Association Revue Française de Sociologie Durkheim et le pragmatisme La psychol

Association Revue Française de Sociologie Durkheim et le pragmatisme La psychologie de la conscience et la constitution sociale des catégories Author(s): Hans Joas Source: Revue française de sociologie, Vol. 25, No. 4 (Oct. - Dec., 1984), pp. 560-581 Published by: Sciences Po University Press on behalf of the Association Revue Française de Sociologie Stable URL: https://www.jstor.org/stable/3321823 Accessed: 11-04-2020 05:49 UTC JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact support@jstor.org. Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at https://about.jstor.org/terms Association Revue Française de Sociologie, Sciences Po University Press are collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Revue française de sociologie This content downloaded from 193.50.135.4 on Sat, 11 Apr 2020 05:49:22 UTC All use subject to https://about.jstor.org/terms R. franC. sociol., XXV, 1984, 560-581 Hans JOAS Durkheim et le pragmatism La psychologie de la conscience et la constitution sociale des categories* Emile Durkheim a prononc6 au cours de l'hiver 1913/1914 - c'est-a-di apres la publication de la derniere de ses grandes ceuvres, les Formes didmentaires de la vie religieuse, et quelques annees avant sa mort - des cour consacres a << Pragmatisme et sociologie >>. Ces cours ne furent pas publies d son vivant, mais des decennies plus tard (1955). Dans l'histoire tres diversifi' de la reception de l'ceuvre de Durkheim, ils sont passes presque inaperqus. Ce n'est pas tres 'tonnant si l'on songe que, a l' poque de leur publication, pragmatisme avait mauvaise reputation ou &tait neglig6 meme en Amerique, le pays ofi il a pris naissance, aussi bien chez les philosophes que, a% plus for raison, chez les sociologues - et cela malgre le rble qu'il avait jou6 pour assurer, durant son temps, I'hegemonie de Chicago dans cette discipline. Europe, ce n'6tait guere mieux; la reception du pragmatisme y 6tait genee de le debut par l'identification trop hative de ses theses fondamentales avec cel de la philosophie de la vie d'apres les exemples fournis par Nietzsche e Bergson. Certes, ces diffbrents courants ont d'incontestables points communs. Mais, a les identifier trop &troitement, on n'a eu que trop tendance, quand on accueillit le pragmatisme, "a mettre l'accent sur ses aspects les plus vulnerables aux critiques justifiees qu'on dirigeait contre la philosophie de la vie. Cela explique peut-etre la difference entre l'attention remarquable accordee aux travaux de William James et la faible influence de Charles Peirce, ainsi que le fait que la connaissance de John Dewey se limite ' ses travaux pedagogiques et celle de George Herbert Mead a une psychologie sociale d'orientation sociologique (1). * Ce texte a 6t6 pr6sent6 dans des versions provisoires en 1982 lors d'une s6ance du groupe de recherche << Emile Durkheim >> A la Fonda- tion Werner Reimers A Bad Homburg et lors du Congrbs mondial de sociologie (Research Committee on the History of Sociology) A Mexico. Je remercie ici tous ceux qui m'ont donn6 au cours des discussions d'utiles indica- tions, notamment Pieter Nijhoff (Amsterdam). J'ai pratiquement supprim6 la discussion de la r6ception du pragmatisme par Georges Sorel (cf. note 50) car elle exigeait un travail sp6cifique. (1) Les exposes du pragmatisme atteignent souvent les dimensions de la deformation cari- caturale - meme chez des auteurs aussi impor- tants que Max Scheler, Max Horkheimer et Georg Lukacs. Les caract6risations du pragma- tisme vont d'une forme particulierement pri- mitive de l'empirisme ou de l'utilitarisme ou du positivisme a l'ideologie du << big business >> ou d'un d6cisionnisme fascisant. 560 This content downloaded from 193.50.135.4 on Sat, 11 Apr 2020 05:49:22 UTC All use subject to https://about.jstor.org/terms Hans Joas Dans ces conditions, le rapport de Durkheim au pragmatisme ne pou presenter qu'un inter&t limite pour la comprehension de son ceuvre. Ces c durent apparaitre comme une discussion avec des philosophes depasses depu longtemps et largement oublies, qui eurent certes de leur temps une b actualite (2), mais qui ne meritaient plus l'attention. Les motifs que Durkh lui-meme indique, au debut de ses developpements, pour une etude du pragmatisme, ne dirigent pas non plus l'attention vers des questions sub- stantielles. 11 y parle en effet du pragmatisme comme d'une lutte armee contre la raison, a laquelle il s'agit d'opposer une resistance pour trois motifs. Tout d'abord, de maniere generale, parce qu'aucune doctrine ne peut aussi bien que le pragmatisme reperer les points vulnerables du rationalisme courant et les exploiter A son profit; ensuite, par interet national, afin de s'opposer A une erosion de la culture frangaise, dont le cartesianisme est un des composants essentiels; enfin, par un interet philosophique, celui de poursuivre la tradition de presque toute l'histoire de la philosophie, qui consiste, selon Durkheim, en la possibilit6 de la connaissance vraie : or, cette croyance serait menacee par le pragmatisme. Le pragmatisme serait un irrationalisme et ressemblerait a la sophistique antique; sa seule utilit6 residerait dans la contrainte salutaire qu'il impose a la pensee philosophique de se reveiller du << sommeil dogmatique >> dans lequel elle serait de nouveau plongee depuis Kant. De la sorte, Durkheim donne d'emblee A sa confrontation moins le caractere d'une discussion ponderee que d'une action de << politique dans la theorie >>. C'est ain est reellement tentant de chercher, derriere les intentions indiquee Durkheim, des raisons strategiques encore plus profondes : les legons pragmatisme peuvent etre interpretees comme une polemique voilee con adversaire Sorel, comme une resistance contre le syndrome de l'immoral decadent, du decisionnisme et de la violence (3). Quelle qu'ait pu etre l'importance de ces motifs, le contenu de l'argumentation de Durkheim est, dans une telle interpretation, trop rapidement 6carte. Pourtant, si l'on veut prendre au serieux ce contenu et si l'on se demande comment se presentent les interpretations de la logique interne de l'oeuvre de (2) Pour des indications pr6cises sur la reception franqaise contemporaine du pragma- tisme et sur le rapport de Renouvier, de Bou- troux et de Bergson a James, voir Allcock (1983). R6f6rences bibliographiques in fine. (3) Cette proposition d'interpr6tation vient de Rene Kiinig (1956, 1976). Voir d'autre part son livre: Kritik der historisch-existentialisti- schen Soziologie (Munich, 1975). Une grande partie de la litterature consacree A Durkheim ne parle pas du tout des leqons sur le pragmatisme ou voit le pragmatisme tout simplement dans la perspective de Durkheim (h61as, meme Lukes, 1973). Les exceptions sont constitu6es par les travaux de Gaudemar (1969), Stone et Farber- man (1967) et Tiryakian (1978). Ce sont avant tout Stone et Farberman qui argumentent avec une connaissance approfondie du pragmatisme; ils distinguent plusieurs tendances a l'int6rieur du pragmatisme et en viennent d insister (de maniere ~i mon avis exag6r6e) sur la conver- gence entre Durkheim et l'interactionnisme symbolique naissant. A l'epoque oui Talcott Parsons 6crivait les chapitres sur Durkheim de sa Structure of Social Action - un des textes-cl6s de l'histoire de l'interpr6tation -, il ne pouvait encore connai- tre ses leqons sur le pragmatisme. 11 est d'autant plus 6tonnant de constater que, dans une note de ce livre (Parsons, 1937, 440), il indique que Durkheim, par sa compr6hension de la puis- sance motivante du rituel et par sa r6f6rence d la pression de la d6cision dans I'action quoti- dienne, est proche des raisonnements pragmatis- tes. 561 This content downloaded from 193.50.135.4 on Sat, 11 Apr 2020 05:49:22 UTC All use subject to https://about.jstor.org/terms Revue frangaise de sociologie Durkheim A la lumiere de ces derniers cours qui n'ont, la plupart du temps, pas 6t' pris en consid6ration, il faut se constituer sa propre image du pragmatisme, au lieu de reprendre celle que Durkheim nous a 16gu6e. Actuellement, les signes semblent favorables A une telle r6appropriation. On pourrait parler aujourd'hui, en effet, dans un double sens, d'une renaissance du pragmatisme. D'une part, on reconnait la maniere radicale avec laquelle le pragmatisme met en question le cadre cartesien de la philosophie moderne, pr6cis6ment sans devenir irrationaliste. Cette mise en question concerne aussi bien le r61le de la philosophie comme discipline fondamentaliste, s'interessant principalement A la theorie de la connaissance, que la conception dualiste d'un esprit qui, oppose au corps, serait un objet propre de connaissance. D'autre part, on reconnait que le pragmatisme developpe, comme issue constructive de la destruction de ce cadre cartesien, une theorie g6nerale des signes qui n'a toutefois presque rien de commun avec la theorie des signes du structuralisme frangais (4). S'il est vrai que la critique pragmatiste conduit "a une transfor- mation riche en consequences du concept d'esprit ou de celui de conscience, et si la theorie des signes et de la signification du pragmatisme fonde un point de vue propre sur le social, alors la confrontation d'un classique de la sociologie avec ces pensees m6rite interet. D'autre part, quand Durkheim aborde le pragmatisme, il se trouve contraint de se placer sur un terrain plus fondamental que celui du d6passement de l'utilitarisme (5); la conception du uploads/Philosophie/ joas-1984-durkheim-et-le-pragmatisme-la-psychologie-de-la-conscience-et-la-constitution.pdf

  • 21
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager