L'Homme et la société Critique de la théorie d'Althusser sur l'idéologie Emilio

L'Homme et la société Critique de la théorie d'Althusser sur l'idéologie Emilio de Ipola, Eddy Trèves Citer ce document / Cite this document : de Ipola Emilio, Trèves Eddy. Critique de la théorie d'Althusser sur l'idéologie. In: L'Homme et la société, N. 41-42, 1976. Critique et théorie Idéologie et pouvoir. pp. 35-70. doi : 10.3406/homso.1976.3136 http://www.persee.fr/doc/homso_0018-4306_1976_num_41_1_3136 Document généré le 16/10/2015 critique de la théorie d'althusser sur l'idéologie* EMILIO DE IPOLA I. LA PROBLEMATIQUE THEORIQUE Parler aujourd'hui de la théorie des idéologies et même de la théorie marxiste des idéologies équivaut à faire preuve d'un optimisme très grand que les faits s'obstinent malheureusement à démentir. En effet, la première conviction qu'acquiert celui qui s'engage dans les problèmes de l'analyse des idéologies, c'est que, sur ce terrain, peu de choses peuvent être considérées raisonnablement comme « acquises ». Et ceci non seulement en ce qui concerne les « solutions » mais également et surtout en ce qui concerne la position même de ces problèmes. Une multiplicité de réponses discutables à des problèmes qui ne le sont guère moins : tel est le panorama peu réjouissant que nous offre actuellement ce que, non sans abus de langage, nous pouvons appeler le champ théorique de l'analyse des idéologies. Cependant si ce panorama nous oblige à abandonner tout optimisme il ne nous autorise pas pour autant à tomber dans les formes ouvertes ou cachées de la résignation. Soit que cette dernière s'exprime sous la forme d'une spéculation répétitive sur le concept théorique de l'idéologie, soit qu'elle se traduise en analyse « empirique » combinant, selon le goût de chacun, le faux avec le trivial, soit que, enfin, d'une manière plus radicale, elle prenne la forme d'un renoncement sans appel à se consacrer à ces questions embarrassantes à tous égards de l'analyse des idéologies, et choisisse d'aborder d'autres domaines plus féconds et plus gratifiants. Ce qui s'impose par contre, face à ce panorama, c'est de prendre conscience de la situation réelle de la question et de ce fait, des conditions (*) Paru dans « Cuadernos de CICSO », Série analisis, N. 4. 36 EMILIO DE IPOLA exigées par toute tentative qui vise à clarifier et à faire progresser le débat. En ce qui nous concerne, ces conditions excluent d'emblée toute possibilité de recours aux artifices pédagogiques qui consistent à définir par ordre les concepts et à énoncer des thèses qui nous obligent par voie de conséquence à accéder au domaine de l'idéologique par la seule voie ainsi autorisée, voie nullement pacifique mais polémique qui consiste à assumer les controverses existantes et à y participer. Plutôt que de proposer un inventaire systématique de concepts et de propositions,* tâche stérile et par conséquent dépourvue de sens(l) nous choisissons de commencer par l'examen et la discussion de certaines des options et positions principielles qui se manifestent actuellement dans le domaine de l'analyse des idéologies. .... De toute évidence, l'objet de cette discussion ne sera pas exclusivement critique ; il s'agira grâce . à eller de déboucher progressivement dans la formulation de propositions positives, dont l'objet sera de contribuer à poser les bases, nécessairement précaires cependant, d'une théorie des idéologies inscrite dans les fondements du matérialisme historique. Comme point de départ, nous porterons notre attention sur une des thèses les plus enracinées dans une certaine tradition marxiste, thèse associée à une problématique qui, en particulier dans les dernières années, a eu le mérite indiscutable d'orienter des travaux théoriques importants sur la question des idéologies. Précisons que nous ne nous limiterons pas à exposer et à discuter cette thèse de façon isolée et que, à travers elle, nous nous interrogerons globalement sur la problématique théorique à laquelle elle est liée. Selon la thèse en question, l'idéologie se définit nécessairement comme un système de représentations déformantes. Il convient de préciser que dans ce cas, le terme déformantes ne signifie pas seulement fausses ou erronées. Une affirmation fausse ou erronée peut très bien être le produit d'un hasard ou d'une erreur fortuite mais dans le cas de l'idéologie, la « falsification » loin d'être arbitraire serait : a) systématique ; b) orientée ; (nous verrons dans quel sens) et c) déterminée, (nous verrons pourquoi). En soutenant que l'effet de distorsion propre à toute idéologie n'est pas arbitraire, on n'affirme pas cependant que cet effet est le produit d'une « volonté » délibérément déformante. Dans les formulations plus élaborées de cette théorie, le caractère nécessairement déformant de l'idéologie est décrit et expliqué en termes qui excluent par principe toute référence à une intention supposée consciente des agents sociaux. La distorsion du réel serait un « effet » objectif des faits idéologiques, effet déterminé par des causes indépendantes de la volonté des individus, et qui renvoient, d'une part, aux propriétés également objectives des systèmes sociaux et, d'autre part aux mécanismes de fonctionnement spécifiques des systèmes idéologiques, les deux étant naturellement en état d 'inter-relation. Développons ces indications: Selon cette théorie, l'idéologie se caractérise par la récupération de la « perception spontanée » des procès sociaux par les CRITIQUE DE LA THEORIE D'ALTHUSSER SUR L'IDEOLOGIE Zï individus et par l'attribution d'une forme discursive à cette dernière. Par principe,- la m perception spontanée » serait en mesure . de saisir ce qu'on appelle les formes de manifestation, autrement dit* les « apparences », de ces procès. Or, il se trouve que ces formes de manifestation constituent aussi, dans cette perspective, en même temps et nécessairement, des formes de dissimulation de la réalité sociale objective. Limitée à la saisie de ces formes phénoménales qui occultent les déterminations réelles de la structure sociale, la perception pour ainsi dire tombe dans le piège, c'est-à-dire, dans la confusion ou l'identification de l'apparence avec l'essence. Cette confusion exprimée sous forme de discours serait toujours selon cette théorie ce qui définit exactement l'idéologie. Nous obtenons ainsi une ligne de continuité représentée par le schéma suivant : Processus objectif / / Manifestation » (« essence ») (« apparence ») %y> Perception Discours idéologique ^ Ainsi, par exemple, J. A. Miller, dans un jargon qui, fort heureusement, passe de mode, écrit : . - , « Dans le système structural où s'articule la production selon un mode spécifique, le ; champ de déplacement du sujet dans la mesure où il se maintient au niveau de î. l'actuel, c'est-à-dire, dans la mesure où sa structure lui assure la perception de son .' *x état (son mouvement apparent) et lui soustrait celle de son système ~ se définit : \ comme «illusion ».' Cette dernière, dans la mesure où le sujet réfléchit, lui donne signification par un mot, c'est-à-dire la reproduit, se perpétue sous la forme de l'idéologie. L'illusion et l'idéologie, si on les pense dans la continuité d'un « voir » à un « dire », !' forment l'élément naturel pour un sujet rigoureusement qualifié, d'insertion dans la structure d'une formation sociale ». (in Fonction de la formation théorique, « Cahiers j marxistes-léninistes » N. 1). : . . f Nous retiendrons du texte cité, cette « action de la structure » en vertu de laquelle cette dernière ne permet de voir (aux agents sociaux) que son mouvement « apparent », occultant du même coup son mouvement réel (son système). . Il en résulte que l'illusion est inhérente par principe à toute perception et à tout discours, qui la récupèrent et la reproduisent sans la mettre en question dans le discours idéologique. Le raisonnement repose sur l'affirmation du caractère nécessairement opaque de la structure sociale et de ses déterminations ; seules les apparences peuvent être saisies et ces dernières fonctionnent comme un écran d'occultation provoquant une distorsion des propriétés essentielles. C'est dans ce même sens que Althusser écrit : c ... la déformation est socialement nécessaire en fonction même du tout social, plus précisément, ,en fonction de sa détermination par sa structure, qu'il rend, comme 38 ''""* EMILIO DE IPOLA tout social, opaque pour les individus qui occupent en ce tout un lieu déterminé par cette structure ». (L. Althusser, Lafilosofia como arma de la revolution, Ed. Pasado y Présente, Cordoba, 1971, p. 55), L'argumentation que nous venons d'exposer vise à démontrer le caractère forcément déformant de toute idéologie. Cela cependant ne suffit pas : il reste encore à expliquer le sens de cette déformation. Autrement dit, pour la théorie que nous sommes en train d'analyser, l'idéologie « ne se contente pas » de représenter de* manière déformante les relations sociales : la déformation en question n'est pas arbitraire, mais orientée. Et cet aspect fondamental doit également être élucidé. Pour cela, il nous faut déplacer l'analyse, et formuler de nouvelles thèses concernant, non les causes de cette déformation, mais la nature même des phénomènes idéologiques. Dans son article sur Marxisme et humanisme, Althusser a développé ce point. Nous transcrivons ci-après le paragraphe central de ce texte : « Dans l'idéologie les hommes expriment... non leur relation avec leurs conditions .^, d'existence mais la manière dont ils vivent cette relation avec leurs conditions i d'existence ; ce qui suppose à la fois une relation réelle et une uploads/Philosophie/ homso-0018-4306-1976-num-41-1-3136.pdf

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