HEURISTIQUES ET BIAIS COGNITIFS EXTRAIT - SYNTHÈSE SUR L’ÉDUCATION À L’ESPRIT C

HEURISTIQUES ET BIAIS COGNITIFS EXTRAIT - SYNTHÈSE SUR L’ÉDUCATION À L’ESPRIT CRITIQUE 08 SEPTEMBRE 2021 LES DÉFIS DE L’ESPRIT CRITIQUE // EXTRAIT DE LA SYNTHÈSE ET BIBLIOGRAPHIE COMMENTÉE SUR LES RECHERCHES ACTUELLES AUTOUR DE L’ÉDUCATION À L’ESPRIT CRITIQUE Résumé HEURISTIQUES ET BIAIS COGNITIFS 08 SEPTEMBRE 2021 Page 3 - Les biais cognitifs, victimes de leur propre nom Page 4 - Ce qu’en dit la littérature scientifique... en théorie Page 4 - Théorie fondatrice : “heuristiques-et-biais” Page 5 - Critiques de cette approche Page 6 - L’approche évolutionniste Page 7 - Critiques de cette approche Page 8 - L’approche de la rationalité écologique Page 9 - Critiques de cette approche Page 12 - Et en pratique… À la chasse aux biais ! Page 14 - Les solutions avancées pour se défaire des biais cognitifs Version du 17 décembre 2020 - Un travail coordonné par ÉPhiScience, pour Universcience - l’École de la médiation avec la participation de : Barbier Charlotte, Bedel Audrey, De Checchi Kévin, Jeune Nathanael, Lakhlifi Camille, Pallarès Gabriel, Teysseron Nathan Nous avons identifié plusieurs défis concernant l’éducation à l’esprit critique. Tout d’abord, les biais cognitifs, qui sont souvent brandis de manière hâtive quand il est question d’es- prit critique. Les biais cognitifs doivent être compris comme des schémas de raisonnement généraux qui ne sont pas erronés de manière systématique mais qui peuvent toutefois l’être Nous pensons également qu’une éducation à l’esprit critique ne peut se limiter à une approche visant à éliminer ce qui semble être faux. Le piège serait alors de considérer qu’une pensée purgée de tous ses biais correspondait nécessairement à de l’esprit critique. SOMMAIRE dans certaines situations spécifiques. 2 3 HEURISTIQUES ET BIAIS COGNITIFS // 8 SEPTEMBRE 2021 LES DÉFIS DE L’ÉDUCATION À L’ESPRIT CRITIQUE Les biais cognitifs, victimes de leur propre nom ► Wikipédia ► Article dans Psychomédia : “25 biais cognitifs qui nuisent à la pensée rationnelle” ► Article dans Sciences et Avenir : “Biais cognitifs : comment notre cerveau nous manipule-t-il ?” Parmi les concepts abordés lorsque l’on parle d’esprit critique, la notion de “biais cognitifs” a tout particulièrement attiré l’attention du grand public, avec de nombreux contenus de vulgarisation sur le sujet disponible sur Internet. Bien que la popularisation de ce concept et l’intérêt qu’il suscite soient évidemment des bonnes nouvelles pour sensibiliser le plus grand nombre à l’importance de développer son esprit critique, un problème émerge de cette notoriété. Le terme de “biais” cognitif semble en effet porteur de sens et explicite : avec cet intitulé, chacun devine assez intuitivement une définition du concept. Les biais cognitifs seraient ainsi des “distorsions dans le traitement cognitif d’une information”, “une déviation systématique de la pensée logique et rationnelle” dont les humains seraient victimes au quotidien puisqu’ils conduiraient à des “erreurs de jugement ou de raisonnement” (définition de Wikipédia). Si cette définition largement répandue n’est en soi pas fausse, elle ne couvre pas complètement le spectre de ce à quoi fait référence la notion de “biais cognitifs” dans la littérature scientifique. En effet, cette définition partielle ne couvre pas un aspect essentiel : généralement, les biais cognitifs constituent des erreurs d’un système de raisonnement qui se trouve être tout à fait fonctionnel dans de nombreuses situations du quotidien. Par exemple, il est très coura nt dans l e monde dans lequel nous évoluons que l’observation d’une corrélation entre deux événements traduise une relation de causalité entre l’un et l’autre. Pas si étonnant, donc, que l’on conclue parfois à tort à une causalité (illusion de causalité) entre deux éléments qui corrèlent mais qui n’ont en réalité rien à voir. De plus, la diffusion de nomenclature et listes non-exhaustives de biais cognitifs a développé une large propension à l’explication de comportements complexes en les étiquetant avec un ou plusieurs biais cognitif(s) bien identifié(s), conduisant à une simplification de la réalité. Il n’est ainsi pas rare de faire face à un problème déplacé : on passe beaucoup de temps à chercher à identifier quel biais cognitif est en cause plutôt que d’essayer de trouver des stratégies pour se soustraire à leurs impacts sur notre raisonnement, nos décisions et actions. Afin d’éviter de répandre davantage une vision erronée d’un cerveau totalement “biaisé”, inefficace, voire inapte, il est essentiel de produire du contenu de vulgarisation sourcé, plus nuancé et explicite, pour une meilleure compréhension par tous de la notion de “biais cognitifs ». 4 HEURISTIQUES ET BIAIS COGNITIFS // 8 SEPTEMBRE 2021 LES DÉFIS DE L’ÉDUCATION À L’ESPRIT CRITIQUE Ce qu’en dit la littérature scientifique… en théorie Plusieurs théories s’articulent autour de la notion de biais cognitifs et constituent autant de points de vue divergents adoptés et défendus par des groupes de chercheurs. Dans cette partie, nous commencerons par mentionner la théorie “fondatrice” de Kahneman et Tversky qui ont proposé le terme de biais cognitifs, puis nous intéresserons à 2 perspectives théories concurrentes : la perspective évolutionniste et celle de la rationalité écologique mentionnée plus haut. Théorie fondatrice : “heuristiques-et-biais” ► Tversky, A., & Kahneman, D. (1974). Judgment under uncertainty: Heuristics and biases. science, 185(4157), 1124-1131. ► Kahneman, D. (2011). Thinking, fast and slow. Macmillan. Dans son livre, Kahneman propose un modèle théorique selon lequel notre cerveau fonctionnerait à deux vitesses, selon deux systèmes. Le système 1 permet de raisonner et prendre des décisions de façon automatique, efficace, rapide mais est incontrôlable et enclin aux erreurs. Il utilise les heuristiques (raccourcis mentaux), qui peuvent parfois conduire à des biais cognitifs. Le système 2, quant à lui, repose sur un mode plus conscient et analytique donc plus précis, mais plus lent et coûteux en énergie. Kahneman décrit avec précision les caractéristiques qu’il attribue à ces deux systèmes, puis liste un grand nombre de pièges et raisonnements fallacieux dans lesquels l’usage inapproprié du système 1 peut nous faire tomber. En effet, face à une même situation, ces deux systèmes réagissent de façon différente. Un humain hypothétique totalement rationnel n’utiliserait que le système 2 pour réfléchir et décider. Cependant, les contraintes cognitives, énergétiques et temporelles réelles rendent le système 1 très utile pour la majorité des tâches quotidiennes. A partir de cette théorie, plusieurs auteurs ont proposé des ajouts visant à affiner ce modèle de la pensée humaine, notamment des mécanismes métacognitifs d’arbitrage entre ces deux systèmes. 5 HEURISTIQUES ET BIAIS COGNITIFS // 8 SEPTEMBRE 2021 LES DÉFIS DE L’ÉDUCATION À L’ESPRIT CRITIQUE Critiques de cette approche ► Melnikoff, D. E., & Bargh, J. A. (2018). The mythical number two. Trends in cognitive sciences, 22(4), 280-293. Dans cet article, les auteurs s’attachent à déconstruire le modèle théorique selon lequel le fonctionnement cognitif humain reposerait sur 2 systèmes ou correspondrait à 2 types de modes de pensées. Par leur argumentation, ils suggèrent que ce modèle (ce “conte des 2 systèmes) ne repose pas sur des résultats empiriques, est incompatible avec la réalité bien plus complexe, et relève en soi d’un “biais” de raisonnement. ► Série de publications entre 1991 et 2018, dont la première et la dernière en date : - Gigerenzer, G. (1991). How to make cognitive illusions disappear: Beyond “heuristics and biases”. European review of social psychology, 2(1), 83-115. - Gigerenzer, G. (2018). The bias bias in behavioral economics. Review of Behavioral Economics, 5(3-4), 303-336. L’auteur de ces publications est à l’origine d’une approche alternative présentée ci-dessous (cf partie sur la rationalité écologique). La raison pour laquelle il a développé cette approche alternative trouve son origine dans les critiques qu’il adresse à la théorie “heuristiques-et-biais”. Selon Gigerenzer, cette théorie est en soi une vision “biaisée” de la réalité. Il propose que les capacités humaines de raisonnement et de prise de décision ne soient pas déviantes par rapport à un standard de “rationalité” ou d’”optimalité” car ces standards dépendent en soi beaucoup de la situation spécifique à laquelle l’agent fait face. Un des points centraux de la vision de Gigerenzer tient dans la distinction qu’il fait entre situation risquée, dans laquelle l’agent a toutes les informations (issues possibles du problème et leurs probabilités associées) pour calculer le choix optimal qu’il est “rationnel” de faire, et situation incertaine. Dans l’incertitude, qui est le contexte que l’on rencontre le plus souvent dans la vie réelle, il n’est pas possible de prévoir toutes les éventualités, et donc impossible également d’identifier une option optimale. Selon lui, les “biais cognitifs” tels qu’identifiés et décrits dans l’approche “heuristiques-et-biais” seraient en réalité des artefacts expérimentaux, émanant d’un décalage entre le contexte dans lequel les heuristiques sont habituellement utilisées (situation réelle, écologique) et le contexte artificiel au sein duquel ils sont explorés (condition contrôlée en laboratoire). Il dénonce enfin une tendance problématique émergeant de la théorie “heuristiques-et-biais” : la tendance à surinterpréter et surexpliquer des erreurs ponctuelles humaines par des biais cognitifs. 6 HEURISTIQUES ET BIAIS COGNITIFS // 8 SEPTEMBRE 2021 LES DÉFIS DE L’ÉDUCATION À L’ESPRIT CRITIQUE L’approche évolutionniste ► Haselton, M. G., Nettle, D., & Murray, D. R. (2015). The evolution of cognitive bias. The handbook of evolutionary psychology, 1-20. Dans ces publications, les auteurs proposent d’analyser les biais cognitifs en les intégrant dans une perspective évolutionniste et uploads/Philosophie/ heuristiques-et-biais-cognitifs-vf.pdf

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