Langages La sémiotique phanéroscopique de Charles S. Peirce Claude Bruzy, Werne

Langages La sémiotique phanéroscopique de Charles S. Peirce Claude Bruzy, Werner Burzlaff, Robert Marty, Joëlle Réthoré Citer ce document / Cite this document : Bruzy Claude, Burzlaff Werner, Marty Robert, Réthoré Joëlle. La sémiotique phanéroscopique de Charles S. Peirce. In: Langages, 14ᵉ année, n°58, 1980. La sémiotique de C.S Peirce. pp. 29-59; doi : https://doi.org/10.3406/lgge.1980.1846 https://www.persee.fr/doc/lgge_0458-726x_1980_num_14_58_1846 Fichier pdf généré le 02/05/2018 Claude BRUZY, Werner BURZLAFF, Robert Marty, Joëlle Réthoré. Université de Perpignan LA SÉMIOTIQUE PHANÉROSCOPIQUE DE CHARLES S. PEIRCE 0. Avant-propos (R. Marty) 0.1. La sémiotique occupe une position centrale dans l'œuvre de PEIRCE. Connu entre autres comme logicien, il considère lui-même que « la logique, dans son sens général, n'est qu'un autre nom de la sémiotique » (2.227) 1. Considéré par ailleurs comme le père du pragmatisme, il fut conduit à proposer son principe à partir de préoccupations sémiotiques, pour répondre à la question que l'analyse cartésienne laissait en suspens en faisant de la clarté et de la distinction de l'idée le test de sa signification 2. Curieusement, ses conceptions, largement approuvées par un linguiste comme Roman JAKOBSON, qui considère PEIRCE comme « le plus profond investigateur de l'essence des signes » 3, et par un mathématicien aussi engagé dans les sciences humaines que l'est René THOM, qui parle de la « classification des signes si simple et si profonde que nous a léguée C. S. PEIRCE » 4, sont assez peu répandues, si ce n'est sous forme tronquée, comme nous aurons l'occasion de le voir. Nous aurons enfin une idée de l'importance que PEIRCE lui-même accordait à sa sémiotique en prenant connaissance de ce qu'il écrivait, vers ses 70 ans, à Lady WELBY : « Sachez que depuis le jour ou à l'âge de douze ou treize ans, [...], il n'a plus été en mon pouvoir d'étudier quoi que ce fût — mathématiques, morale, métaphysique, gravitation, thermodynamique, optique, chimie, anatomie comparée, astronomie, psychologie, phonétique, économie, histoire des sciences, whist, hommes et femmes, vin, métrologie, si ce n'est comme étude de sémiotique » (LW 422) 5. 0.2. Cependant une idée largement répandue est que l'œuvre sémiotique de PEIRCE demeure assez difficile d'accès, du moins telle qu'elle se présente dans les Collected Papers. Georges MOUNIN écrit que l'« interprétation de sa doctrine, compliquée par une terminologie très lourde, et de plus fluctuante, reste difficile » 6, et il faut avouer qu'il n'a pas tort. Eclatée dans les huit gros volumes des Collected Papers, accessible jusqu'à ce jour uniquement en langue anglaise 7, présentée dans une chronologie 1. Les citations des Collected Papers (Harvard University Press, Cambridge Massachus- sets, 1931-35-58) sont référencées de la manière suivante : le premier chiffre indique le numéro du volume, le nombre suivant indique le paragraphe. 2. Gérard Dklkdallk, « l'ElRCK ou salssurk », « Semiosis », n° 1, p. 8, Agis-Verlag, Baden-Baden, 1976. 3. Roman JAKOBSON, Essais de linguistique générale, tome 1, p. 79, Éd. de Minuit, 1973. 4. René THOM, Modèles mathématiques de la morpkogénèse. De l'icône au symbole, p. 229, UGE, coll. « 10/18 », 1974. 5. Les citations des lettres à Lady Welby (Whitlocks Inc., New Haven. Conn., 1953) sont référencées par le sigle LW suivi de la page du volume. 6. Georges MOUNIN, Introduction à la sémiologie, p. 8, Éd. de Minuit, 1970. 7. Gérard DELEDALLE publie actuellement aux Editions du Seuil des traductions commentées de PEIRCE sous le titre Ecrits sur le signe. 29 assez incertaine et soumise aux impératifs d'une morale terminologique variable, la sémiotique de PEIRCE accumule autour d'elle des obstacles largement dissuasifs qui peuvent expliquer que la tradition n'en ait retenu qu'une faible partie, ignorant son « mode de production » qui conduirait plutôt, comme nous le soutiendrons, à l'adopter dans son intégralité. 0.3. Roman JAKOBSON, par exemple, citant PEIRCE à plusieurs reprises, donne à penser que la classification des signes de PEIRCE se réduit — ou presque — aux trois classes icône-indice-symbole 8 ; ailleurs 9 il reconnaît l'existence de signes mixtes, « icône symbolique » et « symbole iconique », ou bien de signes « intermédiaires » 10, tandis que le légisigne apparaît plus loin H sans que sa relation avec les classes citées auparavant soit explicitée et avec une valeur de symbole. Nous verrons dans cet article que le terme « légisigne » est relatif à une instance du signe sans rapport avec celle qui est considérée dans la classification icône-indice-symbole. René ŤHOM procède de même 12 en adoptant de surcroît des conceptions restrictives de l'icône, réduite aux représentations graphiques. Par contre Umberto ECO, s'il cite intégralement les dix classes de signes de PEIRCE, ne les juge probablement pas utiles pour répondre à sa problématique 13. Aussi caractéristique de cet emprunt sélectif que fait la communauté des sémioticiens à PEIRCE est le parti pris implicite de Julia KRIS- TEVA qui, citant longuement le 2.243, ne retient, après avoir annoncé trois trichotomies (et non « catégories », erreur de traduction qui dénature complètement la pensée de PEIRCE), que la seconde, celle de la relation du signe à son objet, c'est-à-dire icône-indice-symbole 14. Finalement, à y regarder de près, ce n'est guère que la terminologie qui est empruntée à PEIRCE, parce qu'elle permet une classification des rapports signifiant-signifié qui a paru commode et opératoire à la plupart des sémio- logues. Pour notre part, nous voyons dans l'adoption pratiquement universelle de ces dénominations une preuve de la pertinence des a priori qui les ont produites. Il faut par ailleurs reconnaître que les éditeurs de PEIRCE ont favorisé un tel emprunt partiel dans la mesure où ils lui font écrire que « les signes se divisent fondamentalement en icônes-indices-symboles » (2.275). Il y a là une invite de leur part à séparer ces notions de l'ensemble de sa sémiotique en donnant le sentiment d'en extraire l'essentiel, ce qui est peut-être l'une des sources de la relative méconnaissance de l'œuvre de PEIRCE dans les cercles influencés par les conceptions sémiologiques de SAUSSURE. 0.4. Il faut, de plus, admettre que l'incompatibilité observée entre un système dyadi- que — la sémiologie basée sur le rapport signifiant-signifié — et un système triadique — la sémiotique peircéenne — ne permet pas de poser les problèmes en termes de complémentarité et pousse à l'annexion pure et simple de tout ce qui peut paraître utile. Il s'agit d'ailleurs d'une incompatibilité qui est tout à fait normale, selon PEIRCE, dans la mesure où « l'on ne peut pas analyser une triade en dyades » (1.363). Jeanne MARTINET n'hésite pas à qualifier d'« absolue » l'impossibilité d'éta- 8. Roman Jakobson, op. cit., tome 2, p. 94. 9. m., ibid., pp. 106-107. 10. id., ibid., pp. 31. 11. id., ibid., pp. 280. 12. René Тном, op. cit., p. 230. 13. Umberto Eco, La Structure absente, Mercure de France. 14. Julia Kristeva, in Panorama des sciences humaines, p. 558,. NRF, Coll. « Le point du jour », 1973. 30 blir des équivalents terme à terme entre les deux terminologies b, plus catégorique en cela que Gérard DELEDALLE qui propose des équivalents pour les termes saus- suriens 1(\ 0.5. Il paraît donc indiqué d'aborder l'œuvre sémiotique de PEIRCE en faisant autant que possible table rase de tout ce que la tradition saussurienne nous a légué de dichotomique, et de renvoyer la confrontation des deux approches aux niveaux de la fécondité et de la commodité des analyses qu'ils permettent. S'il est vrai, comme l'affirme Julia KRISTEVA, « que c'est la tâche de la sémiotique que de produire un formalisme et de l'appliquer à un dehors » 17, alors c'est le degré d'adéquation aux objets formalisés qui en dernière analyse permettra d'étayer des jugements de valeur. Car PEIRCE assigne à la sémiotique d'être « la doctrine quasi nécessaire ou formelle des signes » qui doit dégager « ce que doivent être les caractères de tous les signes utilisés par une intelligence scientifique » (2.227). En d'autres termes, il s'agit de dégager la structure formelle qui est impliquée dans toute représentation par le seul fait qu'elle s'effectue à l'aide de signes, et rien de plus. Faut-il alors, comme l'écrit Julia KRISTEVA, dire de la sémiotique peircéenne « qu'elle rassemble dans un seul cadre tous les systèmes signifiants (les sciences, les langues, les gestes, les arts, etc.) en les réduisant à un discours logique » 18 ? C'est faire bon marché du caractère intrinsèquement ouvert de la méthode sémiotique dont les préceptes fondamentaux sont : « Ne bloquez pas le chemin de la recherche » (1.135) et « Ne précisons pas nos conclusions au-delà de ce que nos prémisses garantissent expressément » (8.244). Pour une information plus approfondie sur ce thème, on pourra se reporter à la préface de Théorie et pratique du signe 19. 0.6. Les développements qui vont suivre consisteront donc tout d'abord dans l'exposé systématique des a priori philosophiques (le protocole mathématique) puis à leur actualisation dans la conception du signe triadique. L'application itérée des axiomes énoncés permet alors d'aboutir aux dix classes de signes, de telle façon qu'il n'y a rien de plus dans ces dix classes qu'il y a uploads/Philosophie/ la-semiotique-phaneroscopique-de-charles-s-peirce 1 .pdf

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