Jean-Luc Nancy :Critique, crise, cri (unser Zeitalter ist nicht mehr das eigent
Jean-Luc Nancy :Critique, crise, cri (unser Zeitalter ist nicht mehr das eigentliche Zeitalter der Kritik) Jean-Luc Nancy La critique comme principe de sélection, de discernement et distribution ou redistribution nécessite un critère et une faculté capable de discerner. Si la critique présuppose une résolution et une forme d’ordre, elle présuppose aussi des conditions et limites susceptibles d’un débordement. Jean-Luc Nancy, invité de la rubrique « Mauvaises pensées » de Jean-Clet-Martin, interroge ici ces conditions et limites mais aussi ce qui à travers l’histoire, et pour nous aujourd’hui, à la fois sépare et relie la critique et ce qui la problématise : la crise, et le cri. Kleines Vorwort : Warum wird es heute so oft wieder von « kritischem Denken » gesprochen ? Weil es als Alternative aftaucht zu dem sogenannten “eindimensionalen Denken” oder “Einheitsdenken” (auch manchmal “Gleichschaltung des Denkens”). Aber das eindimensionale Denken – nämlich globalisierte und globalisierende Denken – ist selber aus dem Verschwinden des kritischen-alternativen Denken herausgekommen. Will man also zurück greifen ? Natürlich will man das nie. Man will etwas neues. Aber man bleibt bei dem Wort “kritisch” weil gerade dieses Wort scheint – vielleicht allein – noch eine Schärfe zu besitzen. Gerade die akoustische Schärfe, die man be idem Wort erfährt. Es krispelt, es kritzelt, seit Kant und Marx öffnet es öffnet eine Krise. Heisst es aber heute mehr als ein Geraüsch ? 1 La critique discerne, distingue et permet de répartir les objets de pensée en recevables et non-recevables. Quelques grandes étapes jalonnent l’histoire philosophique de ce concept. Kant distingue les phénomènes (construits par des opérations d’entendement conjointes à des données sensibles) par rapport aux représentations d’un réel en soi non soumis à une telle construction. Marx distingue l’enchaînement des moments de la production, de l’échange et de l’appropriation selon les moments de l’Idée hégélienne par rapport au même enchaînement selon les conditions réelles, à un moment donné, de la propriété des moyens de production. S’il y a pour Husserl une « crise des sciences européennes » c’est parce que les sciences ne peuvent plus prétendre nous indiquer « le sens de l’existence » et qu’il faut donc distinguer ce dernier de leur scientificité. Avec la Critique de la raison dialectique Sartre désire distinguer en regard de la rationalité des sciences une « raison nouvelle » œuvrant à la « compréhension de l’homme par l’homme ». Enfin, tout au long de cette longue séquence et depuis le XVIIe siècle la critique littéraire et artistique distingue entre les œuvres qui se conforment à des programmes déjà répertoriés et celles qui créent une forme inédite, peut-être mal identifiable et toutefois reconnaissable comme douée d’une vertu esthétique. Chacune de ces dispositions critiques engage le recours à un critère ou à un système critériologique : l’expérimentation scientifique définie par la mesure, la valeur du produit rapportée à son producteur, la vertu esthétique comme mise en œuvre d’une certaine idée du beau ou du sublime. Chacun de ces critères appelle à son tour une détermination préalable : celle de la mesure et de son calcul, celle de la valeur de l’homme en tant que producteur de sa propre existence, celle du beau ou du sublime déterminée – par exemple – du côté de l’harmonie ou bien du côté de l’irrégularité. Le critère doit lui-même sortir d’une opération critique. Celle-ci d’un même mouvement diagnostique un conflit, une contradiction, en somme une défectuosité ou une maladie et par le discernement de sa cause rend possible la dénonciation de l’agent pathogène et l’indication du remède. Cette description médicalisante rejoint simplement, comme on le sait, les emplois des mots krisis et krinein chez Hippocrate. Le discernement, la dia-gnose de la maladie suppose une détermination de l’état sain. S’il y a bien une santé moyenne, régulière, qui se reconnaît à ceci qu’elle ne donne aucun signe particulier et qu’elle se déclare plutôt par l’absence de toute espèce de crise, on sait pourtant qu’il existe aussi des santés particulières, des physiologies ou des façons de vivre qui s’écartent de la norme sans engendrer des maladies au sens de défauts ou de menaces pour la vie. Nietzsche qualifie de « grande santé » le caractère d’une vie qui se vit comme puissance d’affirmation sans se rapporter aux normes d’un fonctionnement régulier. On pourrait montrer en sens inverse comment les représentations contemporaines de la santé, dans les pays dits développés, renvoient à des normes toujours moins définies par la puissance d’affirmation (ou par le désir, pour prendre un autre terme) et toujours plus déterminées par une durée de vie tendanciellement réduite à sa prolongation. Le modèle médical n’a pas manqué d’être mis en œuvre pour définir une sorte de médecine critique de la pensée. On pourrait très longuement explorer l’histoire des expressions « entendement sain », « raison saine » dans la pensée des Lumières et à travers Kant jusqu’à Rosenzweig qui sans doute est le dernier à avoir employé cette notion. Kant recueille l’expression « entendement sain » comme désignation d’un état spontané et encore non cultivé, d’un sensus communis qu’il faut munir de préceptes afin de le rendre apte à la pensée. Ces préceptes sont ceux de penser par soi-même, de penser en se mettant à la place de tout autre et de toujours penser en accord avec soi-même (c’est le texte fameux du § 40 de la troisième Critique). La simple santé ne suffit donc pas : il faut lui ajouter des maximes qui procèdent d’une autre présupposition. Il y a un critère qui permet de ne pas laisser le « sens commun » au niveau du sens vulgaire de l’expression et de le hausser jusqu’à la réflexion. Ce critère est l’autonomie de la pensée. Cette autonomie, précise Kant, suppose de « faire abstraction de l’attrait et de l’émotion ». Cela, écrit-il, est parfaitement naturel dès qu’on veut produire un jugement de portée universelle. Est-il pour autant très « naturel » d’être certain d’avoir écarté ou de pouvoir écarter tout affect d’une assertion de concept ? Cela ne peut l’être qu’à la condition d’être assuré d’un « soi-même » inaffecté. Ce « soi » comme identité logique d’un Je = Je ou bien comme identité de ce qui doit accompagner toutes mes représentations pour qu’elles soient miennes se révèle inerte et vide. Le mouvement de la philosophie à partir de Fichte consistera précisément à sortir le « Je » de cette inertie. On peut estimer qu’à partir de là se trouve perturbée la possibilité d’une critique pure, c’est- à-dire la possibilité d’un discernement assuré qui présuppose l’entière autonomie du sujet du jugement. L’autonomie du médecin est assurée dans la mesure où la pathologie est déterminée par la médecine elle-même. En revanche l’autonomie du penseur ne lui garantit aucune espèce de médecine préalable ni par conséquent de partage entre pathologie et santé. Bien au contraire, c’est justement le pathos, l’affect, la passivité qui vont occuper de larges pans de la pensée avec Nietzsche, Kierkegaard, Husserl, Heidegger, Adorno, Levinas, Blumenberg, Derrida ou Deleuze, etc… 2 La critique a été la marque distinctive d’une époque qu’on pourrait qualifier d’hyperactivité onto-gnoséo-logique. Un sujet s’y pose en tant que son propre acte et cet acte – sa propre déclaration, son ego sum – s’assure de lui-même par lui- même, se donnant ainsi le critère du jugement vrai. Peut-être même quelque chose de cette autonomie au sens strict (soi comme loi ou bien en allemand Gesetz als Sichsetzen) est-elle restée depuis lors indéfectiblement attachée à l’usage du mot « sujet » – j’ajouterais : jusque dans ce que Foucault a nommé « subjectivation » même si ce terme a été forgé pour éviter la consistance autopositionnelle du « sujet ». Kant écrit que « notre âge est proprement l’âge de la critique ». Depuis la fin du XVIIe siècle en effet le mot « critique » a connu une fortune singulière dans le domaine de l’appréciation des œuvres littéraires et artistiques. Cette fortune tient à l’importance croissante, dans cette appréciation, d’un esprit de discernement et de finesse qui ne peut s’en tenir à vérifier des conformités à des règles. La critique forme à ce compte elle-même un art du fin discernement. En somme, il s’agit d’un art de pénétrer l’art, de le goûter et d’accéder au je ne sais quoi de sa production, voire de sa création. A ce compte une époque ne peut être proprement celle de la critique qu’en étant aussi proprement l’époque d’un « propre » ou du « propre » en tant que tel, du sujet propre ou d’une appropriation absolument présupposée du propre. C’est cette appropriation que Kant présuppose à sa manière (dans la possibilité du transcendantal et bien que celle-ci constitue aussi bien un dépassement de soi qu’une appropriation) et c’est elle aussi que l’idée de critique esthétique présuppose comme son propre « je ne sais quoi » – ou par exemple comme l’ « esprit » français, le wit anglais et le Witz allemand. Jean Starobinski a pu écrire à propos de Diderot : « La critique d’art naît en s’attribuant la faculté uploads/Philosophie/ jean-luc-nancy-critique-crise-cri.pdf
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- Publié le Dec 22, 2021
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