Hélène Hagège – LIRDEF – Université Montpellier II – IREM « La démarche scienti
Hélène Hagège – LIRDEF – Université Montpellier II – IREM « La démarche scientifique » - février 2007 1 La démarche scientifique : invariants et spécificités disciplinaires - une approche épistémologique - INTRODUCTION Les sciences dites dures (mathématiques, physique, chimie, sciences de la vie, de la terre ou de l’univers) jouissent d’un statut privilégié dans nos sociétés occidentales. Elles produisent des connaissances auxquelles on accorde une valeur particulière. D’où vient cette particularité ? En quoi ces connaissances sont-elles différentes des autres connaissances issues de l’activité humaine (sciences humaines, religions, cuisine,…)? Comment sont-elles élaborées ? D’aucuns pensent que la science est caractérisée par la mise en œuvre d’une démarche particulière, « la démarche scientifique ». Selon l’image populaire, une telle démarche aurait pour but de découvrir, de comprendre et d’expliquer le monde tel qu’il est. Elle serait constituée d’étapes bien déterminées, respectées de manière rigoureuse. Elle consisterait en l’exercice d’une raison pure, la confrontation avec des expériences et des observations neutres, qui conduiraient à l’élaboration de théories en stricte correspondance avec la réalité. Ainsi, les connaissances objectives qui en émanent s’ajouteraient progressivement de manière à tendre asymptotiquement vers la vérité, i.e. une description du monde tel qu’il est (même si l’histoire nous a montré que la science avance parfois par tâtonnement, les erreurs seraient éliminées au fur et à mesure, de telle manière que les connaissances conservées au bout du compte répondraient à ce schéma). Notre objectif est ici est de questionner cette vision spontanée de la démarche scientifique (particulièrement les termes en italique), en la confrontant à l’éclairage critique qu’y apportent les épistémologues. Nous nous attacherons à dégager, au fur et à mesure, les points communs et les divergences concernant les processus d’élaboration des connaissances dans les différentes disciplines. Encart 1 – Qu’est-ce que l’épistémologie ? Le terme « epistemology » apparaît pour la première fois en 1854. Il est composé de racines grecques qui signifient ensemble « discours rationnel (logos) sur le savoir (épistémé) ». Il est introduit en français en 1901 comme un équivalent de « philosophie des sciences ». Aujourd’hui, « épistémologie » et « philosophie des sciences » sont distinguées. La première correspond à la science qui étudie comment fonctionne la science. Elle consiste donc en l’analyse rigoureuse des discours scientifiques et de leurs modalités de production. Contrairement à ce qui est appelé « philosophie des sciences », l’épistémologie exclue le plus Hélène Hagège – LIRDEF – Université Montpellier II – IREM « La démarche scientifique » - février 2007 2 souvent une réflexion sur le sens des concepts (elle se concentre sur leur rôle). Elle tente de répondre aux questions suivantes : « D’où viennent les savoirs scientifiques? Qu’ont-ils de particulier par rapport aux autres savoirs ? Comment sont-ils validés ? Quelle est leur portée explicative ? » I La démarche scientifique dans l’histoire humaine Afin de comprendre comment s’est constituée une démarche particulière aux sciences, il nous faut envisager comment, historiquement, une telle démarche s’est individualisée. Ainsi nous vous invitons à replonger dans le passé, à imaginer ce qui s’est mis en place dans des sociétés qui étaient bien différentes de celle qui est la nôtre aujourd’hui. A] A l’origine de la démarche scientifique : l’amour de la raison La naissance de l’activité scientifique est située en Grèce, au VIème siècle avant notre ère. Les mathématiques sont en fait nées bien avant, avec les échanges commerciaux et les nécessités coïncidentes de dénombrer des objets et de calculer des surfaces cultivables1. Elles étaient alors des outils permettant de résoudre des problèmes pragmatiques. On utilisait par exemple des « π » approximatifs pour calculer l’aire des cercles. Ce sont les grecs qui ont posé les premiers fondements solides des mathématiques, qui en ont fait une véritable discipline théorique, avec des énoncés généraux plutôt que relatifs à tel ou tel cas particulier, et qui leur ont imprimé un style viable aujourd’hui encore. Cette nouvelle démarche aurait été mise en place grâce à la nouvelle société de citoyens relativement libres et souverains : elle a donné une place privilégiée à la discussion et au débat public, favorisant ainsi le développement de la pensée abstraite et argumentée – la philosophie –, et des considérations mathématiques fondées sur des raisonnements rigoureux, donc persuasifs. Ainsi, les historiens considèrent que c’est dans cette société que sont nées les véritables démonstrations mathématiques. C’est à Pythagore (570-480) que l’on doit les termes philosophia « amour de la sagesse » et mathèma (mathématique) « ce qui est appris ». C’est lui et son école qui auraient détaché les mathématiques des préoccupations utilitaires. Leur devise, « tout est nombre », signifie que les nombres entiers sont l’essence du monde et de sa connaissance. Ainsi, ils associent à chaque nombre entier un principe métaphysique qui lui qui confère une signification mystique. Avec son prédécesseur et maître supposé Thalès (625-547), ils sont les premiers connus à tenir un discours rationnel sur la nature. C'est-à-dire qu’ils cherchent à expliquer les phénomènes naturels par des causes naturelles (et non par l’action des Dieux). Par exemple, selon Thalès, un seul principe actif – l’eau – peut expliquer les mouvements et transformations que le monde subit. Tandis que pour son disciple Anaximène (585-525), il s’agit de l’air. Ils procèdent par confrontation d’arguments. Leur but est d’élaborer une 1 « calcul » vient du latin calculus, « caillou » ; à l'origine, les bergers avaient un pot à l'entrée de la bergerie où ils jetaient autant de cailloux que de moutons qui sortaient afin de vérifier leur nombre au moment de les rentrer. Hélène Hagège – LIRDEF – Université Montpellier II – IREM « La démarche scientifique » - février 2007 3 connaissance vraie. Cette attitude est appelée rationalisme : la connaissance viendrait de l’exercice de la raison. Contrairement aux Pythagoriciens, Platon (428-348) pense que le monde en soi n’est pas connaissable ; il est idéaliste. C’est-à-dire que la connaissance ne porterait pas sur le monde réel, mais sur un monde idéal, où les objets sont parfaits – le monde des Idées. Par exemple, la connaissance qui consiste à penser le cercle et les propriétés mathématiques qui en découlent ne concerne pas ce qui se passe dans le réel où aucun cercle – i.e. une infinité d’entités unidimensionnelles, les points, parfaitement équidistantes d’un centre – n’existe. Aristote (384-322), élève de Platon, s’oppose à l’idéalisme de son maître ; il est réaliste. En effet, pour lui, le monde « d’en bas » est connaissable, il a une logique propre qui est accessible à notre raison. Ainsi, c’est le premier qui propose l’idée d’une physique (phusikè), qu’il nomme également « philosophie seconde » (la philosophie première correspondant à la métaphysique). Selon lui, la vérité ne peut venir que de l’argumentation logique et de l’observation du monde. Ainsi, la faculté suprême de l’homme, la raison (nous), nous permet la contemplation (theoria) du monde tel qu’il est. Aristote appelle épistémé la nature de la connaissance, qu’il croit venir de la logique, modalité de raisonnement qui du général au particulier, de l’abstrait au concret. C’est la démarche scientifique qu’il prône. Il a analysé les conditions d’établissement d’une preuve par l’argumentation déductive. La démarche déductive va du général au particulier : en partant de principes généraux, on fait des déductions sur les cas particuliers (elle s’oppose à la démarche inductive, qui consiste à dégager des principes généraux à partir de l’étude de cas particuliers). Ainsi Aristote élabore une métaphysique, selon laquelle la variété et les transformations des objets réels à la combinaison de quatre éléments : terre, air, feu, eau. Le monde céleste est de plus régit par une substance plus noble : l’aithèr. Les proportions des quatre ou cinq éléments déterminent les qualités des objets selon une série d’échelles, du chaud au froid, du sec à l’humide, du haut au bas, etc. Il propose donc un système théorique plus vaste et plus riche que ceux de ses prédécesseurs. Ainsi, pratiquant l’observation, recherchant les causes et classant les phénomènes, il se lance dans l’entreprise de mettre à jour l’ordre inhérent à la nature. Son principe de classification a été repris ; il disséquait les êtres vivants et les classait selon deux critères : la morphologie et la fécondité intraspécifique. Conclusions : De cette ébauche de la naissance de la science, tirons quelques conclusions : • La naissance de la science a été permise dans un contexte sociopolitique particulier, la démocratie. Nous verrons que les démarches scientifiques sont toujours en interaction avec les évolutions du reste de la société. • La naissance d’une méthode scientifique dépend de choix humains qui définissent les règles de démonstration (déduction vs induction par exemple), les questionnements légitimes, ainsi que les bases métaphysiques sur lesquelles repose tout le reste. • A l’origine, les mathématiques, la philosophie, l’astronomie (que nous n’avons pas évoquée mais qui est également développée par les Grecs anciens), puis la physique avec Aristote, participaient toutes d’une même activité : penser le monde. Au milieu du changement constant des choses et des êtres, la pensée peut-elle saisir quelque Hélène Hagège – LIRDEF – uploads/Philosophie/ la-demarche-scientifique.pdf
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- Publié le Aoû 13, 2022
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