Introduction du concept d’évolution humaine buissonnante dans les manuels scola

Introduction du concept d’évolution humaine buissonnante dans les manuels scolaires de sciences de la vie et de la Terre de terminale scientifique QUESSADA Marie Pierre, IUFM Montpellier et LIRDEF (Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche en Didactique Education et Formation - Didactique et Socialisation,) Montpellier CLEMENT Pierre, LIRDHIST (Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche en Didactique et en Histoire des Sciences et des Techniques), Villeurbanne Introduction Aujourd’hui en France, l’évolution humaine est enseignée dans le secondaire en Sciences de la Vie et de la Terre (SVT), en quatrième au Collège et, au Lycée, en première Littéraire, en première Economique et Sociale et en terminale Scientifique. Ce thème présente de façon exacerbée des éléments caractéristiques de la discipline SVT. C’est un thème où des découvertes majeures se sont succédées ces dernières années, chacune d’elles bouleversant les interprétations précédentes. Il relève de plusieurs champs disciplinaires tels que la paléontologie, la biologie moléculaire, l’anthropologie, etc. Comportant une dimension affective importante, il est très médiatisé : il s’intéresse à la lancinante question de nos origines. Citons à titre d’exemple de cette extraordinaire rapidité de la médiatisation, la dernière découverte paléontologique, Homo floresiensis, publiée dans Nature le 28 Octobre 2004 (Mirazon Lahr et Foley, 2004) et apparaissant dans un article du journal « Le Monde » dès le 1er Novembre 2004. En 2001, le nouveau programme de Terminale Scientifique1 comprend un thème de trois semaines sur la parenté entre êtres vivants actuels et fossiles, centré principalement sur la lignée humaine. Un des objectifs principal est de démontrer le caractère buissonnant de la lignée humaine. L’évolution humaine des précédents programmes2 datant de 1994 n’était pas décrite comme buissonnante. Le terme buissonnant fait son apparition dans les textes officiels, en 2000, dans la dernière phrase des accompagnements des nouveaux programmes des classes de première L et ES3 : « Cela invite à réfléchir sur le caractère buissonnant de la lignée humaine et sur sa réduction à une seule espèce aujourd’hui ». Nous nous sommes intéressés à l’introduction de ce nouveau concept à travers l’étude de manuels scolaires de Terminale Scientifique (éditions 1994 et 2002). Cadre théorique La transposition didactique Notre travail s’inscrit dans le contexte théorique de la transposition didactique (Verret, 1975 ; Chevallard, 1985, 1992). Le texte du savoir à enseigner (programmes et instructions officielles) présente les notions et les compétences à acquérir, les conditions et les contraintes 1 - 30 Août 2001 – BO Hors série n°5. 2 - 9 Juin 1994 - BO spécial n°6. 3 - 31 Août 200 – B.O. Hors série n°7. dans lesquelles se développe l’apprentissage. L’étude des programmes permet d’analyser les choix du système éducatif, en termes de connaissances mais aussi de valeurs à un moment donné (Clément, 1998). L’étude de manuels scolaires va nous apporter des informations sur la façon dont les auteurs interprètent le programme et par là même sur leurs conceptions, qui ne sont pas sans lien avec celles de la société civile en général et des enseignants de la discipline en particulier. Le manuel est un stade important de la transposition didactique, entre le savoir à enseigner et le savoir enseigné. C’est une source essentielle d’informations pour les élèves. Les particularités de la transposition didactique d’un concept fortement médiatisé et encore en débat dans la communauté scientifique ont été étudiées dans l’exemple de la tectonique des plaques (Roubaud et Dupin, 2003). Mathy (1997) dans son analyse des relations entre science et idéologie dans les manuels de SVT de l’enseignement secondaire belge et français, consacre tout un chapitre aux théories de l’Evolution mais n’analyse pas les parties des manuels consacrés à l’origine de l’espèce humaine. Or c’est précisément ce thème que nous avons décidé d’étudier, car il exacerbe les interactions possibles entre connaissances scientifiques et systèmes de valeurs (croyances, idéologies). Ce thème est actuellement très peu ou non enseigné dans plusieurs pays : par exemple au Liban (Harfouch & Clément 2001), dans certains états des USA (Lecourt, 1992), ou encore Grèce (Lakka et Vassilopoulou, 2004). Approche épistémologique du concept d’évolution buissonnante Une approche étymologique (A.Rey 1998) indique que, dès les premiers emplois connus du terme buisson, ce mot « désigne un bouquet d’arbrisseaux sauvages et rameux ». A contrario, la lignée « désigne seulement la descendance d’une personne », ce qui est classiquement représenté par un « arbre » généalogique. Une approche épistémologique suggère que les enjeux du remplacement du terme lignée par celui de buisson ne sont pas que langagiers. Tout d’abord, le sens commun de lignée, et d’arbre généalogique, s’oppose au sens scientifique de « lignée évolutive » et « d’arbre phylogénétique », ce qui risque d’introduire deux obstacles épistémologiques, qui sous-tendent les commentaires qui suivent. D’une part une confusion entre le temps historique récent d’une généalogie et le temps géologique de l’évolution ; d’autre part une confusion entre les liens directs de parenté entre individus dans une généalogie, et les liens indirects et hypothétiques entre espèces différentes dans une phylogenèse. La succession des espèces durant les temps géologiques se schématise par une représentation où figure la répartition des espèces fossiles en fonction de l’échelle stratigraphique du temps géologique. La présence de chaque espèce est indiquée par un trait vertical d’autant plus long que cette espèce a été retrouvée sous forme de fossiles durant une période géologique plus importante. Il s’agit de faits. La métaphore la plus courante indique que chaque espèce fossile correspondrait à une feuille d’arbre dont les branches, ramifications, troncs, n’ont pas laissé de traces. Ce type de schéma ne représente que ces « feuilles », sans lien entre elles. Etablir ces liens, sous forme toujours hypothétique, est l’objectif de la phylogénie. Ces liens résultent d’une part de la comparaison entre les espèces (au niveau des organes, des molécules, etc), d’autre part d’hypothèses sur les mécanismes évolutifs, telles que le principe de parcimonie pour les cladogrammes (Tassy 1986, Mayr 1996). Les comparaisons entre espèces (actuelles ou fossiles) permettent ainsi d’établir « des arbres phylogénétiques » qui les relient en fonction de leurs plus ou moins grandes ressemblances. « Un noeud (point de rencontre entre une branche mère et deux branches fille) n’exprime pas un spéciation mais une parenté fondée sur le partage de caractères uniques . En d’autres termes, le cladogramme dit « qui partage quoi avec qui » et donc « qui est plus proche parent de qui » et non pas « qui descend de qui » » (Lecointre, 1995). Ces deux modes de schématisation sont donc bien distincts, l’un représentant la présence d’espèces et la durée supposée de leur existence, l’autre des liens possibles, hypothétiques, entre ces espèces, sans datation de ces liens . Ils peuvent être superposés sur un schéma mixte qui tente de représenter des liens entre les espèces fossiles disposées en fonction de l’échelle des temps géologiques. Une première différence entre « arbre » et « buisson » peut ainsi être proposée. • En se situant à une origine de la vie supposée unique, les parentés entre toutes les espèces vivantes (actuelles comme fossiles) sont souvent conçues sous la forme d’un « arbre phylogénétique ». Cette construction intellectuelle suppose que cet arbre traverse les temps géologiques, donne des branches qui meurent (les espèces et groupes aujourd’hui disparus) et d’autres qui sont actuellement présentes sur terre. • En se situant dans une tranche de temps précise (récente et actuelle, ou lors d’une période géologique précisément datée), nous sommes confrontés à une coupe horizontale de l’arbre précédent, qui a alors l’aspect buissonnant de plusieurs arbrisseaux juxtaposés (et concurrents) dans un espace précis. Arbres, branches, ramifications, buissons, sont donc autant de métaphores possibles pour désigner des liens hypothétiques entre espèces, alors que le terme « lignée » évoque plus une succession directe entre espèces. Ainsi, tous ces termes cachent des implicites qu’il convient d’identifier Premier implicite : gradualisme ou équilibres ponctués ? S.J. Gould (1979) a proposé l’idée d’une évolution buissonnante, en développant clairement « le conflit entre « échelles » et « buissons » ». La métaphore de l’échelle, couramment employée pour l’évolution de l’homme, « renvoie à la conception populaire selon laquelle l’évolution serait une suite ininterrompue d’ancêtres et de descendants ». Ainsi se succèderaient de façon linéaire différentes espèces d’Homininés, certains étant déjà connus et d’autres correspondant à des « chaînons manquants ». Cette métaphore de l’échelle est aujourd’hui tombée en désuétude, mais a été relayée par celle de « lignée ». Derrière ces métaphores, ce sont deux visions théoriques divergentes qui se manifestent : L’échelle ou la lignée correspondent au modèle de l’évolution dite anagénétique, ou gradualisme, avec modification lente et progressive d’une espèce qui en donne une nouvelle. De plus, cette représentation est souvent finalisée (par exemple la lignée qui aboutit à Homo sapiens). Le buisson correspond au modèle des équilibres ponctués (Elredge & Gould 1972, Devillers 1996). Selon ce modèle, il est improbable de trouver des fossiles correspondant au moment de la formation de l’espèce qui est relativement rapide au sein d’une petite population. Les fossiles ne correspondent donc qu’à des espèces stabilisées et apparemment discontinues. Le premier modèle s’accorde avec le regroupement de nombreux fossiles uploads/Philosophie/ introduction-du-concept-d-x27-evolution-humaine-buissonnante-dans-les-manuels-scolaires-de-sciences-de-la-vie-et-de-la-terre-de-terminale-scientifique.pdf

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