Préface de la première édition Le fait qu’un psychologue ayant consacré une qui
Préface de la première édition Le fait qu’un psychologue ayant consacré une quinzaine d’ouvrages au développement de l’intelligence chez l’enfant en vienne à écrire une Epistémologie nécessite quelques explications, auxquelles il est d’ailleurs difficile de donner une autre forme que celle d’une confession. Au temps de nos études en zoologie, un double intérêt pour les problèmes de variation et d’adaptation et pour les questions logiques et épistémologiques nous a fait rêver de construire une épistémologie biologique fondée exclusivement sur la notion de développement. Un recours à la psychologie concrète s’imposait alors, et avant tout à cette embryologie de la raison qu’est l’étude de l’intelligence enfantine. Nous nous sommes donc mis à quelques recherches préalables sur la logique de l’enfant, aux- quelles nous pensions consacrer quatre ou cinq années au plus. Ces travaux préliminaires nous ont pris près de trente ans et ne sont pas terminés… Mais si nous nous sommes gardé des généralisations trop rapides, quant à la constitution de cette épistémologie génétique dont nous essayons aujourd’hui de fixer les linéaments, nous n’avons jamais perdu un tel but de vue. Nous nous sommes efforcé, en particulier, de conserver un contact suffisant avec l’histoire des sciences elles-mêmes. Comme le disait P. Janet, les cours sont faits pour dire les choses dont on n’est pas encore sûr : le libéralisme intellectuel de la Faculté des Sciences de Genève, et d’Ed. Claparède qui y enseignait alors la psychologie expérimen- tale, nous a permis d’occuper pendant plus de dix ans une chaire d’histoire de la pensée scientifique. Le présent ouvrage est le résul- tat de cette comparaison, à laquelle nous nous sommes constam- ment voué, entre la psychogenèse des opérations intellectuelles et leur déroulement historique. C’est avant tout à nos collègues de la Faculté que va notre reconnaissance au terme de cet effort. Sans les conversations que nous avons eues sans cesse avec des représentants des sciences exactes qui comprenaient le point de vue du psychologue, nous 6 ÉPISTÉMOLOGIE GÉNÉTIQUE aurions eu peine à persévérer. Nous pensons en particulier à Ch.-Eug. Guye, jadis, puis à R. Wavre, J. Weiglé et E. Stuckelberg, E. Guyénot, L. Féraud, A. Ammann, ainsi qu’à M. Chavannes, assistant de mathématiques. Un mot encore quant à la composition de cet ouvrage. Nous nous sommes trouvé constamment pris entre deux écueils. Ecrivant pour des épistémologistes, il n’était pas question de supposer qu’ils aient lu le détail de nos recherches sur la psychologie de l’intelligence enfantine : il fallait donc en résumer sur chaque point l’essentiel pour assurer la liaison avec la discussion propre ment épistémologique. Mais, d’autre part, destinant également cet ouvrage aux psychologues eux-mêmes, qu’une épistémologie purement génétique concerne assurément aussi, il s’agissait de ne point trop se répéter quant aux données de faits. Nous avons donc cherché à conserver un juste milieu, comme lorsqu’on navigue entre Charybde et Scylla, usant en particulier du petit texte et de renvois divers. Le même problème s’est posé quant aux régions limitrophes entre le présent ouvrage et le Traité de Logique que nous publions ailleurs1 et qui contient les développements logis tiques impossibles à fournir ici. Quant au plan de cet essai, le présent tome I, réservé à la pensée mathématique, sera suivi d’un tome II, portant sur la pensée physique, et d’un tome III au cours duquel seront examinées les principales formes de la pensée scientifique en biologie, en psychologie et en sociologie. J.P. 1. A. Colin, 1949. Préface de la seconde édition C’est naturellement presque toujours un plaisir pour un auteur de voir que lecteurs et éditeurs demandent une nouvelle édition de l’un de ses ouvrages lorsqu’il est épuisé. Malheureusement, en mon cas, je ne parviens à être satisfait que de mes publications les plus récentes et surtout de celles que je suis en train ou que je projette de rédiger, étant toujours profondément convaincu de l’insuffisance de mes explications ou démonstrations antérieures donc de la nécessité de reprendre les problèmes en m’appuyant sur de nouveaux faits et en réorganisant les bases théoriques de départ. C’est là, bien sûr, une attitude très fâcheuse à l’égard des lecteurs, quoique subjectivement assez stimulante puisqu’elle recule indéfiniment la mise au point finale en cherchant à l’améliorer. Je vais donc essayer de me libérer de cette perspective ambi- valente pour me placer au point de vue du lecteur et pour chercher les raisons de cette sorte d’obligation que l’on me présente de rééditer les deux premiers volumes et la conclusion de cette Introduction à l’épistémologie génétique. Le motif principal en est, il va de soi, qu’il s’agissait précisément d’une Introduction et que si celle-ci a pu jouer son rôle, c’est-à-dire d’ « introduire » à de nouvelles recherches, il peut être utile, au vu de celles-ci, de reconstituer les principes généraux qui en ont nécessité le déroulement. Or ces nouvelles recherches ont été l’œuvre d’une équipe et même d’une suite ininterrompue d’équipes : celles des membres et collaborateurs du « Centre international d’Epistémo- logie génétique », qui ont élaboré et publié en commun les volumes I à XXIX des Etudes d’épistémologie génétique (plusieurs autres sont presque achevés). Rééditer mon Introduction et en rappeler les lignes directrices, c’est donc, en fait, réanimer et expliciter les croyances collectives qui nous ont inspirés et, vu sous cet angle, j’aperçois mieux l’utilité de cette résurrection d’un passé qui, grâce au travail de chercheurs de valeur exceptionnelle, est bien davantage qu’un passé puisqu’il s’agit d’un effort toujours actuel et de l’effort de tout un groupe. 8 ÉPISTÉMOLOGIE GÉNÉTIQUE Les deux idées centrales de cette Introduction sont que la nature et la validité des connaissances dépendent étroitement de leur mode de formation et que pour atteindre celui-ci il est nécessaire de recourir aux méthodes éprouvées des analyses historico-critiques, sociogénétiques et surtout psychogénétiques (pour ce qui est des stades élémentaires), combinées dans la mesure du possible avec les exigences de la formalisation. L’objection couramment présentée à de tels principes directeurs consiste naturellement à dire que la validité d’une connaissance est une chose, ne dépendant que de considérations normatives, et que le processus formateur en est une autre, ne dépendant que de conditions de fait et donc sans relation avec l’évaluation. Or il y a là un malentendu fondamental que la réédition de cette Introduction pourrait aider à dissiper si on la relit à la lumière de ce qui a été produit depuis. L’objection en question suppose, en effet, l’existence de trois rouages ou de trois person- nages distincts dans l’analyse de tout acte de connaissance : (1) Le sujet de cette connaissance, qui raisonne à sa manière selon son niveau, son degré d’information, etc. ; (2) L’historien, le sociologue ou le psychologue, qui étudie le processus ayant conduit le sujet à son état de connaissance actuel ; et (3) L’épistémologiste qui évalue cette connaissance des sujets, à la lumière de normes que ce troisième personnage se charge de fournir au nom d’une philosophie détermi- née. Or ce que l’on n’arrive pas à faire comprendre à certains philo- sophes adversaires de l’épistémologie génétique est que l’acteur n° 2 (le psychologue, etc.) ne songe pas le moins du monde à jouer le rôle de l’acteur n° 3 (le normativiste), mais seulement à rendre sa valeur à l’acteur n° 1 (le sujet de connaissance). Cela conduit évidemment à cette conséquence fâcheuse de rendre inutile l’acteur du n° 3, mais au profit du sujet lui-même et non pas de l’acteur n° 2 qui se borne en fait à décrire comment ce sujet actif et responsable en est venu par ses propres moyens à résoudre ses propres problèmes. En effet, lorsqu’on nous dit que le processus formateur n’est pas explicatif ni ne saurait constituer une source suffisante d’évaluation normative, on oublie délibérément trois faits essentiels. On oublie d’abord que le processus n’est pas autre chose que le déroulement des activités d’un « sujet », c’est-à-dire d’activités créatrices de normes, et qu’il ne s’agit donc pas d’une succession psychologique quelconque de simples états de conscience. On néglige en second lieu ce fait fondamental que le sujet se suffît à lui-même dans l’élaboration de ses normes : qu’il s’agisse d’un bébé de dix mois découvrant la permanence des objets ou d’Einstein en personne construisant ses théories, le sujet n’a besoin ni du philosophe PRÉFACE DE LA SECONDE ÉDITION 9 (personnage n° 3) ni du psychologue (acteur n° 2) pour l’aider à raisonner, car il se suffît à lui-même (en tant qu’individu ou que sujet plus ou moins socialisé ou encore collectif) et corrige tout seul ses erreurs. Mais, troisièmement, on oublie aussi que, si le sujet est normativement autonome, il a eu besoin d’un développement pour en arriver là, car il n’a cessé de modifier ses propres normes et il cons- titue donc la résultante d’un tel processus : or il n’en connaît lui-même qu’une infime partie et c’est pourquoi il faut une analyse extérieure à lui pour le reconstituer. Il s’ensuit alors que l’acteur n° 2 est nécessaire, non pas, insistons-y, en tant que prescrivant des normes, mais exclusivement en tant que cherchant à décrire et à expliquer uploads/Philosophie/ introduction-a-l-x27-epistemologie-genetique-i-jean-piaget-la-pensee-mathematique-presses-universitaires-de-france-1973-pdf.pdf
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- Publié le Sep 30, 2022
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