Version longue de l’article paru dans la revue Archée, revue de théorie et de c
Version longue de l’article paru dans la revue Archée, revue de théorie et de critique d’art numérique, Janvier 2010. 1 INTRODUCTION A LA TECHNO-ESTHETIQUE Préambule Introduction à la techno-esthétique. Tel est le titre que j'ai choisi pour ces deux séances de séminaire. Ce titre semble indiquer d'emblée la chose suivante : il s'agit ici d'introduire au rapport entre technique et esthétique. Ou plus exactement : l'idée de techno-esthétique laisse supposer que technique et esthétique sont associées. Il n'y aurait donc pas la technique d'un côté et l'esthétique de l'autre, mais une techno-esthétique, indissociablement. Mais en quoi le rapport entre technique et esthétique ferait-il problème ? Pourquoi une « techno-esthétique » serait-elle nécessaire pour le résoudre ? Et pourquoi cette question mérite-t- elle d'être posée, et précisément aujourd'hui ? Cette question du rapport entre technique et esthétique répond en fait à une double injonction : la première est factuelle et pratique, la seconde est essentielle et théorique. L'injonction factuelle est directement formulée par l'introduction systématique de la technique dans l'art. Depuis le milieu des années 1980, la charge technique des œuvres d'art s'est en effet considérablement accentuée, à tel point qu'il est loisible de parler d'un véritable tournant technologique de l'art. Il existe désormais non seulement des œuvres où la technique est prépondérante, mais l'effet esthétique comme tel est de plus en plus déterminé par le fonctionnement lui-même, à tel point que l'existence de l'œuvre semble tout entière concentrée dans son fonctionnement technique. Ce lien de causalité directe entre fonctionnement technique et effet esthétique peut sembler a priori artificiel et réducteur, mais il est sans doute bien plus vaste et bien plus profond qu'un simple lien de causalité. De même, le fait que la technique détermine désormais autant les conditions de production que les conditions d'accès aux œuvres, par l'intervention du sujet esthétique comme opérateur technique d'une part, et par l'ensemble des dispositifs de médiation qui précèdent et prolongent l'objet dans un réseau d'informations d'autre part, donc ce qui apparaît globalement comme un pur asservissement de l'art à la technique est sans doute autre chose qu'une totale liquidation de l'art dans l'idéologie hyperindustrielle. On fera donc l'hypothèse que ce tournant technologique a certes valeur de symptôme d'un changement profond de situation dans le mode de production, d'existence et d'appréciation des œuvres d'art dans tous les domaines, mais il implique surtout une reconsidération des catégories esthétiques qui prévalaient à la compréhension et à l'évaluation des œuvres d'art en général. Version longue de l’article paru dans la revue Archée, revue de théorie et de critique d’art numérique, Janvier 2010. 2 Car si les anciennes catégories de matière et de forme, de figure et de contenu, d'impression et d'expression, de création et d'imitation, ne peuvent plus être appliquées à cette nouvelle situation de l'art et doivent subir une totale transformation pour être valides, elles ne peuvent en même temps se limiter à une catégorie d'œuvres dont le critère implicite serait le niveau de complexité technique. À vrai dire, c'est même la réalité esthétique dans son ensemble, et pas seulement le domaine limité de l'art, qui pourrait bénéficier d'une telle transformation, parce que cette transformation des catégories esthétiques suppose en même temps une reconsidération complète de la série des oppositions cardinales de l'esthétique entre art et technique, technique et nature, moyen et fin, et surtout celle entre sujet et objet. Il faut donc imaginer qu'un tel changement de catégories esthétiques doit corrélativement transformer la méthode de connaissance de la réalité esthétique au sens large, cette réalité comprenant autant les êtres du domaine de l'art, de la technique que de la nature, tous étant susceptibles d'une « épiphanie esthétique ». C'est à cette condition de relativisation historique et épistémologique que la techno-esthétique pourra à la fois rendre compte des pratiques artistiques contemporaines et poursuivre l'effort d'une véritable critique de la culture. Pour être valide, la techno-esthétique devrait dépasser le tournant technologique actuel pour montrer que l'art, quels que soient la période historique et le type de pratique considérés, porte en lui une charge de technicité dont il faut rendre compte pour comprendre sa réalité de manière complète. Il serait donc faux de vouloir opposer l'art préhistorique de la grotte Chauvet avec une installation de Dan Graham ou une sonate de Bach avec une composition électro- acoustique de Stockhausen, sous prétexte que les secondes sont plus élaborées techniquement. Il y a autant de technique dans les premières que dans les secondes, mais selon une représentation idéologique du progrès technique, on attribue une plus grande valeur à ce qui est le plus proche de nous dans le temps et plus automatisé dans le fonctionnement. De même, si l'architecture apparaît immédiatement comme l'art dont la charge de technicité est la plus importante, cela ne veut pas dire pour autant que la poésie ou la danse en soient totalement dépourvues. La charge de technicité d'une œuvre d'art ou d'un domaine de pratique artistique n'est donc pas quantitative (au sens où certaines œuvres ou certains arts porteraient plus ou moins d'éléments techniques) ni même qualitative (au sens où certains artistes et certains arts utiliseraient mieux la technique que d'autres) mais intensive (au sens où certaines œuvres ou certains arts moduleraient des effets esthétiques à partir de potentiels techniques). On pourrait dire ainsi que la thèse principale ou le postulat initial de la techno-esthétique serait le suivant : art et technique forment un couple indissociable et complémentaire, leur relation est première. Autrement dit, il n'y a pas d'opposition ni de hiérarchie a priori ou même possible entre art et technique : l'art est toujours l'expression d'un potentiel Version longue de l’article paru dans la revue Archée, revue de théorie et de critique d’art numérique, Janvier 2010. 3 technique et la technique contient toujours un potentiel esthétique. Le tournant technologique de l'art n'est donc pas l'injonction factuelle à réduire l'art à la technique, mais l'injonction essentielle a reconsidérer l'art comme pratique fondamentalement techno-esthétique. Cette seconde injonction, essentielle et théorique, n'est dérivée de la situation actuelle de l'art que de manière indirecte, parce que l'art, donc chaque œuvre qui est tournée vers nous et qui nous sollicite à être disponible à sa réalité, expose qu'elle est un mixte de réalité technique et de réalité esthétique. Seulement, la réalité technique est généralement confondue avec les moyens et la réalité esthétique avec les fins, alors que l'une et l'autre s'échangent leur fonction au cours de la genèse et de la rencontre de l'œuvre d'art. Il n'y aurait donc pas d'un côté la technique du point de vue de l'art comme production de l'objet, et d'un autre côté l'art du point de vue de la contemplation du sujet, le tout formant la réalité techno-esthétique de l'art. Il n'y a qu'une seule réalité de l'art et elle est techno-esthétique. C'est pourquoi, l'articulation entre réalité technique et réalité esthétique est précisément l'enjeu de la techno-esthétique, car c'est cette articulation qui conditionne la réalité artistique comme telle, c'est-à-dire comme monde à comprendre et à vivre. Or, c'est précisément cette articulation essentielle entre réalité technique et réalité esthétique qui est systématiquement contestée par les grandes pensées esthétiques. Non pas en récusant frontalement l'existence d'un rapport entre art et technique, mais tout simplement en ne la relevant même pas comme question. C'est précisément pourquoi j'ai choisi d'introduire ici la question de la techno-esthétique par un examen dans cette première séance de la hantise de la technique dans la théorie esthétique de Kant, Hegel et Heidegger. Car c'est la question du rapport entre art et technique qui se pose invariablement dès que l'on cherche à définir ce qu'il en est de l'art et qui ne cesse de revenir où on ne l'attendait pas. Et c'est à partir de la révélation d'une telle hantise de la technique dans la recherche de l'essence de l'art que nous pourrons ensuite voir dans la pensée de l'individuation et de la technique de Simondon, une introduction à la techno- esthétique comme telle, ou, pour le moins, approcher un ensemble de notions et de méthodes qui préparent et orientent une connaissance complète et non réductrice de la réalité esthétique. Version longue de l’article paru dans la revue Archée, revue de théorie et de critique d’art numérique, Janvier 2010. 4 * Introduction : la technique hantise de l'esthétique La technique est inessentielle à l'art. Telle serait la leçon philosophique fondamentale qu'il faudrait retirer des grandes analyses de Kant, Hegel et Heidegger. Chacun à leur manière, ils ont en effet affirmé avec insistance l'hétérogénéité radicale de la technique et de l'art pour répondre au problème du fondement de l'esthétique. En d'autres termes, et selon cette leçon incontournable, tout discours esthétique fondé trouverait son point de départ et sa consistance philosophique dans l'idée que : l'art, en son essence, est quelque chose de radicalement autre que la technique. Il n'y aurait donc pas d'autre manière de penser l'art comme tel, c'est-à-dire d'en définir la nature et d'en décrire l'activité, sinon que d'exclure la technique. Mais comment l'esthétique peut-elle définir l'art contre la technique ? Et se définir elle- même à partir de uploads/Philosophie/ introduction-a-la-techno-esthetique.pdf
Documents similaires










-
44
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Nov 06, 2022
- Catégorie Philosophy / Philo...
- Langue French
- Taille du fichier 0.5870MB