FORCES ET SENSATIONS DANS LA PEINTURE DE FRANCIS BACON RÉFÉRENCE : FRANCIS BACO
FORCES ET SENSATIONS DANS LA PEINTURE DE FRANCIS BACON RÉFÉRENCE : FRANCIS BACON, LOGIQUE DE LA SENSATION ; SKIRA Maxime Girard https://doi.org/10.4000/philosophique.948 Texte | Notes | Citation | Auteur TEXTE INTÉGRAL PDF 80k 1En 1981, Deleuze publie son ouvrage Francis Bacon : Logique de la sensation. Ce livre traite de la peinture de Bacon mais au-delà il relève d’une vraie démarche philosophique, conceptuelle. C’est plus qu’un livre de philosophie sur la peinture. Ce titre : Logique de la sensation, fait écho à l’ouvrage de Deleuze paru en 1969 : Logique du sens. L’idée d’une logique du sens fait appel au rationnel, au langage, à quelque chose de résolument intelligible. S’agissant d’une logique de la sensation, on entre dans un autre registre qui fait moins appel à la raison, qui évoque l’instinctif, quelque chose d’indicible, qui ne passe pas par le langage. 2La trame de notre propos c’est l’idée de sensation. Et Deleuze en considérant la peinture de Bacon fait ressortir principalement cette idée de sensation. Mais aussi l’idée de force, de forces vitales, de forces invisibles que Deleuze articule pleinement avec l’idée de sensation. Ce commentaire d’une partie de l’ouvrage de Deleuze, Francis Bacon : Logique de la sensation, sera l’occasion, au-delà d’une réflexion sur l’art, de considérer l’existence humaine sous un certain angle. De considérer l’existence humaine comme ressenti, comme intensive, sous l’angle de la sensation. Ici on ne considère pas le texte de Deleuze dans son ensemble, on s’intéresse plus particulièrement à certains chapitres, à certains passages. Disons que notre propos se focalise plus particulièrement sur les chapitres 1 à 9. 3Pour commencer, il nous faut développer et confronter deux notions qui apparaissent dans le texte de Deleuze. Celles de figural et de figuratif. Dans sa peinture, Bacon a cherché à conjurer le caractère figuratif, illustratif, narratif qui caractérise en général une Figure lorsqu’elle est représentée (dans le texte de Deleuze, figure est toujours écrit avec une majuscule). Bacon ne cherche pas dans sa peinture à raconter une histoire, il ne cherche pas à engager quelque chose de l’ordre du narratif. Il veut échapper au figuratif. Une des voies possible pour échapper au figuratif est la voie de l’abstraction, de la forme pure. Bacon ne choisit pas cette voie, il tient à la Figure, il ne veut pas y renoncer. Il s’engage alors dans la voie du figural qui s’oppose au figuratif. Pour ce faire, Bacon isole ses Figures, il les cerne avec un rond, un ovale ou bien une sorte de structure, un parallélépipède. La Figure ainsi isolée n’entre pas en rapport avec un autre élément, avec d’autres images. Entre deux Figures il y a toujours une histoire qui tend à s’insinuer. Isoler est donc le moyen le plus simple pour rompre avec la représentation, la figuration, pour casser la narration. Ce qui importera à Bacon, c’est de représenter la sensation, de représenter des forces à l’œuvre sur la Figure. 1 SCHEFER Olivier, Qu’est ce que le figural ?, critique, n°630, novembre 1999, p. 912-925 2 Ibid. 4Insistons un peu sur le concept de figural qui sera notamment développé par Jean François Lyotard dans Discours, Figure. Le figural c’est une protestation contre la compréhension unilatéralement figurative de la Figure. La logique figurative enchaine la Figure, la réduit à un certain cadre, le carde narratif. Le projet figural ambitionne de faire émerger la Figure hors du texte, du récit, de la libérer de la suprématie du narratif, de l’histoire. Echapper au textuel, au discursif. L’idée c’est que le réel, le visible n’est pas réductible au lisible, à ce qui relève du discursif, à une narration1. Le figural c’est l’idée d’une Figure pure qui fait sens sans faire histoire. Quelque chose est à voir et à comprendre qui ne peut pas se dire mais seulement se montrer. Le projet figuratif préfère des Figures lisibles et idéales à des Figures avant tout visibles. Le figuratif est dans le registre de l’intelligible, du dicible, il y a quelque chose avant tout rationnel dans le figuratif. Le figural est dans un registre de l’instinctif, dans quelque chose qui relève d’une certaine fulgurance. Dans son texte, Deleuze oppose le cérébral à ce qui relève du nerveux (le centre nerveux). Le figuratif est cérébral, le figural fait appelle au centre nerveux. Le figural c’est l’expression d’une réalité en excès, en débordement sur l’ordre discursif et intelligible2. Le figural est une Figure purement visible, autonome, dégagée de tout référent externe, en l’occurrence de l’ordre discursif. Le figural vise à figurer l’infigurable, du moins à y tendre. Il s’agit de dépasser la clôture systémique du discours. Et c’est cette logique qui veut dépasser le discours, le langage et figurer l’infigurable que Deleuze repère chez Bacon. Une logique des forces vitales à l’œuvre dans la Figure une logique de la sensation. Représenter les forces dynamiques, rythmiques et pulsionnelles qui déforment, distordent les Figures, les individus. Les forces vitales, le vécu, le ressenti, la sensation qui grouillent et déforment le corps. La déformation du corps chez bacon, c’est la représentation de ce que Deleuze appelle un effort athlétique du corps sortant de lui-même et par quoi s’exprime l’intensité de la force vitale. On abordera le concept de viande que Deleuze présente dans son texte et qui renvoie directement à ce qui vient d’être dit. On abordera également la question du corps sans organe par la suite, le fait intensif du corps. 5Dans son texte, Deleuze pose le concept de viande. La viande est l’objet le plus haut de la pitié pour Bacon. La viande désigne ici la souffrance, la sensation engrammée, accumulée dans la chair, dans le corps. La viande c’est une certaine manifestation, représentation du corps, de la Figure, de la chair en tant qu’elle donne à voir cette souffrance, cette sensation accumulée, stratifiée. « Tout homme qui souffre est de la viande » écrit Deleuze. Viande et souffrance sont liées. La viande est comme un conglomérat de souffrance. Il y a l’idée de la sensation dans sa dimension négative, qui affecte en mal. Deleuze décrit la viande comme la zone commune, la zone d’indiscernabilité entre l’homme et la bête. L’homme qui souffre est une bête, la bête qui souffre est un homme. Dans la souffrance, l’homme et la bête sont identiques, indiscernables. L’homme qui souffre gagne en bestialité, la souffrance chez l’homme réveille l’instinct la pulsion. La bête qui souffre gagne en humanité entant qu’être sensible, sujet à des affections, aux affects, la bête semble moins mécanique, elle semble plus dotée de sensibilité. La viande, c’est ce que Bacon représente entre autre dans sa peinture. La viande est une certaine dimension de la représentation figural du corps. 6Lorsque Deleuze aborde la question du cri, il le rapproche de ce concept de viande. Deleuze écrit « Le cri qui sort de la bouche, la pitié qui sort des yeux a pour objet la viande ». Le cri, la pitié et la viande sont liés. Le cri c’est le corps qui s’échappe par la bouche. Dans ces déformations, ces spasmes qui animent les Figures de Bacon et évoquent la sensation et les forces vitales à l’œuvre, il y a cette idée de débordement du corps en dehors de lui-même et d’expansion des forces vitales qui irradient autour de la Figue. Le cri s’est ce qui canalise le mieux se débordement, cette fuite du corps en dehors de lui-même. À propos du cri, Deleuze explique avoir voulu peindre le cri plutôt que l’horreur. Bacon ne représenta pas l’horreur car avec l’horreur il y a une histoire qui se réintroduit, il a une logique figurative et il y a du sensationnel. Bacon cherche à éliminer le sensationnel pour s’intéresser résolument à la sensation pure. La sensation pure qui à a voir avec les forces vitales, agents de déformation du corps. 3 DELEUZE Gilles, Francis Bacon : Logique de la sensation, Paris, la Différence, 1981, p. 33. 7Deleuze remobilise dans ce texte une notion qu’il avait déjà largement utilisé dans Logique du sens, l’Anti Oedipe et dans Milles plateaux. Il s’agit du corps sans organes, concept à l’origine formulé par Antonin Artaud. Le corps sans organes est un corps affectif et surtout intensif. C’est cette idée du corps sans organes comme corps intensif qui est résolument souligné dans Logique de la sensation. Le corps sans organes ne comporte que des pôles, des zones, des seuils et des gradients. Il est traversé par des forces, par une puissante vitalité non organique. Le corps sans organe c’est un corps vivant mais qui n’a rien d’organique, c’est un dépassement de l’organisme. Il s’agit de défaire l’organisme au profit du corps. Il ne s’agit pas tellement de s’opposer aux organes, mais surtout de s’opposer à cette organisation des organes que l’on appelle organisme. « Le corps sans organes est chair et nerf ; une onde le parcourt qui trace en lui des niveaux ; la sensation est comme la rencontre de l’onde avec les forces agissant sur le corps »3. Parlant du corps sans organes dans Milles plateaux, Deleuze écrit « Le uploads/Philosophie/ la-bete-qui-souffre.pdf
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- Publié le Aoû 07, 2022
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