L e mot thérapeutès en grec, signifie d’abord soigner, prendre soin. Le Thérape
L e mot thérapeutès en grec, signifie d’abord soigner, prendre soin. Le Thérapeute ne guérit pas, il soigne. C’est la nature qui guérit, c’est la Vie qui guérit. Le rôle du Thérapeute est de créer, ou de permettre les meilleures conditions pour que la guérison puisse advenir. Le Thérapeute ne guérit pas mais il crée le lieu, le milieu, l’atmosphère, les conditions favorables pour que la guérison ait lieu. Le Médecin, au sens majuscule du terme, c’est la Nature, et le Thérapeute est là pour collaborer avec elle. Le Thérapeute ne guérit pas, « il prend soin ». Le Thérapeute est un cuisinier Philon cite souvent le Gorgias de Platon où le Thérapeute apparaît comme celui qui sait faire la cuisine. Le thérapeutès somatos est un cuisi- nier. Chez les Thérapeutes le premier soin du corps était de « soigner sa nourriture ». On sait d’après Philon que cette nourriture était extrêmement simple : beaucoup de céréales, de l’eau pure, du sel, quelques condiments. En fait il ne donne pas beaucoup de détails ; la thérapie ce n’est pas tant la nourriture que l’on mange que la façon dont on la mange – la façon dont on la prépare. Je pense souvent à un ami qui, lorsque je lui demandais : « Qu’est-ce que tu aimes ? Quel genre de soupe aimes-tu ? » répondait « La soupe, je l’aime quand elle est chaude et servie avec amitié ». Quand les ali- ments sont préparés par une personne qui a une certaine affection, amitié pour nous, ils vont avoir des effets positifs alors que dans le cas contraire ils peuvent nous rendre malades. La façon de préparer les aliments fait partie de la thérapie. De même, la façon de les recevoir. On peut être végétarien dans son assiette et carnivo- re dans son esprit, avoir de la salade dans la bouche et du sang dans la tête. On peut ne pas arrêter de mâcher, de dévorer la réputation du voisin, tout en mangeant des petits pois ou de la salade... LES THÉRAPEUTES D’ALEXANDRIE par Jean-Yves LELOUP Il n’est pas inutile de s’intéresser aux Thérapeutes d’Alexandrie, ces hommes et ces femmes du premier siècle de notre ère, pour nous aider à clarifier ce qu’on met derrière ce mot de « thérapeute ». Qu’est-ce qu’un thérapeute ? p a r o l e s Jean-Yves Leloup est docteur en philosophie, théologie et psychologie et prêtre orthodoxe. Ecrivain, il est l’auteur de nombreux livres. extrait du livre « Cheminer » paru à Terre du Ciel (97). La question pour les Thérapeutes peut se résumer en deux mots : « consommer ou communier ? » Il y a une façon de se nourrir qui est com- munion. On communie à travers les choses du monde, la nourriture, le pay- sage, avec l’Être qui fait être les choses. Chaque chose est perçue dans sa transparence et est un lieu de communion, de communication avec l’Être qui fait être ce qui est. La chute est de passer d’un état de communion à un état de consommation. On ne communie plus avec l’Être à travers les êtres, mais on consomme les êtres, on consomme les choses, on consomme la nourriture. On la consomme et on la consume, et on consume le monde. Chez les Thérapeutes la cuisine est un lieu important. Comme dans la tradition zen le Maître n’est pas toujours celui qui est sur l’estrade en train de parler, de méditer sur les sutras. Le Maître est souvent dans la cuisine. Le Thérapeute est un tisserand Chez les Thérapeutes on change de vêtements. Et cela est important. Le simple fait de changer de vêtements nous fait changer d’atmosphère, de cli- mat ; cela modifie notre esprit. Encore aujourd’hui, au Japon, quand un chef d’entreprise rentre chez lui il peut quitter son complet-cravate et mettre un kimono traditionnel. Changer d’habit c’est changer d’état de conscience. Certes l’habit ne fait pas le moine, et comme on dit au Mont Athos, « s’il faut cinq minutes pour changer de vêtement, il faut toute une vie pour chan- ger de cœur ». On est bien d’accord. Cependant l’habit peut quelquefois aider le moine. Changer de toilette, de vêtement peut aider à une transfor- mation à l’intérieur de nous. Les Thérapeutes donnent quelques détails concrets. Ils mentionnent l’importance du lin, de la coupe ample des vête- ments pour que l’on puisse respirer. Le Thérapeute prend soin des dieux Prendre soin des dieux, c’est prendre soin des grandes images qui nous habitent, prendre soin des archétypes. Quelle est notre image de l’homme ? Quelle est notre image de la femme ? Quelle est notre image de la santé, notre image de la sainteté ? Pour les anciens chaque dieu était un état de conscience. Les dieux étaient des façons d’extérioriser, de symboliser les plans de l’être que l’on avait à visiter à l’intérieur de soi-même. Donc, prendre soin des dieux, c’est être attentif à ces images qui nous guident, qui viennent nous visiter dans nos rêves ; ces images de la perfection, ces images qui nous inspirent. Les dieux sont les Valeurs qui vont orienter notre désir. La maladie pour les Thérapeutes vient de ce que l’homme a perdu l’orientation juste de son désir. Être malade c’est être à côté de son vrai désir, et la santé c’est être proche de son désir le plus intime, le plus essentiel. Ce n’est pas évident de découvrir notre véritable désir, de le désidentifier du désir de notre envi- ronnement, de notre père, de notre mère, de tous ceux qui ont marqué et marquent encore notre existence. Qu’est-ce que je désire vraiment ? Qu’est- ce que je veux vraiment ? Si l’on peut répondre à cette question l’on ne se porte pas si mal. On va chez les Thérapeutes pour arrêter de désirer du désir des autres, pour sortir des désirs de l’environnement qui nous manipule, des désirs qui dans notre inconscient agissent à notre place, ce qui nous désé- quilibre, nous rend plus ou moins schizophrène, c’est-à-dire nous sépare de LES THÉRAPEUTES D’ALEXANDRIE La chute est de passer d’un état de communion à un état de consommation. On ne communie plus avec l’Être à travers les êtres, mais on consomme les êtres, on consomme les choses, on consomme la nourriture. notre être et de notre désir essentiel. Chez les Thérapeutes il nous est offert un lieu, un espace où on peut se poser la question : « Qu’est-ce que je dési- re vraiment, quelles sont les valeurs qui orientent ma vie ? » Le Thérapeute veille sur ses émotions Il veille, littéralement, sur ses pathé qui va donner en français le mot « pathologie » et dans la tradition chrétienne le mot « passion ». On est dans une démarche où il s’agit d’observer les passions, les émotions, les impul- sions qui nous habitent. Pas pour les détruire, pas pour les nier, mais d’abord pour les observer et pour s’en désidentifier. Il peut y avoir de la colère en nous, mais nous ne sommes pas cette colère. Il peut y avoir de la jalousie, mais nous ne sommes pas cette jalousie. Il s’agit d’observer les émotions, les pulsions, les passions qui nous animent et qui peuvent provenir d’événe- ments du passé qui se projettent sur le présent, et être libre de ces émotions, de ces pulsions, de ces passions. Les Thérapeutes appellent cela le « soin éthique ». Prendre soin de son éthique, c’est prendre soin de sa liberté, prendre soin de ce qui, en nous, est libre des émotions et des passions – c’est- à-dire prendre soin de son Être. C’est prendre soin de la liberté qui est en nous, liberté à laquelle on ne croit d’ailleurs plus tellement, tellement on est conditionné par notre passé, nos mémoires, notre environnement, la société dans laquelle on est. C’est prendre soin de ce qui en nous est inconditionné. C’est à partir de cette liberté que la guérison va peut-être pouvoir opérer. Donc le Thérapeute prend soin du désir, des valeurs qui orientent le désir, sachant que le malaise, la souffrance viennent de ce qu’on est coupé de son désir, coupé de son être essentiel. Le malheur c’est d’avoir perdu cet espace de silence et de liberté à l’intérieur de soi. Peut-être vivons-nous dans l’espace-temps pas seulement pour « faire », pour produire, pour agir, mais aussi pour prendre conscience de cet espace intérieur, de cette liberté. Pour savoir qu’il y a en nous une issue à « l’être pour la mort ». Les Thérapeutes disent que guérir un corps c’est bien, mais c’est guérir un corps mortel, et c’est la mort qui aura le dernier mot. Guérir un psychisme, remettre de l’ordre dans mon désir, dans mes idées, dans mes émotions, c’est très bien, mais le psychisme, comme tout ce qui est com- posé sera décomposé. Il est appelé à une subsistance plus ou moins longue. Peut-être aura-t-il à subsister dans des mondes intermédiaires, mais même là il est toujours dans le monde du temps, uploads/Philosophie/ leloup-les-therapeutes.pdf
Documents similaires










-
25
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Jul 18, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
- Langue French
- Taille du fichier 0.0907MB