Essais I. Wittgenstein, la modernité, le progrès et le déclin Bouveresse P.34-5

Essais I. Wittgenstein, la modernité, le progrès et le déclin Bouveresse P.34-5-6 Les auteurs de Wittgenstein's Vienna sont également plus proches de la vérité que la plupart des commentateurs, lor quils remarquent que « lhistoire de cinquante années d'inter prétation du Tractatus logico-philosophicus de Wittgenstein a été profondément influencée par les successeurs philoso- phiques de Mach -le Cercle de Vienne qui ont déformé l'argument d'un ouvrage sur la philosophie du langage, qui était dérivé essentiellement des théories de Hertz et de Boltzmann en en faisant un exercice de théorie de la connais- sance dans le style de l'empirisme machien UT 145]. Les images » dont parle le Tractatus, lorsqu'il dit que « nous nous faisons des images des faits A2, sont certainement plus proches des images construites et donc (partiellement arbitraires de Hertz er de Boltzmann que des représentations-copies de Mach. (Du point de vue des théories phénoméno- logiques de Mach et d'Ostwald, des images, au sens auquel les modèles ou les analogies mécaniques constituent des images des phénomènes naturels, constituent précisément ce qui doit à tout prix être évité en physique.) Pour Boltzmann, comme c'était le cas pour Maxwell, les modèles mécaniques doivent être considérés « uniquement comme des moyens par lesquels les phénomènes peuvent être reproduits, qui ont une certaine ressemblance avec ceux qui existent réellement, et qui servent également à inclure des groupes plus étendus de phénomènes d'une manière uniforme et à déterminer les relations qui existent dans leur cas .... Alors que l'on croyait antérieurement qu'il était permis de supposer avec un fort semblant de probabilité l'existence effec- tive de tels mécanismes dans la nature, aujourd'hui les philo- sophes ne postulent rien de plus qu'une ressemblance partielle entre les phénomènes visibles dans de tels mécanismes et ceux qui apparaissent dans la nature» 3. Or c'est précisément ce type de similitude structurale, à l'exclusion de toute ressem- blance plus précise, que les images du Tractatus sont censées posséder avec ce qu'elles représentent. Comme le rappellent Janik et Toulmin, après von Wright, il est essentiel de ne pas perdre de vue que Wittgenstein était physicien, et plus précisément mécanicien, de formation. Nous savons qu'il éprouvait une grande admiration pour Hertz, et c'est essentiellement chez Hertz qu'il faut chercher l'origine de ce que certains ont appelé le « kantisme » du Tractatus. Nous savons également que Wittgenstein avait probablement l'inten- tion d'étudier la physique sous la direction de Boltzmann, au moment où celui-ci s'est suicidé en 1906 w 26. Il est exact que les Bilder ou les Darstellungen du Tractatus n'ont pas grand chose de commun avec les représentations psychiques [Vorstel- lungen) qui constituent le matériau de base de toute connais- sance pour les empiristes, et que le Tractatus n'est pas du tout un ouvrage de théorie de la connaissance (c'est-à-dire, pour Wittgenstein, de psychologie ou, en tout cas, de philosophie de la 1 psychologie). Mais je crois que Janik et Toulmin vont trop loin lorsqu'ils suggèrent plus ou moins T 182) que le mot Bild aurait dû être traduit plutôt par« model » que par « picture », et que ce qu'on appelle couramment la théorie « picturale » ou dépictive» du Tractatus est en réalité une théorie (ou une logique) générale de la reproduction [Abbildung] à l'aide de modèles au sens hertzien du terme. Bien que Wittgenstein utilise quelquefois les mots Bild et Modell l'un pour l'autre, le terme « modèle» est probablement trop précis et trop technique pour constituer une traduction adéquate de Bila. Ce dernier mot a incontestablement une double origine et une double connotation dans le Tractatus et Wittgenstein a reconnu clairement que son usage avait été lié également dans son esprit à l'imagerie picturale au sens ordi- naire du terme. La figurativité [Bildhafigkeit) de la proposi- tion et du langage, au sens du Tractatus, est bien aussi celle d'un tableau, et non pas simplement celle d'un modèle au sens mathématico-logique (hertzien) du terme: « Ce concept de l'image, je l'ai hérité de deux côtés: d'abord de l'image dessi- née, ensuite de l'image du mathématicien qui est déjà un concept général. Car le mathématicien parle à la vérité encore de reproduction par image [Abbildung), là où le peintre n'utili- serait pas cette expression » [wCV.p. 165). C'est précisément parce que cette polysémie et cette ambiguité constitutives doivent être préservées que le mot « image» me paraît préférable à la fois à « peinture », et à « modèle » comme traduction de Bild Il est bien connu que Schopenhauer est avec Hertz un des auteurs qui, du côté allemand, ont le plus influencé le Trac- tatus. Janik et Toulmin situent la problématique métaphysique du Tractatus dans la perspective d'une évolution logique partie de Kant qui, à travers Schopenhauer, a abouti à l'individualis- me éthique de Kierkegaard et au radicalisme esthétique de Tolstoï. Kant et les post-kantiens, Kierkegaard et Tolstoï occu pent effectivement une place centrale dans la vie intellectuelle de l'Autriche durant les dernières décennies qui ont précédé la Première Guerre mondiale; et nous savons que Kierkegaard et Tolstoï sont deux auteurs pour lesquels Wittgenstein éprouvait une vénération particulière. Curieusement, le rôle qui a pu être joué par Nietzsche dans le débat sur le problème des va leurs et sur les rapports de l'éthique et de l'esthétique n'est envisagé à aucun moment dans Wittgensteins Vienna. Ce qu'affirment Janik et Toulmin devrait, de toute façon, être nuancé, si l'on se souvient que, d'après Neurath, une des caractéristiques spécifiques de la tradition philosophique autri- chienne a été d'éviter l'"entracte kantien ». Schopenhauer et Nietzsche sont sûrement, en revanche, des auteurs très présents et très importants dans la culture philosophique et littéraire au-trichienne de l'époque. Wittgenstein a été, comme je l'ai dit, influencé lui-même assez fortement par Schopenhauer, dans sa jeunesse et à l'époque du Tractatus, même s'il a dit de lui plus tard qu'il n'était pas un philosophe réellement profond, au sens où Kant ou Berkeley, par exemple, sont des philosophes pro fonds. En ce qui concerne Nietzsche, l'auteur du Tractatus a été amené à lire certaines de ses œuvres, en particulier L'Antéchrist, au cours de la première guerre mondiale. Mais on sait aussi qu'un des ouvrages qu'il a lus à Monte Cassino, en compagnie de Ludwig Hänsel, est la Critique de la raison pure. La dichotomie radicale des faits et des valeurs et l'impossibi- lité de traiter la question de l'éthique et du sens de la vie à l'intérieur des frontières du discours rationnel s'étaient impo- sées avec une telle évidence qu'elles ne pouvaient manquer d'être entérinées dans une large mesure par la critique philo- sophique du langage. Et c'est effectivement ainsi que les choses s'étaient passées chez Mauthner, mais d'une manière telle que, pour reprendre une de ses expressions, ce qui tuait les punaises tuait aussi le pope: « En explorant les 2 ramifica- tions de ses principes nominalistes, sa Sprachkritik finale en arrivait certainement à constituer un support pour la position éthique fondamentale défendue en commun par Schopen- hauer, Kierkegaard et Tolstoï - à savoir la conception selon la- quelle le "sens de la vie" ne peut faire l'objet d'un débat rationnel, ne peut recevoir de "fondements intellectuels, et constitue dans son essence une question "mystique". Mais le soutien apporté à cette proposition n'était obtenu qu'à un prix exorbitant. Car, d'après les arguments de Mauthner, ce n'était pas seulement le "sens de la vie" qui cessait d'être un objet de connaissance possible. Ses principes l'avaient contraint à nier également la possibilité d'une connaissance authentique quel- conque allant au-delà d'une description métaphorique du monde, même dans la science et la logique » Jt 165). Le problème de Wittgenstein était, dans ces conditions, le suivant:trouver un moyen de faire pour le langage en général ce que Hertz et Boltzmann avaient fait pour le langage de la physique, c'est-à-dire délimiter de l'intérieur le domaine du di- cible d'une manière qui fasse apparaître simultanément la possi- bilité d'un discours factuel de type réplicatif [abbildend) et Texistence d'une sphère supérieure, « transcendentale », dans la quelle se trouvent rejetées toutes les questions réellement importantes pour nous, dont l'inexprimabilité n'est pas un accident regrettable, mais une nécessité logique, et ne laisse pas d'autre possibilité que la « communication indirecte » ou le silence. Considéré de cette façon, le Tractatus apparait non seulement Comme un ouvrage sur l'éthique, mais également comme un acte éthique [an ethical deed). Et, comme je l'ai déjà indiqué, c'est effectivement ainsi que Wittgenstein le considérait. p.84-5 Wittgenstein, la conception scientifique du monde et le probleme de l'explication McGuinness caractérise la position du Tractatus concernant la science comme ayant pour élément central « le rejet de toute prétention de la science à expliquer les phénomènes, si (comme c'est le cas) on entend par explication autre chose qu'une simple présentation des phénomènes sous une forme claire et aisément intelligible. Mach bien sûr, l'avait déjà dit ; mais la position de Wittgenstein présente cet intérêt particu- lier qu'elle procède de considérations purement logiques et non pas d'une préconception empiriste» [MG. 381). McGuin- ness ajoute: « C'est pourquoi Schlick uploads/Philosophie/ essais-i 1 .pdf

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