MALEK BENNABI LA LUTTE IDEOLOGIQUE Traduit de l'arabe par Nour-Eddine Khendoudi
MALEK BENNABI LA LUTTE IDEOLOGIQUE Traduit de l'arabe par Nour-Eddine Khendoudi EL BORHANE ( c El Borhane, 2005. pour la traduction française. PREFACE A L'EDITION FRANÇAISE Bennabi ou la périlleuse solitude d’un combattant sur le front idéologique Après la parution de son livre Le Problème de la culture Malek Bennabi confirme, avec La Lutte idéologique dans les pays colonisés et Le Problème des idées dans le monde musulman notamment, l'originalité d'une oeuvre qui met en évidence le rôle des idées dans la vie des hommes et des nations. C’est pourquoi le lecteur averti, bien au fait de la pensée arabe moderne, peut saisir, d'emblée, la différence et la portée des questionnements tels que livrés par Bennabi à la réflexion et comment ils n’ont jamais été abordés avant lui dans toute l'aire arabe. On appréciera, en outre, la nouveauté des thèmes, la précision de l’approche, la démarche méthodique et la rigueur du raisonnement. Bennabi contourne les utopies qui traduisent le passéisme outrancier des uns et évite le suivisme inconsidéré des autres. Ce ne sont pas là les chemins de la renaissance ; ce sont des illusions qui n'ont fait qu'aggraver le cas et les thérapies qu’ils ont inspirées n’ont fait qu’accentuer le mal. Illusions et fausses thérapies entretenues dans les pays arabes par les intellectuels plus enclins à la polémique et à s'enliser dans les guéguerres idéologiques abstraites. Une bonne partie du temps est consommé pour vanter les mérites de modèles sortis d’un autre temps soit nés sous d’autres deux. C’est donc au milieu de ce brouhaha général et en plein milieu de ces 6 La Lutte idéologique querelles bruyantes des intellectuels arabes que Bennabi, cavalier solitaire, est apparu sur la scène. * Ce sont tous ces problèmes de la civilisation, c’est-à-dire le drame des peuples dans toute l'aire méridionale de la planète des hommes, qui étaient la préoccupation majeure de Bennabi, «apôtre et chantre de la renaissance » comme le qualifiait son ami de toujours, le Dr Abdelaziz Khaldi. Le réveil des peuples du Sud, leur décollage et leur réintégration dans l'histoire passent par la création d'une dynamique qui met fin à l’inertie qui frappe les énergies, bloque les potentialités et ankylose les esprits. Si pour lui, les trois acteurs de l'histoire sont : les personnes, les idées et les choses, et si la civilisation reste une action concertée de ces trois éléments elle est, toujours, in fine, fonction d'une idée, son produit, en somme. Ce qui explique son combat pour initier les jeunes intellectuels à la question déterminante des idées, à leur rôle dans l'histoire et partant, dans la civilisation. Problème essentiel à résoudre, les idées demeurent, ainsi, à la base de ce blocage. Les idées, ces êtres vivantes qui se placent, au sein au cœur de toute dynamique, de toute épopée humaine ou, par leur panne, expliquent tous les maux des peuples. En fin de compte, et plus que tout autre facteur, c'est toujours sa majesté l'idée qui détermine l'orientation des sociétés et fixe leur sort dans le concert des nations. C'est pourquoi, « les victoires se décideront sur le front de la bataille idéologique », écrivait Bennabi. * La Lutte idéologique dans les pays colonisés, premier essai que Bennabi a écrit directement en arabe en 1960 au Caire où il a résidé comme réfugié politique de 1956 à 1962. L'ouvrage est surtout un témoignage doublé d'un démontage du subtil jeu d'un combat contre les idées. Le lecteur trouvera quelques éléments d’autobiographie livrés à travers quelques jalons d'une vie tourmentée. L'endurance du penseur, les aspects d'un combat inégal, engagé dans l'indifférence et l'ingratitude. Tout ce passe, en plus, dans le sillage d'une coalition sinistre entre le colonialisme et la colonisabilité, d'une complicité périlleuse entre le coquin et la moukère, comme il aimait qualifier les deux acteurs en chef, du drame du monde musulman et du tiers- monde, en général. Préface à l'édition française 7 Les séquences de la lutte se passent au Caire. Bennabi, enthousiasmé par la Révolution de juillet 1952 (il désenchantera amèrement, par la suite), est arrivé de France avec son ouvrage L’Afro-Asiatisme. Dans cet ouvrage, il appelle à un vaste bloc englobant le monde musulman et les espaces chinois et hindous. Une éventualité qui soulèvera les craintes des stratèges américains, par la voix de Samuel Huntington, dans son retentissant Le Choc des civilisations, près d'un demi-siècle après. Militant engagé, il relate comment il a été, lui-même, poursuivi dans la capitale égyptienne par des agents en charge d'une mission aussi spéciale que curieuse, du moins pour les intellectuels qui ne croient pas au rôle des idées et leur importance capitale : mission de traquer certaines idées et leurs auteurs pour les annihiler et leur soustraire toute efficacité. D'ailleurs, ses mésaventures sont explicites dans l'ouvrage. L'ouvrage reste aussi l’histoire d'un combat nébuleux et sournois qui échappe généralement à l'entendement voire aux facultés d'assimilation, dans les pays du tiers-monde. L'auteur avertit que les moyens utilisés ne sont pas exhaustifs. Le combat est long et pénible. Il est livré au mieux dans l'isolement, l'indifférence et loin de tout appui. Au pire, il est mené dans l'hostilité générale de la société que l'auteur ou le promoteur des idées entend défendre contre les agressions sournoises, insidieuses et funestes. Bennabi, lui-même, et son œuvre ont payé le tribut de cet appel. Ceux qui s’y mettent l'auront fait à leur dépends. Ils auront à confronter un terrible dilemme : trahir leur société pour le compte de ses ennemis ou subir les fourbes de ces derniers qui peuvent dresser la société contre eux. L’auteur dépeint, parfois pathétiquement, les contours et le fond de cette pénible et paradoxale réalité On comprend mieux pourquoi sa pensée est en passe d'être ensevelie avec lui. Il me reste au terme de cette présentation de dire mes vifs remerciements à Madame Rahma Bennabi, la fille du penseur, pour la confiance qu'elle m'a témoignée en me demandant de prendre en charge les travaux de traduction de certains ouvrages de son père. L'objectif partagé est de soustraire de l'oubli une oeuvre profonde, limpide et, pour tout dire, rare et efficace. N. E. K. Alger, juillet 1998. INTRODUCTION DE L'EDITEUR LA LUTTE DANS QUEL BUT ? « Plus j'aime l'humanité en général, moins j'aime les gens en particulier. » Dostoïevski, Les Frères Karamazov. L’idée de l’empire se confond avec celle de l’hégémonie : depuis les empires orientaux de l’Antiquité, la guerre du Péloponnèse, paroxysme des luttes pour l’hégémonie, jusqu’en 1939 où en Europe le IIIe Reich allait, avec une idéologie à base « biologique », prétendre à une hégémonie mondiale, et cette sentence du général de Gaulle : « C’est une histoire étemelle. Chaque empire, à son tour, prétend à l’hégémonie. Il en sera de même jusqu’à la fin du monde.» Si nous analysons les empires, leur mode d’extension et le type d’hégémonie qu’ils ont exercés, nous aurons deux cas de figure : une volonté 10 La Lutte idéologique hégémonique au sein d’une même civilisation (la guerre entre nations de même culture comme par exemple la bataille de Sadowa ou le cas du IIIe Reich) ; une volonté hégémonique d’une civilisation sur les « autres » (le cas du colonialisme du XIXe siècle). Pour la première variante et très récemment, les nazis ont fait de l’Europe un terrain d’affrontements pour des raisons évidentes de domination et de puissance, et on pouvait lire les intentions affichées de ses dirigeants: «Compte tenu de sa vocation éminemment civilisatrice, l’Allemagne sera puissance ou ne sera pas ». Avant que Maurice Barrès n’analyse merveilleusement dans Colette Baudoche cet affrontement entre deux civilisations de même nature avec des arguments nationalistes, Balzac écrira « sans se donner la peine d’essuyer ses pieds qui trempent dans le sang jusqu’au cheville, l’Europe n’a-t-elle pas sans cesse recommencer la guerre» et de Gaulle nous racontera dans ses Mémoires de guerre combien il était ému lorsque ses parents évoquaient devant lui les batailles perdues, le siège de Paris et la séparation de l’Alsace, ce qui cultivera chez lui la situation diminuée de la France. Il nourrira d’ailleurs cette ambition pour que le peuple français redevienne une « vedette de l’histoire ». Le reste, tout le reste, est connu. Une Seconde Guerre mondiale avec des millions de victimes. La lutte dans quel but ? La volonté de puissance et la domination. Pour la deuxième variante, l’exemple le plus probant est sans doute le colonialisme du XIXe siècle. Cette partie nous intéresse particulièrement puisque c’est cette lutte que Bennabi envisage dans l’ouvrage la Lutte idéologique dans les pays colonisés (l’évolution des mots ne change pas le fond du problème). Or, Bennabi ne s’intéresse qu’à un aspect de cette lutte : le comment ? Il écrit : « Nous nous sommes déjà demandé comment se conduit le colonialisme (...). Cette question comporte, en fait, deux aspects : le premier a trait à la manière (comment ?) et le second à la raison (pourquoi ?). Nous l'étudions ici à travers le premier aspect uniquement. » Or, la question du pourquoi est d’un intérêt capital pour la nature uploads/Philosophie/ la-lutte-ideologique-malek-bennabi.pdf
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- Publié le Fev 10, 2021
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