1 Les trente trois médaillons hermétiques du portail central de Notre-Dame de P

1 Les trente trois médaillons hermétiques du portail central de Notre-Dame de Paris Jacques Trescases Dans un livre remarquable1, Thierry de Champris, architecte de son métier, montre que les façades des principales Cathédrales gothiques sont construites « grâce à une utilisation savante du Nombre d’Or, qui définit les rapports et les rythmes d’une géométrie invisible et silencieuse » et assure ainsi « la conjonction savante du mystique et du rationnel ». Le jeu combiné des carrés, rectangles, triangles, cercles et pentagrammes étoilés permet de tenir un double discours architectural: «le premier dicte, à la manière de Saint Paul, les largeur, hauteur et profondeur d’un Temple édifié par les Chrétiens pour leur Dieu. Le second épèle les étapes du cheminement intérieur et spirituel de l’homme individu, Temple privilégié de Dieu. … Cette géométrie d’Or demeure cachée, » poursuit notre auteur, « parce qu’elle était, et avait toujours été, plus encore qu’une science jalousement gardée, un langage initiatique. » Ainsi, « loin des morales d’Eglises, des scléroses religieuses et des dogmes fossiles, les bâtisseurs de cathédrales, sous prétexte d’architecture, ont installé la Sagesse à la place qu’ils estimaient devoir lui revenir de droit universel. » Ce qui est vrai pour la structure architecturale elle-même, l’est encore davantage pour ses ornements, de verre ou de pierre. C’est à un véritable parcours initiatique intérieur que le visiteur d’une cathédrale gothique est convié, parcours qui reprend et résume toute la connaissance universelle, fût- elle antérieure ou parallèle au christianisme. Une connaissance cachée Ainsi, à Notre Dame de Paris, au cœur même du pilier majeur du portail central, nous trouvons cette Sagesse, discrète, mais magnifiquement rendue : 1 Cathédrales: le Verbe géométrique, publié par Guy Trédaniel (1995) 2 Fig. 1 : La Sagesse ou la Philosophie Afin que nul n’ignore sa signification ésotérique, elle l’indique en tenant dans sa main deux livres, l’un ouvert, l’autre fermé, ce dernier pour signifier que la vraie connaissance ne saurait être livresque, fût-elle issue d’un livre inspiré mais ne peut résulter que d’un travail intime mené en soi et sur soi. Pour que ce message soit incontestable, ce bas-relief figure lui-même sous une statue de Jésus, tenant également un livre fermé, nous invitant ainsi à recréer sa Parole, plutôt qu’à la répéter. Nos sculpteurs humoristes et savants ne se sont d’ailleurs pas contentés d’adresser ce seul clin d’œil aux initiés: les références astrologiques et alchimiques sont nombreuses sur la façade de l’édifice. La question se pose de savoir si les prélats commanditaires ont été au courant, donc complices, de cette ouverture d’esprit à laquelle ils ne nous ont guère accoutumés, ou si les divers opératifs qui ont contribué à l’édification des chefs d’œuvre gothiques ont profité de leur ignorance pour pimenter, à leur nez et à leur barbe, leurs temples de références ésotériques, puisant leur origine avant l’ère de la chrétienté ou en dehors d’elle. Cela signifierait que, pour eux, même si le secret du langage des sciences traditionnelles était largement perdu, le fond même de la connaissance était à sauvegarder. Ils espéraient ainsi qu’on pourrait, grâce à des savoirs actualisés et un vocabulaire renouvelé, retracer les étapes d’acquisition de la sagesse dont nos aînés avaient balisé le chemin, à partir des figures symboliques laissées comme traces d’un savoir ancestral. C’est ce que, modestement, je me propose d’entreprendre, avec les outils dont je dispose. 3 Apprendre l’Art « Notre art s’apprend en deux manières; c’est à savoir par enseignement d’un maistre, bouche à bouche, et non autrement, ou par inspiration et révélation divines; ou par liures, lesquelz sont moult obscurs et embrouilléz; et pour iceux trouver accordance et vérité, moult convient estre subtil, patient, studieux et vigilant. » Telles sont les voies énoncées par Pierre Vicot, pour pénétrer les secrets de l’alchimie, dans « la clef du secret des secrets de phylosophie…2 » N’ayant pas eu la chance de bénéficier de la première, et ayant dû renoncer à tirer bénéfice de lectures effectivement fort sibyllines, je dois m’en remettre, je prie le lecteur de m’en excuser, à la troisième voie… Pas tout à fait quand même. Le livre de Fulcanelli « le mystère des cathédrales et l’interprétation ésotérique des symboles hermétiques du grand œuvre »3 demeure le texte capital pour qui veut tenter de comprendre le sens des médaillons alchimiques façonnés dans le chœur de la façade de Notre-Dame. Mais Fulcanelli, si précieux soit-il, en nous ouvrant l’exploration de ces trésors, nous laisse sur notre faim, soit que, malgré ses remarquables connaissances, il n’eût pas lui-même toutes les clefs en main, soit qu’il n’ait pas voulu exposer à l’indiscrétion des profanes la totalité des mystères partiellement dévoilés4. Aussi rechercherons-nous d’autres clefs d’interprétation de ces figures aussi belles qu’énigmatiques, d’une part dans la progression du Rite Ecossais Ancien et Accepté (REAA) et, d’autre part, dans le processus de rectification psychologique nécessaire pour accéder au suprême degré de l’initiation, c’est- à-dire dans ma perspective au bonheur de vivre. Ces deux références paraissent légitimes:  Le REAA se définit comme « art royal », ainsi que l’alchimie; les deux démarches sont parallèles, partagent la même devise, « Ordo ab Chao», et affichent une ambition similaire: transformer la pierre brute en pierre cubique 2Livre du XVIIe siècle, MS. 2027 du Muséum d'Histoire Naturelle MS de Paris. 3 Éd. Jacques Pauvert 2ème trimestre 1977. 4 Cf. également « La symbolique des cathédrales », remarquable fascicule illustré réalisé par Didier Carrié et Brigitte Ludwig, sous la direction de Fernand Schwarz ; collection homo religiosus études pour la redécouverte du sacré. 2ème trimestre 1991, imprimerie N.A. Paris. 4 à pointe parfaite équivaut à métamorphoser le plomb en or. Les familiers du rite savent d’ailleurs que ce dernier fait de nombreuses références à l’alchimie, notamment au seuil de la démarche et dans son grade crucial. On peut d’ailleurs définir l’Initiation comme une alchimie dont l’adepte est lui-même l’objet de la transmutation.  L’alchimie se caractérise par sa vision unitaire de la totalité du Cosmos: le monde minéral, végétal et animal obéit aux mêmes lois d’évolution ou de régression ; seul le rythme diffère et voile l’unité d’évolution d’un monde vivant. Tout plomb peut devenir or, formulation évidemment symbolique.5 Il est donc légitime de considérer que le processus de spiritualisation et de sublimation décrit par les opérations alchimiques concerne au premier chef la rectification et l’évolution saine du psychisme humain, telle qu’on peut les connaître à partir des derniers acquis de la psychologie, d’autant que ce processus risque de ne pas aboutir et que le rôle de l’initié est, précisément, de le conduire à bonne fin, voire de l’accélérer. Nous admettrons donc, avec Hervé Masson6, que « l’hermétisme est une Gnose dont le but avoué est la régénérescence de l’homme quotidien et profane par la connaissance de sa réalité supérieure…» Les trente-trois médaillons hermétiques de la façade ouest de Notre-Dame de Paris comprennent, outre les vingt huit bas reliefs alchimiques, qui forment un couloir menant au pilier central du porche principal, la figure qui pare ce trumeau, elle-même entourée de quatre bas reliefs: Ce médaillon essentiel représente l’Alchimie, ou Cybèle, ou encore, la sagesse, « Santa Sophia », comme se nomme la première cathédrale de l’Empire chrétien construite à Constantinople. 5 En dehors des « souffleurs » considérés avec quelque mépris par les « artistes », il n’est pas évident que les alchimistes soient parvenus à transformer le plomb en or, mais ils ont fait bien mieux: avec du sable, poussière de roc épars et non manipulable, il ont fait du verre, matière solide, translucide et modelable; plus, en ajoutant du plomb, ils en ont fait du cristal; avec des fruits promis au pourrissement, ils ont fait de l’esprit, incorruptible concentré essentiel de saveurs. 6 Dictionnaire initiatique , Pierre Belfond éd. 1er tr.1970. 5 Elle trône en majesté (figure 1), assise sur une « cathèdre », tenant de sa main droite le sceptre, insigne de sa royauté. Solidement installée, sa tête touche le ciel, figuré par les nues, attestant ainsi que le processus de spiritualisation est accompli, grâce à l’échelle aux neuf degrés, qui symbolise les étapes du labeur alchimique, ainsi qu’à celle des deux livres qu’elle tient dans sa main gauche, l’un ouvert, l’autre fermé, qui représentent les deux voies d’accès à la connaissance, l’une exotérique, l’autre ésotérique. La référence à une antique déesse-mère, mère d’Attis, héros de mystères initiatiques, au centre d’un édifice consacré à Notre-Dame, constitue un clin d’œil qu’aucun initié ne saurait ignorer. La Sainte Vierge est bien représentée, mais sur le portail nord de la façade Ouest7. Curieuse Vierge (figure 2) d’ailleurs, portant sur son bras gauche l’enfant Jésus, mais tenant dans sa droite une Croix, au centre de laquelle s’épanouit une rose8. La présence de Cybèle nous rappelle que la vraie sagesse doit être recherchée au cœur de la matière, de la matrice originelle, elle-même représentée par la forme ogivale du portail. L’échelle à neuf degrés que notre Sagesse tient entre ses genoux est implantée dans la terre, montrant que toute démarche initiatique qui tend à s’élever au niveau sur-conscient donnant accès à uploads/Philosophie/les-trente-trois-medaillons-trescases.pdf

  • 14
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager