La force des mots : valeurs et violence dans les interactions verbales Editoria
La force des mots : valeurs et violence dans les interactions verbales Editorial Publié : 30 janvier 2012 La force des mots : valeurs et violence dans les interactions verbales. Introduction Olga Galatanu, IRFFLE et CoDiRe – EA 4643, Université de Nantes Ana-Maria Cozma, Université de Turku et CoDiRe – EA 4643, Université de Nantes Abdelhadi Bellachhab, Université Charles de Gaulle – Lille 3 et CoDiRe – EA 4643, Université de Nantes Les valeurs et la violence verbale sont souvent présentes dans les discours qui accompagnent ou qui fondent les pratiques sociales (politiques, médiatiques, éducatives, associatives et autres), et de ce fait, les deux concepts ont constitué l'objet de nombreuses réflexions et recherches en sciences sociales : philosophie, sciences politiques, juridiques, psychologie sociale et sociologie, histoire, sciences de l'information et de la communication, sciences de l'éducation, analyse du discours. Dans le domaine des sciences du langage, à l’interface des sciences sociales, nous pouvons citer les travaux de Lagorgette (2003 a et b) et l’ouvrage de Moïse, Auger, Fracchiolla et Shultz-Romain (2008). Les valeurs sont étudiées comme source des comportements sociaux, des décisions institutionnelles et des prises de position idéologiques, comme composantes identitaires pour définir des acteurs sociaux et des identités collectives ou individuelles, comme moteur des dynamiques sociales et de la construction de nouveaux espaces géopolitiques, tels l'Union Européenne ou les espaces de la Francophonie. Elles sont évoquées pour expliquer le monde social et pour défendre des entités sociales ou pour proposer des mesures d'amélioration, voire de changement des structures institutionnelles, civiles ou autres, pour justifier le progrès scientifique et pour en limiter les éventuelles dérives. Elles « axiologisent » la pratique humaine et la parole sur la pratique, qu'elle soit institutionnelle, publique ou privée. Elles sont évoquées aussi bien en psychothérapie de la communication que dans la sanction institutionnelle. Présentes dans les pratiques sociales et dans les discours sur les pratiques sociales, elles s’inscrivent certes dans « une sémantique1 de l’intervention sur l’activité humaine et sur les dynamiques identitaires » (Barbier et Galatanu 2000, 2004 : 35), mais elles sont également objet de réflexion philosophique privilégié et objet de recherche de la linguistique des modalités et de la modalisation, en tant que processus d’inscription du point de vue, de la prise de distance, de « la rupture de l’indifférence », comme disait Lavelle de celui qui parle et agit à travers les interactions verbales. Leur énonciation et leur acceptation passent par une procédure communicationnelle de conviction et génère, certes la tolérance, l'intercompréhension, mais aussi la confrontation, voire la violence. Très étudiée également par les sciences humaines et sociales, dans ses racines biologiques et sociales et dans ses « formes de propagation verbale », la violence reste une préoccupation centrale de toutes les formes que la société humaine, que toutes les pratiques sociales ont connues et connaissent. Cette violence verbale affecte les images que donnent les acteurs sociaux en interaction d'autrui et d'eux-mêmes. On peut identifier ainsi des formes de violence verbale contre l'autre, mais également contre soi. Dans la perspective des Sciences du Langage, on pourrait dire à la limite que tout acte de langage, toute prise de parole constitue une menace du territoire de l'autre et une mise en danger de soi-même, car l'homme est confronté à une injonction paradoxale : il doit communiquer, a besoin de communiquer et, en même temps, il a besoin de défendre son « territoire ». Le sujet parlant se heurte, dans la société, selon les ethnométhodologues, à deux nécessités contradictoires : la nécessité de défendre le territoire de son moi et la nécessité d'établir des relations avec autrui. L'obligation de concilier ces deux nécessités contradictoires donne naissance à toutes sortes de rituels interpersonnels, surtout des rituels d'accès, ou des processus de figuration qui assurent le déroulement harmonieux de l'interaction humaine (Goffman 1974). Georges Gusdorf a montré aussi que ce qu'il appelle le « contrat linguistique », aspect fondamental du contrat social, n'est pas possible sans « une obéissance partagée » qui assure l'union passagère ou profonde des interlocuteurs (Gusdorf 1977). Chaque sujet parlant se livre au péril d'autrui, mais les cloisonnements de la vie sociale, les formules de politesse, les formules de civilité, interviennent pour limiter les risques. La théorie de la politesse de Brown et Levinson (Brown et Levinson 1987 ; Kerbrat-Orecchioni 1992, 2005) développe cette approche, dans laquelle les aspects culturels prennent toute leur importance dans l'identification et la « mesure » de la menace langagière. Par ailleurs, la problématique même du « bien-être », thème fondamental de la société contemporaine, génère le questionnement sur les sources du malentendu, de l'incompréhension et de la violence en réponse à ces échecs communicationnels et comme réponse aux systèmes de valeurs affichés par l'Autre. Quelles que soient les disciplines en Sciences Humaines et Sociales qui l’approchent, la « violence verbale » est un concept d’une si grande complexité, de par les réalités linguistiques, psychiques et institutionnelles qu’elle évoque, qu’on arrive difficilement à en cerner tous les aspects, et ceci même si le point de vue observationnel est clairement défini et le principe explicatif des mécanismes de sa production-interprétation est cohérent, comme on peut l’envisager pour des études se situant : à l’interface des Sciences du Langage et des Sciences de la Culture, où l’interrogation porterait sur les représentations linguistiques et culturelles que différentes communautés linguistiques et culturelles peuvent avoir de la violence verbale, sur leur caractère immuable et transférable ou bien variable, changeant d’une pratique discursive à l’autre ; dans des approches plus proprement linguistiques des mécanismes discursifs qui produisent des actes discursifs interprétés de façon « stabilisée » comme des actes menaçants ; dans des approches psychologiques, qui interrogent les effets de l’acte de langage menaçant (ou rassurant, d’ailleurs) sur le vécu affectif de celui qui en est l’objet et/ou de celui qui le performe ; ou enfin, dans le cadre d’approches cognitives, en psychologie et en linguistique, qui peuvent se donner pour tâche d’étudier les représentations que les sujets parlants ont de la violence verbale même, voire de la violence en général. Dans une approche à l’interface du fait linguistique et du fait culturel, nous avons abordé dans le cadre du programme « Sémantique de l'interaction verbale : actes menaçants, actes rassurants » du CoDiRe, mis en œuvre en 2008, l’étude des mécanismes langagiers de production d’actes discursifs interprétables comme violents (Bellachhab 2009 et à paraître ; Galatanu 2011 ; Galatanu et Bellachhab 2011 a et b ; Galatanu, Bellachhab et Cozma, en préparation)2. Ces actes menacent : soit l’image publique de ceux à qui ces actes sont destinés et/ou de ceux qui les produisent ; soit l’indépendance de ceux à qui ces actes sont adressés, leur « territoire », leur « ego ». Nous avons ainsi distingué : les mécanismes sémantico-discursifs : les marqueurs illocutionnaires des actes « menaçants » (Galatanu et Bellachhab 2011 a et b3) et les contenus propositionnels qui orientent l’interprétation de la force illocutionnaire de l’acte performé comme des actes « menaçants » (Anquetil 2009) ; les mécanismes pragmatico-discursifs (les liens entre l’acte et son contexte, qui expliquent l’interprétation d’un acte comme inadéquat, voire violent). Dans le cas où la violence verbale – ou ce qui est perçu comme « violence verbale » – est mobilisée par les sujets parlants consciemment, volontairement, voire stratégiquement (comme dans les discours politiques), ou au contraire, involontairement, voire inconsciemment, cette « affirmation » de soi se fait par un processus de discrimination (violente, bien sûr), par rapport à l’autre : se poser, voire s’imposer, revient à s’opposer à l’autre, voire à le déconstruire, qu’il s’agisse d’une identité individuelle ou collective, à s’attaquer à sa culture, à ses systèmes de valeurs, à les remettre en cause. Ainsi se révèle le lien très étroit entre la « violence verbale » et les valeurs revendiquées au travers des échanges au quotidien par les individus pour affirmer des appartenances identitaires, ou bien, tout simplement, pour exprimer des adhésions idéologiques, qui vont de la simple expression d’opinion, passant par les convictions, les croyances, au fanatisme revendiqué. Dans différents champs de pratiques discursives : dans les discours institutionnels, dans des formes orales et écrites de transmission de la culture d’une identité collective, dans les échanges interpersonnels, ces valeurs surgissent, d’une façon ou d’une autre, occasionnant parfois des incompatibilités de valeurs (ou de systèmes de valeurs), des incompatibilités tantôt irréfléchies, tantôt calculées. La violence verbale, telle qu’elle a été identifiée et expliquée dans nos travaux cités plus haut, depuis la mise en place de notre programme de recherche sur les actes menaçants et les actes rassurants, en 2008, couvre des actes de parole (et les discours que les ensembles de ces actes forment), qui : visent à exercer une force pour contraindre quelqu’un/un groupe social (le soumettre, le faire agir d’une certaine manière) et provoquent un sentiment de « mal-être » : menacer, ordonner, interdire, et même autoriser, accuser ; expriment le mépris, la haine, l’indifférence (dans certaines situations d’expression des affects ou de crise sociale), qui uploads/Philosophie/ la-force-des-mots.pdf
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- Publié le Aoû 15, 2021
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