Malcolm de Chazal « Cet homme est né très vieux » par RAYMOND ABELLIO (Revue Qu
Malcolm de Chazal « Cet homme est né très vieux » par RAYMOND ABELLIO (Revue Question DE. No 6. 1er Trimestre 1975) Jean Paulhan, puis André Breton célébrèrent le génie de Malcolm de Chazal (Né à Vacoas, Île Maurice, le 12 septembre 1902 et mort à Curepipe le 1er octobre 1981. Cet homme secret vit depuis toujours dans l’ile Maurice. C'est peut-être le plus grand poète mystique contemporain. Son livre, « L'homme et la connaissance » (à peine 120 pages d'une condensation extrême), a été publié par Jean-Jacques Pauvert, avec cette présentation — témoignage d'admiration — de Raymond Abellio. En octobre 1947, lorsque Jean Paulhan, qui venait de lire Sens-Plastique, présenta Malcolm de Chazal aux lecteurs du « Figaro Littéraire », il prononça d'emblée des mots définitifs : « Ça n'arrive pas tous les jours » de rencontrer un écrivain de génie que personne ne connaît. En voici un. » Sens-Plastique est un recueil de pensées ou d'aphorismes qui vont de deux à quarante lignes. Ce qui avait fasciné Jean Paulhan, c'était l'emploi particulier qui y était fait de l'image, de la métaphore, non point seulement façon d'écrire mais façon d'être, traduisant chaque fois une sensation vécue, une participation directe à une réalité ignorée du commun et que l'auteur rendait pourtant universelle. Et, de fait, ce n'était pas tellement un style d'écriture plus ou moins pittoresque qui s'affirmait ici qu'une capacité particulière de vision et même de voyance, un pouvoir immédiat de pénétration dans l'arrière-monde et, disons le mot, de connaissance. De son côté, et presque dans le même temps, André Breton saluait « le caractère de parfaite originalité et l'incomparable réussite » de cette œuvre. On voyait pourtant tout de suite ce qui séparait Malcolm de Chazal des surréalistes. André Breton définissait ordinairement l'image comme le rapprochement automatique et arbitraire de deux réalités éloignées. Sur le premier de ces deux points, c'est-à-dire la spontanéité, Malcolm de Chazal n'avait rien à envier au plus doué, au plus sensible des poètes. Mais c'était une spontanéité soutenue par une conscience claire, agissante, rigoureuse et qui ne devait rien à ce fameux « hasard objectif » des surréalistes, catégorie funeste dans laquelle ces derniers ont stérilisé leurs trouvailles ou gaspillé leurs trésors. L'image, chez Malcolm de Chazal, récusait de toute évidence le fortuit. Elle surgissait en tant que nœud, focalisation, condensation, synthèse active de tout un réseau de correspondances cachées mais nécessaires, et dont l'auteur était le percipient parfaitement éveillé et le révélateur. Depuis nous avons lu la suite de Sens- Plastique, et aussi Petrusmok, Sens-Magique... Nous sommes bien en présence d'un voyant de génie, d'un détenteur de gnose. Encore faut-il s'interroger sur la nature de cette voyance, le contenu de cette gnose. Et il est bien clair en effet que cette activité spirituelle n'a rien à voir avec les transes de ces « médiums » plus ou moins incultes qui, selon la chance du jour, reçoivent ce qu'ils appellent des « clichés », c'est-à-dire des représentations matérielles plus ou moins floues, isolées, irreliées, portant toujours sur des faits, jamais sur des essences. Ces médiums, il faut les nommer des devins, non des voyants. Au contraire, Malcolm de Chazal universalise toujours. Dans Petrusmok, quand il lui arrive de se trouver dans ces états particuliers dits états seconds que connaissent les extatiques, les mystiques, il se décrit lui-même comme « un autre Moi, un Moi universel consubstantiel aux choses », qui voit tout « sous l'angle de l'Homme universel qui est dans tout ». Sa voyance est d'ailleurs de vieille souche. Son ancêtre, François de Chazal de la Genesté, qui vint en 1763 s'installer à l'île Maurice, où Malcolm de Chazal réside toujours, est dépeint comme un Rose-Croix fort influent, un visionnaire, un alchimiste. René Guénon dit de lui qu'il était l'ami du comte de Saint-Germain et le dépositaire de ses secrets. L'inspiration de Malcolm de Chazal, tout au long de son œuvre, est d'ailleurs si soutenue qu'on en vient à se demander si ces états dits seconds ne sont pas pour lui l'état normal. Se saisissant d'une fleur ou saisi par elle, il est non seulement capable d'entrer dans la fleur, d'être la fleur et de l'entendre parler, mais de voir graviter en elle, dans l'instant, tout un univers d'analogies vivantes qui semblent remplir l'espace et suspendre le temps dans le moment éternel d'une Création cosmique. Tous les poètes pénètrent plus ou moins dans ce monde des correspondances. Nous avons quelque raison de penser que Malcolm de Chazal y pénètre plus loin que quiconque avant lui, et même qu'il y vit de façon constante. On ne peut, certes, parler de correspondances sans évoquer Swedenborg, le grand voyant suédois, qui mit ce monde ou plutôt cet arrière-monde en système dialectique. Mais les constructions de Swedenborg procédaient plutôt des « révélations » qu'il disait recevoir lorsqu'il « voyageait » dans les trois parties du ciel et commerçait avec les esprits et les anges. Pour sa part, Malcolm de Chazal reste sur terre. Toutes ses richesses viennent de ses perceptions sensibles, de sa familiarité avec les objets. Partout il voit des signes. Tout objet se lit comme un visage. Mystère d'une sensation qui, dès l'état naissant, est chargée de toute l'expérience du monde. Cet homme est né très vieux. Toujours dans Petrusmok, il revit toute l'histoire spirituelle de l'île Maurice rien qu'en observant les lignes, le profil, le relief des rochers : « Tout est inscrit dans la montagne en fait de prophétie et de vie... La montagne est en nous et en dehors de nous... Elle se métamorphose éternellement dans son geste prophétique, sous l'apport du burin des temps, calqué en tout point sur les mutations de l'esprit universel et des cerveaux humains de première grandeur. Car rien n'est séparé dans la vie, et les montagnes sont nous- mêmes sur un autre plan, reflets éternels et co-réels de notre Sinaï intérieur. Tout se tient, du physique au spirituel. Et je suis autant dans les monts de mon pays que dans ma demeure charnelle. Et si je vois mon visage dans les montagnes, qui peut m'en blâmer ? Car la vie est un miroir pour l'être, et, pour se susciter en toute chose, il ne s'agit que d'élever le miroir à la hauteur des yeux et d'avoir l'œil du voyant. » Ce texte est de 1951, mais dans des Entretiens radiophoniques plus récents, Malcolm de Chazal ajoute quelques indications décisives : « Je suis un être revenu aux origines. A mon sens il est stupide de croire qu'on peut connaître l'homme si l'on ne connaît pas la fleur. Que l'on peut connaître Dieu si l'on ne connaît pas le sens occulte de la pierre. La connaissance est indivisible et cette connaissance a été perdue... Adieu le surréalisme qui exploite uniquement l'inconscient... La clé exacte de la vision retournée, je l'eus un jour dans le jardin botanique de Curepipe1. J'avançais dans la lumière de l'après-midi vers une touffe de fleurs d'azalées, et je vis une des fleurs qui me regardait. La fleur devenait subitement un être. La fleur devenait une fleur-fée. Cet événement correspond à la pomme de Newton, c'est-à-dire au moment où toute la vie d'un homme, toute sa pensée est retournée dans une expérience ». Ce sont de tels épisodes qui permettent de nommer exactement le pouvoir de Malcolm de Chazal. Bien au-delà d'un simple jeu verbal de transposition se déployant avec plus ou moins de bonheur dans la métaphore, il s'agit ici d'un pouvoir de transfiguration ou mieux de transsubstantiation du monde dans l'homme, au sens alchimique de ce mot, et par conséquent de l'exercice d'une prêtrise. Et cette prêtrise elle-même, dans ce cas particulier, 1 Curepipe : une des quatre cités mauriciennes est participation à ce que les Anciens appelaient les grands mystères, en donnant à cette expression, dans l'échelle de l'ordination, un sens précis. Par-delà les petits mystères, qui sont ceux de l'incarnation, c'est-à-dire de la descente involutive de l'esprit, Dieu visitant l'homme, les grands mystères sont ceux de l'assomption, c'est-à-dire de la montée transfigurante des corps, l'homme devenant Dieu. Toute l'œuvre de Malcolm de Chazal participe de l'assomption du monde et de l'homme dans l'esprit. Cette brève présentation d'un homme énigmatique permettra peut-être de mesurer la portée de l'ouvrage que Malcolm de Chazal présente aujourd'hui et qui n'est rien d'autre qu'un traité systématique des correspondances au sein de l'interdépendance universelle. Ce mot de « traité » induirait toutefois en erreur si on l'interprétait au sens d'une simple « théorie », c'est-à-dire d'une construction intellectuelle, alors qu'il s'agit avant tout, au moins quant aux fondements, d'une physique expérimentale des sensations exigeant d'être vécue pour être comprise. Une telle physique n'a bien entendu rien de commun avec la science quantitative de même nom pratiquée par nos savants, de Galilée et Descartes à Einstein. On parle ici de physique qualitative et, à cet égard, la distinction établie d'emblée par Malcolm de Chazal entre science et connaissance constitue une des clés de l'œuvre. Dans cet ordre de recherches, je ne connais d'ailleurs d'autre prédécesseur à uploads/Philosophie/ raymond-abellio-malcolm-de-chazal-cet-homme-est-ne-tres-vieux-1975.pdf
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- Publié le Nov 16, 2021
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