Anton Pannekoek Lénine philosophe Lénine philosophe Lénine philosophe Lénine ph

Anton Pannekoek Lénine philosophe Lénine philosophe Lénine philosophe Lénine philosophe (1938)                                                                                                                 Introduction La Révolution russe a été menée sous la bannière du marxisme. Avant la première guerre mondiale, à l’époque où il ne pouvait se livrer qu'à la propagande, le parti bolchevik était considéré comme le champion des idées et de la tactique marxistes. Il était en communauté d'idées et agissait de concert avec les tendances révolutionnaires des partis socialistes européens, lesquelles étaient comme lui nourries de théories marxistes, tandis que le parti menchevik se rapprochait beaucoup plus des tendances réformistes de ces partis. Lors des controverses doctrinales, les penseurs bolcheviks figuraient en bonne place, au côté des membres des écoles marxistes dites autrichienne et hollandaise, au nombre des défenseurs du marxisme intransigent. Pendant la guerre, les bolcheviks firent cause commune avec les groupes radicaux de gauche de l'Occident (par exemple aux conférences de Zimmerwald et de Kienthal) pour maintenir le principe de la lutte de classe en temps de guerre. Lors de la Révolution, les bolcheviks, après avoir adopté le nom de parti communiste, purent l'emporter parce qu'ils avaient choisi comme principe directeur la lutte de classe des masses ouvrières contre la bourgeoisie. Ainsi Lénine et son parti se révélaient, en théorie comme en pratique, les représentants les plus éminents du marxisme. Mais une contradiction devait s'affirmer par la suite. Un système de capitalisme d'Etat prit définitivement corps en Russie, non en déviant par rapport aux principes établis par Lénine  dans l'Etat et la révolution par exemple  mais en s'y conformant. Une nouvelle classe avait surgi, la bureaucratie, qui domine et exploite le prolétariat. Cela n’empêche pas que le marxisme soit en même temps propagé et proclamé base fondamentale de l’Etat russe. A Moscou, un « Institut Marx-Engels » s’est mis à publier avec un soin respectueux, dans des éditions de luxe, des textes des maîtres, presque tombés dans l’oubli ou encore inédits. Les partis communistes, dirigés par l’Internationale de Moscou, se réclament du marxisme, mais ils se heurtent de plus en plus à l’opposition des ouvriers aux idées les plus avancées qui vivent dans les conditions du capitalisme développé d’Europe occidentale et d’Amérique, la plus radicale étant celle des communistes de conseils. Pour tirer au clair ces contradictions, couvrant tous les domaines de la vie et des luttes sociales, il faut aller à la racine des principes fondamentaux, c’est-à-dire philosophiques, de ce que ces courants de pensée divergents appellent le marxisme. Lénine a exposé ses conceptions philosophiques dans son livre Matérialisme et empiriocriticisme, publié en russe en 1908 et traduit en 1927 en allemand et en anglais. Vers 1904, quelques intellectuels russes commencèrent de s’intéresser à la philosophie de la nature d’Europe occidentale, et surtout aux idées développées par Ernst Mach, et essayèrent de les intégrer au marxisme. Une véritable tendance « machiste », assez influente, se développa dans le Parti; ses porte-parole principaux étaient Bogdanov, l’un des plus proches collaborateurs politiques de Lénine, et Lunatcharsky. Le conflit, auquel le mouvement révolutionnaire de 1905 avait mis une sourdine, reprit de plus belle aussitôt après, car il n’était pas lié seulement à des controverses théoriques abstraites, mais à de multiples divergences pratiques et tactiques au sein du mouvement socialiste. C’est alors que Lénine prit vigoureusement position contre ces déviations et avec l’appui de Plékhanov, le meilleur des marxistes russes, et qui d’ailleurs était menchévik, réussit bientôt à liquider l’influence du machisme à l’intérieur du Parti. Dans sa préface aux traductions anglaise et allemande du livre de Lénine, Deborin alors interprète officiel du léninisme, mais disgrâcié par la suite, exalte la collaboration des deux plus éminents théoriciens, dans leur lutte pour assurer la victoire définitive du vrai marxisme, sur toutes les tendances antimarxistes. Il écrit : « L’opposition de Plekhanov et de Lénine au liquidationnisme, à l’otzovisme, au rafistolage de Dieu et au machisme, scella pour un certain temps l’alliance des deux plus grands cerveaux du marxisme authentique. Elle permit le triomphe du matérialisme dialectique sur les diverses tendances révisionnistes antimarxistes... « Le livre de Lénine représente donc, non seulement un apport considérable à la philosophie, mais aussi un document de premier ordre sur l’histoire du Parti, document qui prit une importance extraordinaire en contribuant à raffermir les assises philosophiques du marxisme et du léninisme, déterminant ainsi, dans une large mesure, l’évolution ultérieure de la pensée philosophique des marxistes russes... Le marxisme sortit victorieux de cette lutte. Le matérialisme dialectique fut son drapeau. » Mais Deborin ajoute : « Il n’en est malheureusement pas de même au-delà des frontières de l’Union soviétique et particulièrement en Allemagne et en Autriche où fleurissent la scolastique kantienne et l’idéalisme positiviste. On y ignore encore complètement la philosophie marxiste. La traduction du livre de Lénine est donc nécessaire pour diffuser dans le reste du monde les fondements philosophiques du marxisme sur lesquels s’appuie le parti communiste. » Puisque l’importance du livre de Lénine est soulignée avec une telle force, il est nécessaire d’en faire une étude critique approfondie. Il est clair qu’on ne peut juger à fond de la doctrine de la Troisième Internationale, celle du communisme de parti sans examiner de très près ses bases philosophiques. Les études de Marx sur la société, qui depuis un siècle jouent un rôle toujours plus important dans le mouvement ouvrier, ont pris forme à partir de la philosophie allemande. Elles ne peuvent être comprises sans un examen de l’évolution intellectuelle et politique du monde européen. Il en va de même, tant pour les autres tendances philosophiques et sociales et les autres écoles matérialistes qui se développèrent en même temps que le marxisme, que pour les conceptions théoriques sous-jacentes à la Révolution russe. Ce n’est qu’en comparant ces divers systèmes de pensée, leurs origines sociales, leurs contenus philosophiques, qu’on peut porter un jugement bien fondé. 1. Le marxisme Il est impossible de bien comprendre l’évolution des idées de Marx et de ce qu’il est convenu d’appeler aujourd’hui le marxisme, si on les considère indépendamment de leurs rapports avec les conditions sociales et politiques de l’époque où ils naquirent : l’époque où le capitalisme démarra en Allemagne. Cette apparition devait faire naître une opposition sans cesse croissante au système politique et à l’absolutisme aristocratique. La bourgeoisie ascendante avait besoin de libertés commerciales et industrielles, d’une législation et d’un gouvernement favorables à ses intérêts, de la liberté de presse et de réunion, pour faire valoir ses droits. Elle se sentait handicapée et opprimée par un régime hostile, par la toute puissance de la police et par une censure étouffant toute critique contre le gouvernement réactionnaire. La lutte, qui aboutit à la Révolution de 1848, dut d'abord être menée au niveau théorique, par le développement d’idées nouvelles et par une critique des conceptions dominantes. Cette critique, qui trouva ses porte-parole les plus remarquables parmi de jeunes intellectuels bourgeois, était dirigée en premier lieu contre la religion et contre la philosophie hégélienne. La philosophie hégélienne, selon laquelle l’Idée absolue crée le monde par son développement propre, s’aliène en lui, et se voit, au cours de ce développement, transformée à nouveau en conscience propre de l’homme, n’était que le travestissement philosophique du christianisme, sous une forme adaptée au mieux au régime politique d’après 1815, la Restauration. De tout temps, la religion traditionnelle a servi de justification et de fondement théorique à la perpétuation des anciens rapports de classes. Tant qu’un combat politique contre l’oligarchie féodale n’était pas possible de manière ouverte, c’est sous une forme déguisée, celle d’une attaque contre la religion, que la lutte devait être menée. Ce fut, en 1840, l’œuvre d’un groupe de jeunes intellectuels, les Jeunes Hégéliens, au sein duquel Marx se forma et où il prit bientôt la première place. Pendant qu’il poursuivait ses études, Marx fut séduit, sans doute à son corps défendant, par la puissance de la méthode hégélienne, la dialectique, et la fit sienne. Le fait qu’il ait pris pour sujet de thèse de doctorat une comparaison entre les deux grands philosophes matérialistes de la Grèce antique, Démocrite et Epicure, semble indiquer toutefois qu’il n’était pas sans incliner au matérialisme. Plus tard la bourgeoisie oppositionnelle de Rhénanie fit appel à lui pour diriger, à Cologne, un nouveau journal. II dut se plonger dans toutes les tâches pratiques de la lutte politique et sociale, et il la mena avec tant d’énergie qu’au bout d’un an le journal fut interdit. Ce fut uploads/Philosophie/lenine-philosophe.pdf

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