
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