La logique peut-elle prendre soin d’elle-même ? The New Wittgenstein, Alice Cra

La logique peut-elle prendre soin d’elle-même ? The New Wittgenstein, Alice Crary & Rupert Read (ed.), London & New York, Routledge, 2000. Go the bloody hard way. Wittgenstein Dans l’Avant-propos au Tractatus logico-philosophicus, Wittgenstein condense « tout le sens du livre en ces termes » : Ce qui peut être dit, peut être dit clairement, et sur ce dont on ne peut pas parler, il faut se taire. Ces termes semblent suggérer une distinction entre deux catégories de choses, celles dont on peut parler et celles dont on ne peut pas parler, et définir une tache : tracer une ligne de démarcation entre le dicible et l’indicible. Wittgenstein poursuit : Ainsi le but du livre est de tracer une limite au penser, ou plutôt – non au penser, mais à l’expression des pensées : car pour tracer une limite au penser, il nous faudrait pouvoir penser les deux côtés de la limite (il nous faudrait donc aussi pouvoir penser ce qui ne se laisse pas penser). La limite ne pourra donc être tracée que dans le langage, et ce qu’il y a au delà de la limite sera simple non-sens (einfach Unsinn). En s’ouvrant par une rétractation, le premier de ces deux paragraphes étaye-t-il la distinction suggérée, en remarquant que, s’il n’est aucun compromis possible entre le pensable et l’impensable, il en est un, en revanche, entre le sens et le non-sens, dont le médium n’est autre que le langage, et par le truchement duquel il est possible de faire signe – à défaut de pouvoir le dire – vers ce qui ne peut pas être dit, de tracer une limite entre le dicible et l’indicible ? Ou bien la révoque-t-il au contraire d’emblée, en insistant sur le fait qu’il n’y a rien de pensable de l’autre côté de la limite, qu’il n’y a rien – aucune chose ni aucun mode d’être – qu’il y ait un sens à dire indicible, et qu’on s’imagine, tout au plus, qu’il y a un sens à tracer une limite au penser, là où on peut seulement démarquer – au sein de la sphère des signes (dans le langage) – les signes en usage (le sens) des signes à l’état vacant (du non-sens), l’expression (la pensée) de la non expression (de la non pensée) ? La figure de l’échelle et la figure du cercle (le monde est recouvré après avoir été perdu1), qui apparaissent conjointement dans l’avant- dernière section (6.54) du Tractatus, résument la structure du livre : Mes propositions servent d’élucidations (erlaütern) en ceci que celui qui me comprend les reconnaît finalement comme dénuées de sens (unsinnig), lorsque par leur moyen, en passant sur elles, il les a surmontées. (Il doit pour ainsi dire rejeter l’échelle après y être monté.) Il lui faut dépasser (überwinden) ces propositions ; ensuite, il voit le monde correctement. L’auteur enjoint-il ici son lecteur à reconnaître, sans s’y arrêter, certaines limitations afférentes à la nature du langage, sur lesquelles il doit passer pour saisir les doctrines du Tractatus qui, dans la mesure où elles transgressent les limites du langage, peuvent seulement être exhibées et indirectement communiquées, à défaut de pouvoir être exprimées, par les pseudo-propositions du Tractatus – lesquelles sont, “à strictement parler”, des non-sens ; la figure de l’échelle requiert-elle une distinction entre le pur et simple non-sens (mere nonsense) et le non-sens profond (deep nonsense) ou éclairant (illuminating nonsense) au moyen duquel les pseudo-propositions parviennent à montrer ce qu’elles ne peuvent pas dire, les traits logiques du monde ? Ou bien, en évitant soigneusement de dire que celui qui comprend ses propositions les reconnaît finalement comme dénuées de sens, Wittgenstein suggère-t-il au contraire délibérément un contraste entre comprendre l’auteur du livre et comprendre ce que dit l’auteur du livre (le corps doctrinal du livre), et intime-t-il à son lecteur de reconnaître que les pseudo-propositions du Tractatus sont purement et simplement inintelligibles, plain nonsense, comme il faut alors traduire « einfach Unsinn » ? Rejeter l’échelle, est-ce taire ce dont on ne peut pas parler au profit d’une monstration silencieuse ? Ou bien l’idée de vérités ineffables sur le monde qui se refléteraient dans le langage fait-elle partie de l’échelle à rejeter, et faut-il simplement se taire ? Le Tractatus est un livre impossible, participant à la fois du fantasme du livre exhaustif (le monde tel que je l’ai trouvé) et du fantasme du livre apocalyptique (un livre qui ferait exploser tous les livres). Logiquement, il n’existe pas. Qu’avons-nous au juste entre les mains, une fois que nous avons rejeté l’échelle ?2 Le premier mérite des essais ici rassemblés, initiés par les travaux pionniers de Cora Diamond3 et de James Conant4 sur le Tractatus, et ancrés dans l’interprétation magistrale des Recherches Philosophiques par Stanley 1 Cf. Eli Friedlander, Signs of Sense, Reading Wittgenstein’s Tractatus, Cambridge, Massachusetts & London, England, Harvard University Press, 2001, p.24. 2 Cf. E. Friedlander, ibid., p.13. 3 « Throwing Away the Ladder : How to Read the Tractatus » (1984-85), « What Nonsense Might Be » (1977-80), « What Does a Concept- Script Do ? » (1983), in The Realistic Spirit, Cambridge, Massachusetts & London, England, MIT Press, 1991. 4 « Must We Show What We Cannot Say ? », in Fleming & Payne (eds.), The Senses of Stanley Cavell, Lewisburg, Pa., Bucknell University Press, 1989 ; « The Search for Logically Alien Thought : Descartes, Kant, Frege, and the Tractatus », Philosophical Topics, vol.20, n°1, Cavell5, est de nous mettre clairement en demeure de nous poser cette question en nous confrontant à cette alternative exégétique. Sa portée ne se restreint nullement, du reste, à l’œuvre du premier Wittgenstein, puisque l’alternative se reproduit, sous des formes structurellement analogues, pour l’œuvre du second Wittgenstein (comme l’atteste la structure bipartite du recueil), voire pour celle du dernier Wittgenstein6, ainsi que pour les divers aspects de son œuvre (voir en particulier les deux essais de H. Putnam et de J. Floyd sur le statut des mathématiques). A ce titre, la nouvelle physionomie de la pensée de Wittgenstein qui émerge de ces lectures est bel et bien la physionomie d’un « nouveau Wittgenstein »7. Pour Conant et Diamond, le Tractatus fait sienne une « conception austère du non-sens » et sape la distinction entre deux espèces logiques de non-sens à laquelle ont recours, plus ou moins consciemment, les lectures qu’ils appellent (dans une terminologie dont le recueil scelle l’obsolescence) les « lectures orthodoxes du Tractatus » (« standard readings of the Tractatus ») dont les commentaires classiques de G.E.M. Anscombe, M. Black, F. Ramsey, G.E.M. Anscombe, et les travaux plus récents de G. Baker, H. Glock, P.M.S. Hacker sont les principaux représentants (les éditeurs ont tenu à inclure dans le volume, sous la rubrique « A dissenting voice », un essai de Hacker – qui fait à la fois exception au volume et contrepoids aux autres essais – moins à titre d’exemple d’une interprétation “orthodoxe” de Wittgenstein qu’à titre de tentative de réfutation de l’interprétation de Conant et Diamond). La lecture « austère », ou encore « résolue », du Tractatus prend le contre-pied de P. M. S. Hacker quand il écrit dans Insight and Illusion : « Le Tractatus consiste effectivement largement en pseudo-propositions. Naturellement, ce que Wittgenstein veut dire par ces remarques (comme ce que le solipsiste veut dire (TLP, 5.62)) est, selon lui, tout à fait correct, seulement cela ne peut pas être dit. Apparemment, ce que quelqu’un veut dire ou entend par une remarque peut être saisi même si ce que dit la phrase prononcé est à strictement parler du non-sens. »8. La lecture austère trouve son expression la plus condensée, la plus célèbre et peut-être aussi la plus polémique dans l’essai séminal de Diamond, « Throwing Away the Ladder » : Une des choses qui d’après le Tractatus se montre mais ne peut pas être dite est ce que Wittgenstein désigne comme la forme logique de la réalité. Ainsi tout se passe-t-il comme s’il y avait ceci, quoi que ce soit, la forme logique de la réalité, quelque trait essentiel de la réalité qu’a la réalité, d’accord, mais dont nous ne pouvons pas dire ou penser qu’elle l’a. Qu’est- ce qui est censé au juste demeurer, une fois que nous avons rejeté l’échelle ? Allons-nous maintenir l’idée qu’il y a quelque chose dans la réalité vers quoi nous pouvons faire signe, aussi mal que ce soit, quand nous parlons de ‘la forme logique de la réalité’, de sorte que cela, ce vers quoi nous faisons signe, est là mais ne peut pas être exprimé en mots ? / Voilà ce que je tiens à appeler se dégonfler (chickening out). Ce qui compte comme le fait de ne pas se dégonfler, c’est alors en gros ceci : rejeter l’échelle, c’est, entre autres choses, finir par rejeter la tentative pour prendre au sérieux le langage des ‘traits de la réalité’. Lire Wittgenstein comme ne se dégonflant pas c’est dire que ce n’est pas, pas vraiment, sa conception, qu’il y a des traits de la uploads/Philosophie/ narboux-2001-la-logique-peut-elle-prendre-soin-d-x27-elle-me-me.pdf

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