1 CAUSE ET CONSENTEMENT I - Cours du 18 novembre 1987 J’ai à faire un choix, po

1 CAUSE ET CONSENTEMENT I - Cours du 18 novembre 1987 J’ai à faire un choix, pour un an, d’un thème, d’un titre auquel m’adosser pour prononcer ici un cours qui vous communique non pas l’état, mais le mouvement d’un effort, d’un effort de réflexion. Cet effort de réflexion se poursuit ici même, dès lors que je n’apporte jamais ici une construction achevée mais des éléments, des feuilles qui ne sont pas reliées dans un ordre invariable. Donc, lorsque j’ai à faire ce choix, j’ai une discipline qui consiste à ce que je me rapporte non pas à ce que je sais, mais vraiment à ce que j’ignore. Ce n’est pas seulement parce que le facile m’ennuie, mais parce que je vais vers ce qui me résiste. Si j’ai une pente, c’est une pente vers le difficile. C’est une pente vers ce que j’évite. Autrement dit, je m’efforce de prendre pour cible ce que je contourne, ce que je pense avoir contourné auparavant. J’arrive donc devant vous comme celui qui ne sait pas. Mais être ici, à cette place d’enseignant où je me trouve, c’est accepter d’être mis en demeure d’avoir un savoir. Ca veut dire que le fait que je consente à être ici, vous donne une créance sur moi. Ces deux termes de demeure et de créance sont des termes juridiques et qui concernent le sujet comme sujet de droit. La demeure, quand il s’agit de la mise en demeure, ce n’est pas la maison ou l’habitation ou le chez-soi, mais exactement le retard. La demeure au sens propre, au sens ancien, c’est là où l’on reste et où l’on prend du retard par rapport à ses dettes. C’est de là que le terme de demeure en est venu à signifier là où l’on est chez soi. Donc, dans ce cours, je ne suis pas dans ma demeure mais en demeure. Je ne suis pas chez moi, je suis en retard sur ce qu’il y a à savoir. Lorsqu’on dit qu’il y a péril en la demeure, ça ne veut pas dire qu’il y a le feu à la maison, ça veut dire qu’il y a péril au retard. Cela dit, on comprend bien pourquoi ça a glissé à ça. En effet, quand on a le feu aux trousses, on ne peut plus tarder. Donc, le commencement d’un cours, pour moi, c’est cela : une mise en demeure qui vient de vous, vous qui me rendez déjà responsable du retard que je mets à remplir mes obligations. J’ai dit que de ce fait, je vous donnais une créance. Du seul fait d’occuper cette place, je suis déjà votre débiteur, puisqu’une créance, juridiquement, c’est ce qu’on a le droit d’exiger de quelqu’un. Apparemment, les choses en sont venues au point que vous avez le droit d’exiger de moi que je m’y retrouve dans la psychanalyse, dans sa pratique et dans sa théorie, telle qu’elle est avant tout articulée pour nous par Lacan. Je me sens évidemment très inégal à ce droit que l’on a sur moi. En plus, puisque c’est une créance, il faut que je considère que c’est un service que vous me rendez. En effet, du fait que vous êtes là, je suis obligé de penser que vous pensez que je suis solvable sur cette question. La créance, c’est le même mot que celui de confiance, que celui de croyance. Je vous ai apparemment donné créance en ma véracité. De ce fait, il faut que je tienne compte de ceci, qui est un poids, que vous ajoutez foi à ce que je dis. Autrement dit, c’est bien votre créance qui me met en demeure. Autrement dit, je ne peux pas rêver que je suis seul dans le rapport à l’ignorance et au savoir. Dans ce cours, il faut que je tienne compte, depuis le début et structuralement, du fait que vous êtes là en tiers, et que, si je me livre à penser, à réfléchir et à écrire, c’est en fait pour, ce cours, le parler en public, pour le public que vous constituez. Ca veut dire qu’il faut que je tienne compte du fait que dans une certaine aire, dans une certaine surface, il y a des gens pour donner créance à ce que je dis concernant la psychanalyse, et que par là, quoi que j’en aie, quoi que je m’en sente, je suis, dans cette aire, supposé savoir. Je ne formule ceci que pour la surprise que ça comporte pour moi. Je ne dis pas que je sois le seul à être supposé savoir, je dis que je le suis. Cette aire, je peux la désigner. Elle ne recouvre pas entièrement le public qui est ici, bien qu’il entretienne avec elle des rapports étroits. Ce public est jointé à cette aire qui s’appelle l’Ecole de la Cause freudienne. Du coup, je me sens responsable, je suis amené à me sentir responsable non seulement de ce que je fais et de ce que je dis, mais aussi de ce que font dans la psychanalyse ceux qui donnent créance à ce que je dis. C’est écrasant et ça ne porte pas à la bonne humeur. Se joue donc ici une partie. Peut-être se jouait-elle déjà avant que je sois en demeure, mais je ne m’en rendais pas compte. Je ne m’en rendais pas compte parce que je croyais être chez moi. J’étais seulement en retard. La partie qui va se jouer va donc encore se calculer pour moi entre mon ignorance, abyssale, insondable, et les créants. Il faut que 2 j’arrive à rester juste en deçà de mon ignorance et à me placer un pas en avant de notre savoir, afin que je puisse, à ce savoir, lui donner du branle et essayer de piquer au bon endroit. Chaque année, bien sûr, je prends la suite. Seulement, ça n’a rien d’automatique, je dois refaire le calcul à chaque fois. Je dois aussi faire foi dans la rencontre. Ce que je voudrais faire comme cours cette année répond à un calcul dont j’indique la complexité, puisqu’il porte à la fois sur mon rapport à mon ignorance et à mon savoir, mais aussi à l’effet que ça a fait à ceux qui me font créance. Ce cours répond donc à un calcul complexe, mais simplifions tout cela au sentiment d’urgence. D’ailleurs, c’est l’urgence qui commande. Je fais le calcul après, pour comprendre. J’ai le sentiment d’une urgence. Cette urgence, je peux la formuler d’une façon qui ne vous dira pas grand chose, en disant qu’il s‘agit que notre structuralisme ne verse pas dans le mécanisme. De le formuler ainsi me fait apercevoir que je suis dans la position de devoir vouloir que ça fasse de l’effet. Paul Valéry trouvait ça d’un vulgaire… Vulgaire serait de parler pour vouloir faire de l’effet à un public. On peut aussi vouloir faire le dégoûté, mais, pour les raisons que j’ai dites, je ne le peux pas, ou je ne le peux plus. Ce sentiment d’urgence, je vais le dire autrement. Il s’agit de serrer plus près ce que nous faisons dans l’analyse, et de serrer plus près dans la théorie ce que nous en disons entre praticiens, dans le coloque des praticiens. Au fond, quelle place faisons-nous dans la théorie à ce qu’on peut entendre dire d’un patient ? Nous nous réglons sur le dit lacanien de ne pas répondre à la demande, mais il y a quand même une demande à laquelle nous répondons, à savoir la demande d’analyse. Bien sûr, cette demande d’analyse, nous l’encadrons, nous la soupesons, nous la prenons avec des pincettes. Cela s’appelle les entretiens préliminaires. Mais il y a bien un élément que nous exigeons et qui est une initiative de la part de celui qui vient nous voir, à savoir qu’il y mette du sien. Il y a bien un élément d’initiative qui est là inéliminable, un élément d’auto-affirmation. Autrement dit, comment est compatible que voisinent pour nous, dans la psychanalyse, la notion d’un déterminisme du sujet – notion qui est massivement accentuée par Lacan quand il formule que le sujet est l’effet du signifiant et que l’objet a est la cause du désir – avec l’appel que nous faisons à la valeur de l’initiative et même à l’exigence de la décision ? C’est pourquoi l’expression de désir décidé pose la question de ce qui est, dans l’expérience analytique, présent d’un appel fait à la volonté libre, c’est-à-dire à la volonté qui peut s’engager dans un devoir. C’est cette problématique qui est à la fois désignée et étouffée lorsqu’on met en avant des termes comme celui de contrat initial nécessaire au départ d’une analyse. Ce terme n’est certes pas fait pour nous satisfaire, mais celui qui vient à la place, celui de désir décidé, ne fait que mettre en pleine lumière le paradoxe que le terme de contrat efface. L’appel d’une instance qui peut s’engager dans un devoir, c’est bien ce que comporte en soi-même l’impératif freudien rappelé par Lacan et traduit de diverses façons, uploads/Philosophie/ jacques-alain-miller-cause-et-consentement-cours-1987-1988.pdf

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