U R B A I N B I Z O T GRANDEUR ET FAIBLESSE DE L’ALCHIMIE 1 1 1. . . R R Ré é é
U R B A I N B I Z O T GRANDEUR ET FAIBLESSE DE L’ALCHIMIE 1 1 1. . . R R Ré é és s su u ur r rr r re e ec c ct t ti i io o on n n d d de e e l l la a a m m ma a ag g gi i ie e e La survenance de l’alchimie en Europe est datée aux alentours de l’an Mille, sous forme de la découverte d’un manuscrit arabe ancien, copié en latin : l’original semble se situer en réalité au IVème siècle de notre ère, rédigé en Egypte et en langue grecque. Mais les origines alchimiques sont beaucoup plus lointaines, puisqu’on retrouve des textes et des pratiques de ce genre dès le début du travail des métaux en Mésopotamie (l’âge du fer remonte selon les contrées à plus ou moins d’un millénaire avant notre ère, ce qui établit l’alchimie comme une spécialisation de l’ancienne pensée magique à l’époque où, en Mésopotamie, en Egypte, en Inde, en Chine, en Grèce et dans les pays arabes, le travail des métaux se présente sous un double jour, à la fois technique et sacré i). C’est dire, en peu de mots, l’origine cosmopolite et archaïque de cette « philosophie hermétique ». Jusqu'à l’époque moderne incluse, peu de courants d’idées auront été en mesure de se développer avec une telle facilité dans l’ubiquité. Ce trait ne manque pas, évidemment, d’être porté au crédit du caractère universellement convaincant de l’hermétisme. Mais cette force apparente se renverse rapidement en son contraire : l’an Mil fut une époque particulièrement accessible aux croyances, et le désarroi de son temps chercha désespérément sa compensation religieuse ii . L’hermétisme provint d’un Orientiii déjà fortement adonné au syncrétisme le plus échevelé, depuis la destruction de la cité et de la sagesse grecques, et de toute condition d’existence possible pour une véritable philosophie ; et depuis l’invasion d’un christianisme qui n’avait plus que très peu en commun avec l’anti-doctrine de l’Evangile, qui avait été une réaction avortée contre le monde du dogme, de l’autorité et du rite. La bâtardisation de la nouvelle religion, orientée vers le partage du pouvoir 2 et les compensations imaginaires que ce dernier requiert comme somnifère collectif, ouvrait la porte à des religions populaires, puisant dans l’immémorial fond de croyances et de pratiques magiques pré-chrétiennes. La pratique alchimique et sa caution « philosophique », hermétique, tenteront, tantôt, de s’intégrer au christianisme monacal iv , tantôt, de façon plus ambitieuse et dangereuse, par imitation du monothéisme et par rivalité avec lui, d’unifier une première et dernière fois, en corps de doctrine et avec vocation salvatrice, les fragments de magie que le christianisme n’était pas parvenu à liquider, et dont il avait pour finir accepté bien des éléments : comme plus tard, l’homme protestant fut censé adorer Dieu à travers son labeur, l’homme alchimique adorait son Seigneur dans son laboratoire, visant à égaler le Créateur à son échelle. Du fait de la progression des métiers, le terrain était partout propice à une telle entreprise, et elle se répandit avec une facilité d’autant plus grande que tout l’irrationnel le plus archaïque y voyait sa résurrection tant attendue. Et, dans le plus grand respect formel pour la vitrine chrétienne, la magie sortit de son terrier et de son demi-sommeil, et tenta de reprendre le pouvoir. Depuis lors, d’ailleurs, toute résurgence, même mineure, de ce genre d’hérésie, traduisant dans le langage de la religion l’intérêt existentiel de nouvelles professions, se présenta comme porteuse d’une émeute de l’esprit populaire : mais les émeutes sont de courte durée, et les pouvoirs établis, dans leur aveuglement, sont souvent effrayés par ce qui n’est pourtant que leur propre avenir, sous un jour plus ou moins inattendu ; le bruit et la poussière du conflit se dissipent enfin, et les défenseurs de l’ordre se trouvent finalement bien gré du rafraîchissement de leur pouvoir, tandis que ceux qui étaient montés à l’assaut du ciel se retrouvent comme par le passé juchés sur la marche inférieure de la nouvelle échelle qu’ils ont eux-mêmes aidé à mettre en place. La grande épopée alchimique qui s’annonçait, où la sagesse se verrait transformée en or, en béatitude et en vie éternelle, ne déboucha que sur l’habituelle déconfiture où l’espoir retourne au plomb, après que riches et pauvres, puissants et faibles eussent ensemble partagé l’illusion, les uns, d’accumuler encore plus de privilèges, les autres, de faire faux bond à leur misère. La bourgeoisie des villes trouva bientôt des méthodes plus probantes que l’alchimie pour accumuler sa fortune, et les solutions illusoires pâlirent sous cette lumière. L’alchimie, d’espoir populaire hérétique, se transforma en gadget pour cours princières décadentes, où mages et sorciers raccourcissaient l’ennui des longues soirées d’hiver, et elle ne suivit en cela que le destin habituel, le dépérissement en croyance individuelle, de toute pratique magique une fois qu’elle est séparée de sa société d’origine, et ne repose plus sur l’organisation collective du sacré. 3 2 2 2. . . R R Ré é éc c co o on n nc c ci i il l li i ia a at t ti i io o on n n e e en n nt t tr r re e e t t th h hé é éo o or r ri i ie e e e e et t t p p pr r ra a at t ti i iq q qu u ue e e L’un des traits les plus saillants de l’alchimie fut en effet sa nature double, à la fois théorique et pratique – nature double dont le succès témoignait du malaise croissant causé par le divorce entre la théorie purement contemplative du Moyen-Age, fortement accentuée par l’Eglise, et le caractère profane de la vie pratique, divorce que les rituels symboliques chrétiens ne parvenaient plus à compenser ni à masquer. La disparition du sacré par sa spécialisation contemplative, que le rituel chrétien était en passe d’achever, devait déboucher sur le désir de faire resurgir ce sacré, pratiquement ; il fallait, tant qu’on vivait sous l’empire du langage religieux, trouver moyen de sanctifier à nouveau le comportement pratique lui-même : que la vie ait un sens semblait à ce prix. L’impuissance de la contemplation religieuse faisait cruellement ressentir son néant, et perdait toute crédibilité, les hérésies millénaristes l’exprimèrent avec une parfaite clarté. L’alchimie s’en alla donc chercher dans le passé magique, dans lequel effectivement ce divorce n’existait nullement, la guérison d’un tel mal : réconcilier physique et métaphysiquev, spiritualiser la matière et matérialiser l’esprit, voilà essentiellement ce que fut son programmevi. Ce faisant, toutefois, l’alchimie entreprenait de lutter contre l’idéalisme institutionnalisé de l’Eglise avec les concepts de cette dernière, sans comprendre que le ver était dans le fruit ; la pierre philosophale ne put transformer en or le vil plomb parce que toute réconciliation était d’emblée impossible entre des termes dont l’existence même vise à leur séparation. Sous cet angle, l’alchimie tout entière n’est qu’un exercice de rhétorique, courant après une synthèse impossible entre des termes qui la rejettent intrinsèquement. La dialectique, qui est l’horizon de toute réconciliation, et dont la fusion alchimique n’est qu’une miniaturisation caricaturale, peut s’appliquer à des éléments réels, mais d’aucune façon à des notions fictives, comme celles de la religion : cet entendement-là ne peut être dépassé par aucune raison. Il ne peut que dépérir, et ne mérite que cela. La réconciliation entre théorie et pratique fut donc abordée d’une façon littéralement impossible : dans le respect des ces termes irréconciliables, c.à.d. aussi de la hiérarchie entre eux. Cette hiérarchie découle en droite ligne de la bipartition religieuse du réel : bipartition qui ne sert bien évidemment qu’à instaurer cette hiérarchie, qu’à privilégier 4 le « spirituel » et à dévaloriser le « matériel ». Dès lors, vouloir rapprocher les deux termes revient à restaurer d’une autre façon le rapport de sujétion entre eux. Cette « autre façon » est l’ancienne pensée symbolique. Sous son égide, le déploiement d’un savoir pratique ne poursuit pas autant la découverte de l’expérimenté que l’état subjectif même de l’expérimentateur : le réel ne sera qu’un détour vers la « sagesse » et la « perfection ». La réconciliation alchimique entre théorie et pratique devait ainsi se faire au profit de la théorie : l’alchimiste devait « s’emparer d’une matière en soi chaotique, la purifier et la ranimer afin de la rendre propre à s’imprégner ensuite de l’Esprit ; il fallait séparer, distribuer et mettre en valeur les natures diverses dont elle était formée, puis les conjuguer à nouveau en une unité harmonique, spiritualisation définitive qui muait la matière en pierre philosophale » (Andréa Aromatico). Le grand art est ainsi de reconstruire la matière selon l’esprit. Cela implique d’abord une destruction méthodique de la matière avant de la remettre dans une forme logique : projet en lui- même proche de celui, très peu alchimique, de Descartes ; mais pour Descartes le procédé demeure intellectuel, et tourné vers la langue commune qu’est l’abstraction uploads/Philosophie/ alchimie.pdf
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- Publié le Jan 26, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
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