René BARBIER - La recherche, l’éducation, et le sentiment de la mort : réflexio
René BARBIER - La recherche, l’éducation, et le sentiment de la mort : réflexions dans l’esprit de Krishnamurti http://basarab.nicolescu.perso.sfr.fr/ciret/bulletin/b19c21.php[12/10/2012 08:27:31] C I R E T CENTRE INTERNATIONAL DE RECHERCHES ET ÉTUDES TRANSDISCIPLINAIRES LA RECHERCHE, L'ÉDUCATION, ET LE SENTIMENT DE LA MORT : RÉFLEXIONS DANS L'ESPRIT DE KRISHNAMURTI Éduquer à mourir ne peut-être que s’éduquer à finir radicalement dans sa forme d’existence. Dans ce domaine, aucune méthode ne saurait être pertinente. On peut toujours tenter d’approfondir, comme Michel Schneider, dans ses « Morts imaginaires »[1], la façon dont les écrivains et philosophes, ont assumé ce passage difficile. Je préfère parler, de ma grand-mère maternelle que j’ai accompagnée dans cet ultime instant. Marie Kleinholtz, La Marie, comme on l’appelait dans son quartier populaire où elle vendait des fruits et des légumes, en tant que « marchande de quatre saisons », dans les années cinquante, à un âge déjà avancé, allait et revenait, chaque petit matin, de la rue Nationale dans le treizième arrondissement de Paris, aux Halles du centre de la capitale. Elle ramenait sa voiturette à bras et s’installait de bonne heure pour commencer sa journée. Elle aimait rire, chanter, bien manger et fumer ses « clopes » qu’elle confectionnait elle-même. Elle était simple, cultivée par la vie plus que par les livres, disponible pour les petits enfants. Elle m’a donné une âme et fait fructifier le clair-joyeux dans ma prime-enfance. Elle est décédée à plus de 88 ans, à la maison, chez mes parents. Depuis quelque temps ; elle avait décidé de ne plus manger. Son état nous avait alertés, bien qu’il ne présentait aucun symptôme délétère. Ma mère voulait l’hospitaliser. J’avais refusé après avoir parlé avec ma grand-mère. Elle n’avait jamais été malade et ne voulait pas entendre parler d’hôpital. « J’ai assez vécu et c’est bien ainsi » me disait-elle, « je vais rejoindre mon Léon » (son mari décédé depuis une cinquantaine d’années). J’étais là au moment de sa mort, jeune adulte encore, tout neuf dans l’écoute des personnes en fin de vie. Allongée sur son lit, dans un état comateux, inconsciente, elle s’est mise à trembler de tout son corps. J’ai su que c’était la fin. Je lui ai pris la main tendrement et, en silence, au fond de moi-même, une parole m’est venue. « Ne crains rien, mémère, je suis avec toi. Tu peux partir tranquille et sans peur. Tu n’as jamais fait de mal à personne dans ta vie et tu m’as donné envie de vivre, de sourire, d’aimer. Va rejoindre ton Léon. Il t’attend. Nous t’aimons pour toujours ». Tout à coup, son corps a cessé de trembler. Son visage s’est détendu. Une larme a glissé lentement le long de sa joue. Elle a rendu son dernier souffle. Sa mort m’a appris l’art de mourir relié. Beaucoup plus, sans doute, que tous les livres de philosophie que j’ai pu lire ensuite[2]. Il y a déjà longtemps que j’ai entrepris une réflexion, avec mes étudiants en Sciences de l’éducation, autour des questions qui touchent au sens de la vie et de la mort. Dans les années quatre-vingt, j’ai eu l’occasion de proposer une série de séminaires sur le thème de l’éducation à la mort[3]. En fait, il s’agissait, avant tout, de l’éducation à la compréhension de la fin de vie, notamment dans les hôpitaux, où meurent actuellement trois-quarts des agonisants en France et dans lesquels j’ai eu l’occasion de mener des recherches cliniques. Il peut paraître paradoxal que, dans un département d’enseignement universitaire en Sciences de l’éducation, rien ou presque, ne soit proposé sur ce thème aux futurs (ou actuels) enseignants du primaire et du secondaire. Mon cours a duré deux ans. Depuis, aucun autre cours n’a abordé ce sujet à l’université Paris 8, dans le département où j’enseigne. Il en va de même ailleurs. L’approche éducative du mourir est un sujet tabou, beaucoup plus que la sexualité, même marginale, ou que la violence des enfants dans les petites classes. Pourtant mes étudiants étaient très intéressés par la problématique de ce cours qui s’ouvrait largement sur une dimension interculturelle. Une de mes étudiantes Marie-Ange Abras, a tenté le diable. Elle a voulu soutenir son doctorat sur l’éducation à la mort des enfants à l’école.[4] Marie-Ange Abras a proposé une " thanatoéducologie ", c'est-à-dire d'une éducation à la mort, chez les enfants préadolescents. N'était-elle pas engagée depuis une vingtaine d'années, en tant qu'infirmière, dans une action thérapeutique liée aux soins palliatifs ? Elle n'a pas hésité à vouloir appliquer cette problématique et cette méthodologie, d'une façon originale, dans la recherche qu'elle a entreprise sous ma direction. Des rapports de l'enfant à la mort de l'animal, en passant par mort et histoire, mort et psychologie, peur de la mort chez l'adulte, l'infirmière et la mort, le besoin de parler de la mort chez l'enfant, mort et esthétique, mort et philosophie, question de la douleur et soins palliatifs, euthanasie, acharnement thérapeutique, crémation et rituels de deuil dans différentes cultures, Marie-Ange ABRAS a fait miroiter toutes les facettes du problème. Réaliser la confrontation entre ces interrogations hypothétiques et le terrain n'était pas sans problèmes. Je l'avais prévenue de la grande difficulté à réaliser une telle entreprise. Cette question de la mort et du deuil, nous n'arrêtons pas de la rencontrer dans notre activité de pédagogue. Mais le domaine est vierge en éducation. Certes, ce n'est pas le cas en philosophie ou en anthropologie, grâce d'ailleurs à Louis-Vincent Thomas, ce remarquable chercheur sur la Mort en Afrique, et à ses disciples comme Jean- Marie Brohm. Les philosophes ont depuis toujours discuté la thématique du mourir. Je me souviens de ce beau livre sur " la mort " de Vladimir Jankélévitch et, au début 2000, de la réflexion de Hans Jonas sur le fardeau et la bénédiction de la mortalité dans son livre " Évolution et liberté " (Rivages 2000). Marie-Ange Abras a osé faire une recherche dans un domaine qui est marqué par le sceau du secret et du mutisme obligé. Sa pugnacité dans ce domaine est exemplaire. La mort n'est un sujet tabou que chez les adultes soi-disant éducateurs. Les enfants l'abordent directement, avec leur imaginaire et souvent avec une profonde lucidité, notamment lorsqu'ils sont en fin de vie, comme l'ont si bien montré Ginette Raimbault ou Élisabeth Kübler-Ross. ACCUEIL TRANSDISCIPLINARITÉ PROJET MORAL ACTIVITÉ ASSOCIATION CHARTE René BARBIER - La recherche, l’éducation, et le sentiment de la mort : réflexions dans l’esprit de Krishnamurti http://basarab.nicolescu.perso.sfr.fr/ciret/bulletin/b19c21.php[12/10/2012 08:27:31] Les autres civilisations n’ont pas le même refus (la même peur ?) d’inscrire la mort, ses rituels, ses interpellations existentielles, dans une éducation de la personne. Une des façons d'évaluer notre imaginaire social de la mort consiste à l'éclairer par une autre manière culturelle de la vivre. La mort africaine qui a fait l'objet de travaux de grande qualité[5]. Dans le contexte africain, la mort prend un sens très différent. Historiquement, l'Afrique a été marquée par la destruction de ses populations: par exemple la traite des noirs atlantique aurait touché 100 à 200 millions d'individus. L'Afrique a encore aujourd'hui une espérance de vie la plus faible du monde, notamment pour la mortalité infantile. Des génocides s'y sont perpétués en permanence au XXe siècle (Noirs animistes ou chrétiens du Soudan : 500000 morts ; guerre du Biafra : 3 millions de morts dont 2 millions d'enfants, hécatombe du Darfour, génocide du Rwanda). On peut dire - avec L.V.Thomas - que “c'est peut-être parce que l'Africain vit en familiarité avec la mort qu'il a su, par un tour de l'imaginaire, la ramener à quelque chose d'inessentiel en postulant la survie dans l'au-delà, la réincarnation, l'ancestralité garante de la pérennité du groupe.”(5, p.12) La mort individuelle est sans grande importance dans une conception du monde régie par un temps circulaire et répétitif, sous l'égide de la toute puissance du mythe et le contrôle des ancêtres. Ce qui caractérise la mentalité africaine, c'est que tout ce qui existe est vivant à sa manière. Cette croyance va de pair avec l'idée “d'une nature où circule un jeu de forces, ou d'un monde construit à l'image de l'homme, ou même dont l'homme (ou plutôt son sexe, siège de puissance et de fécondité) serait le centre” (L-V.Thomas,, 5, p.73). Ainsi les défunts vivent: ils mangent, boivent, aiment, haïssent, répondent aux questions posées, fécondent les femmes, fertilisent les champs et les troupeaux. Ils communiquent avec les vivants en particulier par la nourriture qu'on leur offre. Mort et séparation sont présentes dès la naissance et prennent tout leur poids dans les rites d'initiation où le futur initié est mis à mort symboliquement et “avalé” par l'ancêtre. Il meurt alors à son “gbeto” (son moi) pour naître à son “vodun” (génie du clan) chez les Fon du Bénin.. Les attitudes à l'égard de la mort diffèrent selon l'âge, le sexe, les situations globales, les situations particulières, mais l'Africain semble plus apte que l'Occidental à affronter la mort en face comme le remarque D. Zahan dans son livre sur Religion,spiritualité et pensée africaines.[6] L'assistance au mourant est pris dans un rituel précis qui uploads/Philosophie/ la-recherche-l-x27-education-et-le-sentiment-de-la-mort-reflexions-dans-l-x27-esprit-de-krishnamurt-par-rene-barbier.pdf
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- Publié le Jui 20, 2022
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