01/11/2017 Lectures de Michel Foucault. Volume 2 - Aufklärung et modernité phil
01/11/2017 Lectures de Michel Foucault. Volume 2 - Aufklärung et modernité philosophique : Foucault entre Kant et Hegel - ENS Éditions http://books.openedition.org/enseditions/1223 1/25 1 ENS Éditions Lectures de Michel Foucault. Volume 2 | Emmanuel Da Silva Aufklärung et modernité philosophique : Foucault entre Kant et Hegel Franck Fischbach p. 115-134 Texte intégral Il est pour le moins risqué de rapprocher Hegel et Foucault, et ce dernier, après tout, nous a prévenus : « Toute notre époque, écrit-il, que ce soit par la logique ou par l’épistémologie, que ce soit par Marx ou par Nietzsche, essaie d’échapper à Hegel »1. Foucault entendait évidemment dire par là que sa propre entreprise était à ajouter au nombre des 01/11/2017 Lectures de Michel Foucault. Volume 2 - Aufklärung et modernité philosophique : Foucault entre Kant et Hegel - ENS Éditions http://books.openedition.org/enseditions/1223 2/25 2 Il me semble que le choix philosophique auquel nous nous trouvons confrontés actuellement est celui-ci : on peut opter pour une philosophie critique qui se présentera comme une stratégies visant à « échapper à Hegel ». Mais il savait aussi combien il est difficile de lui échapper : non seulement cette tentative comporte toujours avec elle le risque d’échapper à la philosophie en même temps qu’à Hegel, mais en outre, comme Foucault l’a lui-même remarqué, le « recours contre [Hegel] est encore peut-être une ruse qu’il nous oppose et au terme de laquelle il nous attend, immobile et ailleurs »2. Nous ne voudrions pas être l’instrument de cette ruse par laquelle le logos hégélien viendrait reprendre dans soi le discours foucaldien et c’est pourquoi nous préciserons d’abord ce dont il ne sera pas question ici. Il ne s’agira pas de se demander ce que Foucault doit à Hegel, ce qu’il en a lu et retenu3, et d’entreprendre ainsi une généalogie hégélienne de Foucault que, de toute façon, on ne pourrait que très largement inventer. Pas davantage il ne s’agira de lire Hegel avec les lunettes de Foucault et d’entreprendre ainsi une interprétation foucaldienne de Hegel à laquelle ce dernier ne se plierait d’ailleurs que très difficilement. Nous ne ferons donc pas ici œuvre d’historien de la philosophie : en effet, accomplissant l’épochè archéologique qui consiste en « la mise en suspens de toutes les unités admises »4, parmi lesquelles notamment celles de l’œuvre et de l’auteur, nous ne nous intéresserons pas à ces œuvres qui ont nom « Hegel » et « Foucault » pour chercher dans la seconde la très hypothétique trace d’une influence de la première. Nous tâcherons en revanche d’orienter notre attention vers une certaine pratique de la philosophie, institutrice d’un rapport au présent ou à l’actuel, une pratique ou un êthos philosophique dont Foucault, dans des textes tardifs, a diagnostiqué l’apparition chez Kant, une pratique qu’il dit avoir lui-même cherché à mettre en œuvre, se plaçant ainsi, toujours d’après ses propres dires, dans une lignée philosophique au sein de laquelle Foucault n’hésite pas à inscrire la figure de Hegel. Dans la leçon au Collège de France consacrée à l’opuscule kantien Qu’est-ce que les Lumières ? (1784), Foucault remarquait ceci : 01/11/2017 Lectures de Michel Foucault. Volume 2 - Aufklärung et modernité philosophique : Foucault entre Kant et Hegel - ENS Éditions http://books.openedition.org/enseditions/1223 3/25 3 4 philosophie analytique de la vérité en général, ou bien on peut opter pour une pensée critique qui prendra la forme d’une ontologie de nous-mêmes, d’une ontologie de l’actualité ; c’est cette forme de philosophie qui, de Hegel à l’École de Francfort en passant par Nietzsche et Max Weber, a fondé une forme de réflexion dans laquelle j’ai essayé de travailler5. l’activité philosophique conçut un nouveau pôle, et ce pôle se caractérise par la question, permanente et perpétuellement renouvelée : « Que sommes-nous aujourd’hui ? » Et tel est, à mon sens, le champ de la réflexion historique sur nous- mêmes. Kant, Fichte, Hegel, Nietzsche, Max Weber, Husserl, Heidegger, l’École de Francfort ont tenté de répondre à cette question. M’inscrivant dans cette tradition, mon propos est donc d’apporter des réponses très partielles et provisoires à cette question à travers l’histoire de la pensée ou, plus précisément, à travers l’analyse historique des rapports entre nos réflexions et nos pratiques dans la société occidentale6. Dans un autre texte, légèrement antérieur (« La technologie politique des individus », 1982), Foucault complète, en y ajoutant quelques noms, cette tradition philosophique dans laquelle son travail vient s’inscrire : à la fin du XVIIIe siècle, écrit-il, On pourrait s’étonner de l’absence de Marx dans ce texte de 1982 : entre Hegel et l’École de Francfort, il est manifestement le chaînon manquant. Un texte de 1984, « La vie : l’expérience et la science », remédie à cet oubli en précisant qu’en Allemagne, la question de l’Aufklärung, c’est-à-dire la question du lien entre la rationalité et son présent ou son contexte, est une question dont porte témoignage une lignée qui s’étend « des posthégéliens à l’École de Francfort et à Lukacs, en passant par Feuerbach, Marx, Nietzsche et Max Weber »7. Mais cette rectification ne fait qu’accroître notre étonnement : Foucault fait hériter de ce qu’il appelle la question de l’Aufklärung une tradition philosophique dont l’unité réside bien plutôt dans la critique qu’elle a faite de l’Aufklärung. La chose est évidente pour Nietzsche, mais elle n’est pas moins vraie de Marx, du jeune Lukacs et de l’École de Francfort dont les deux principaux fondateurs, Adorno et Horkheimer, sont tout de même les 01/11/2017 Lectures de Michel Foucault. Volume 2 - Aufklärung et modernité philosophique : Foucault entre Kant et Hegel - ENS Éditions http://books.openedition.org/enseditions/1223 4/25 5 auteurs d’une Dialektik der Aufklärung où ils établissent le diagnostic d’une régression de l’Aufklärung vers la mythologie, régression dont les causes sont à chercher selon eux dans l’Aufklärung elle-même8. Pour toute cette tradition dans laquelle Foucault veut s’inscrire, l’Aufklärung fut effectivement l’institutrice de la modernité, mais elle est aussi à l’origine de toutes les dérives de cette modernité, et notamment de la transformation de la raison en technique de domination et de la régression de la raison vers le mythe, particulièrement dans la figure idéologique du progrès. En conséquence, nous proposons ici l’examen de deux thèses : premièrement, ce que Foucault appelle l’êthos philosophique moderne et qui consiste pour la philosophie à questionner le présent auquel elle appartient, cette pratique philosophique ne serait pas apparue avec l’Aufklärung, mais immédiatement après elle ; deuxièmement – et c’est la conséquence de la première thèse – la pratique moderne de la philosophie comme diagnostic du présent ou de l’époque est indissociable d’une critique de l’Aufklärung, c’est-à-dire d’une prise de conscience des limites internes de l’Aufklärung et des dérives pathologiques qui sont les siennes. Ce faisant, nous resterons fidèles à l’attitude que Foucault recommandait d’adopter relativement à l’Aufklärung : « On doit échapper à l’alternative du dehors et du dedans, écrivait-il ; il faut être aux frontières »9. Nous ne nous situerons donc ni dans ni vraiment hors de l’Aufklärung, mais à la frontière, à l’articulation de l’Aufklärung et de ce qui l’a suivie ; autrement dit, il sera question de Hegel et de la manière dont sont apparus chez lui, et en même temps, le diagnostic du présent et la critique de l’Aufklärung. On sait que pour Hegel la toute première tâche qui s’impose à la philosophie est la tâche consistant à déterminer dans leur plus radicale singularité l’aujourd’hui et le maintenant de la pensée, démarche par laquelle la philosophie constitue son aujourd’hui comme le moment de sa propre actualité, comme le maintenant (ou jamais) d’une entreprise philosophique absolument singulière et littéralement inouïe. Et pourtant, lorsque Foucault entreprend de localiser l’événement à partir duquel la philosophie s’est comprise 01/11/2017 Lectures de Michel Foucault. Volume 2 - Aufklärung et modernité philosophique : Foucault entre Kant et Hegel - ENS Éditions http://books.openedition.org/enseditions/1223 5/25 6 7 comme un diagnostic du présent, c’est à Kant et à l’Aufklärung qu’il pense plutôt qu’à Hegel et à l’idéalisme allemand. Il ne s’agit pas là d’un oubli puisque Foucault mentionne bien Hegel, mais d’une démarche volontaire par laquelle Foucault contourne Hegel, le relativise et en même temps le situe en localisant en deçà de lui l’apparition de la pratique moderne de la philosophie comme diagnostic du présent – une pratique qui fut pourtant aussi explicitement revendiquée par Hegel qu’elle fut mise en œuvre par Kant de manière largement inconsciente. C’est par la bande, « de façon un peu subreptice et comme par accident », reconnaît Foucault10, que la question de l’actualité s’est introduite en philosophie à la fin du XVIIIe siècle. De ce tournant au commencement quasi imperceptible, mais où se jouait rien de moins que l’entrée dans la modernité philosophique11, Foucault veut voir le symbole dans « le débat qui s’est noué [en 1784] dans la Berlinische Monatsschrift et qui avait pour thème : Was ist Aufklärung ? »12, qu’est-ce que les Lumières ? C’est la réponse de Kant13 qui retient l’attention de Foucault, même si Kant n’est pas le seul à avoir répondu à la question soulevée par le pasteur Johann Friedrich uploads/Philosophie/aufklarung-et-modernite-philosophique-foucault-entre-kant-et-hegel.pdf
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- Publié le Jui 30, 2021
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