Cristina Dumitru-Lahaye Définir la dissuasion / dissuader par la définition Dan
Cristina Dumitru-Lahaye Définir la dissuasion / dissuader par la définition Dans l'héritage aristotélicien, la dissuasion et la définition sont des éléments constitutifs du raisonnement dialectique, qu'elles soient intégrées au genre judiciaire ou dans le délibératif. Dans la définition il est question d'une identité posée entre des entités, objets, concepts ou autres. Cette mise en équivalence est discutable lorsqu'il s'agit d'établir la nature propre (ou l'essence) d'une chose. Pour la défendre, «il faut veiller à ce que la définition ne soit ni fausse, ni incomplète. Il faut confirmer la sienne et réfuter celle de la partie adverse» (MOLINIE 1992: 99). C'est ainsi que dans le contexte d'interaction à sujets multiples (tels les forums de discussion sur Internet), la définition d'un objet comme le suicide devient problématique, notamment lorsque des énoncés peuvent être interprétés comme des actes déclaratifs de passage à l'acte. Bien plus que la simple réfutation, la dissuasion s'inscrit dans le contre-discours de la définition du suicide pour chercher à produire un effet de passivisation sur le sujet proposant d'agir dans une direction (un sens) suicidaire. Nous nous sommes intéressée aux définitions préalables de la dissuasion, étant donné que ce vocable est parfois mal reçu par les acteurs de la prévention du suicide. Il est vrai que sa description fait date dans les traités juridiques et militaires, où elle est étroitement liée aux pratiques punitives (quand bien même celles-ci renverraient à une conception utilitariste). Or le sujet qui traverse une crise bio-psycho-sociale gagnerait à ne pas être/ se sentir davantage incriminé. Persuadée que les concepts (en tant qu'objets ou catégories des scientifiques) ont une vie en dehors de la catégorisation endogène (celle de la culture),1 nous nous sommes donnée comme tâche de faire l'état des lieux en ce qui concerne les définitions et les acceptions que recouvre le terme de dissuasion. Ce travail nous a permis de dégager un certain nombre de réflexions théoriques à propos des modalités définitoires dans la catégorisation scientifique. Elles constitueront la première partie de notre article. La seconde sera centrée sur les rapports qu'entretient la dissuasion avec les pratiques définitoires spontanées i.e. faites par des locuteurs anonymes. Préliminaires théoriques Les pratiques définitoires La définition est un procédé général, commun aux sciences réputées «dures», ainsi qu'aux sciences dites «molles», par lequel la valeur d'un concept est explicitée. Élément central dans la théorie sémantique d'Aristote (cf. Les Topiques), elle éveille désormais l'intérêt des spécialistes du langage tout comme des locuteurs anonymes, du moment que sa fonction primordiale est de «guider le destinataire dans sa quête du sens» (CUSIN-BERCHE 2002: 156). Parmi les théoriciens de la définition, certains sont davantage concernés par les aspects communicationnels (tels les philosophes du langage, les pragmaticiens, les théoriciens de l'argumentation), d'autres par sa mise en forme linguistique et typographique (tels les lexicographes et/ou les éditeurs de dictionnaires (terminologiques comme encyclopédiques).2 Ainsi Marandin et Fradin, en sémanticiens, examinent la définition lexicographique dans la perspective de l'analyse informelle du sens des mots. Selon les auteurs, l'action de définir est une activité naturelle, qui caractérise la compétence linguistique, la tâche des lexicographes pouvant apparaître comme une "simple codification" des pratiques spontanées des locuteurs anonymes. Dans la même optique, Riegel soutient que (...) l’énonciation d'une définition est un acte empiriquement observable, qui répond à la question, implicite ou explicite, "qu'est-ce que X", interprétée comme une demande d'information sur le sens de X (RIEGEL 1987: 33). Cependant, disent Marandin et Fradin, «cette évidence de la définition dissimule ce que les définitions expriment ou constituent: le sens» (1979:60). Ayant comme but l'explicitation, la définition joue donc un rôle considérable dans l'activité de catégorisation scientifique, réduisant le vague. Il est possible de rendre compte des catégories dont nous traitons par des définitions intensionnelles (en donnant «l'ensemble des traits définissant la classe d'objets dénotés par le mot») ou par des définitions extensionnelles (en énumérant les membres de la classe, ce qui ne peut se faire, en pratique, que de manière réduite) (cf. MOUNIN 2000: 98). Entre conceptualisation et terminologie constituante Les concepts sont, à notre sens, des objets de la représentation discursive, proches des notions, qui sont des objets de la pensée. Le niveau d'abstraction dont ils relèvent est cependant misleading, comme on dit en anglais, puisque, à la différence des notions, ils ne préexistent pas vraiment aux mots de la langue, comme une vision instrumentaliste du langage pourrait le concevoir. Si Rastier s'attache à montrer le cheminement du mot au concept, en passant par le terme, – du moins dans l'interprétation que nous lui donnons – c'est parce que dans la catégorisation scientifique, les concepts sont retravaillés de façon à ce qu'ils retrouvent des sens univoques, quelque chose de leur substance notionnelle primaire. «C'est le travail terminologique qui transforme la notion en concept» (RASTIER 1996). Ainsi, le processus par lequel un mot devient terme comprend plusieurs opérations, dont: la nominalisation (effet d’objectivation), la lemmatisation (épure des variations accidentelles du terme), la décontextualisation (définition du terme par lui-même, isolé du contexte d’emploi) et la constitution du mot en type (i.e. l’exemple représentatif de la classe des occurrences). C'est dans le cadre de cette dernière opération que la définition fait montre puisqu’elle «énonce, conformément au principe du positivisme logique (Carnap, Morris), les conditions nécessaires et suffisantes pour que le terme soit pourvu de sa dénotation correcte». Il rajoute: «dès que la définition est arrêtée, le terme est soustrait à l'interprétation» ; «un mot devient un terme quand il n'a plus de passé, et qu'on lui attribue une signification indépendante des variations induites par les acceptions et les emplois en contexte» (RASTIER 1996). Le terme est censé exprimer le concept de façon univoque. L’avantage que présente l’institution du terme est qu’elle isole le mot-type de ses occurrences par le fait qu’elle donne une dimension normative à sa signification. Si «le signifié du mot élevé au rang de terme est une sémie construite», alors «les "concepts" à traiter sont des signifiés normés par les disciplines, reconnus par la terminologie [mais] leur valeur de connaissance n'est pas du ressort de la terminologie» (RASTIER 1996). En effet, la terminologie constitue le « domaine du savoir interdisciplinaire et transdisciplinaire ayant trait aux notions et à leurs représentations (termes, symboles etc.)» (FELBER 1987: 1). A la suite de Felber, Rastier retient que les notions, «entités conceptuelles», comme il les considère, priment en terminologie sur leurs expressions, linguistiques ou non, considérées en fait comme des variables, certes importantes, mais inessentielles. La terminologie, par sa volonté normative, règle le problème de toute pratique interprétative, en procédant de manière univoque: elle fait en sorte «qu'à toute occurrence d'un terme corresponde un type et réciproquement». En revanche, remarque Rastier, la «doctrine terminologique» laissant de côté la théorie du contexte, elle ne peut rendre compte de la manière dont la signification est transférée du définissant au défini, ni par quel biais elle transmet sa référence (RASTIER 1996). De ce fait, «la théorie de la définition semble inconciliable avec une théorie du contexte et du texte [puisqu’elle] suppose en effet que la signification puisse être indépendante des contextes, ou qu'elle les contienne pour ainsi dire en germe». Selon Rastier «l'usage réitéré du mot dans une même pratique (…) [suscite] une impression référentielle assez stable et partagée pour créer l'illusion d'une stabilité des choses qu'il sert à catégoriser.» Le signifié linguistique «s'identifie proprement au concept» dans cette «conception référentielle» A la suite de Wüster et de Felber, Rastier s’interroge sur le bien fondé de la théorie selon laquelle les concepts et les signifiés relèveraient du système de la langue du moment qu'ils ne diffèrent pas selon les langues. Comme il le dit, «il faudrait pour cela que le lexique en relève, ce qui est douteux, et omettre que le sens résulte de l'interprétation des textes oraux et écrits par des sujets situés». En faisant remarquer que le problème de l’interprétation est rabattu dans ce cas sur la référence, Rastier conclut que «la terminologie est ici tributaire des limites de la philosophie du langage». La définition dans les paradigmes linguistiques Il existe plusieurs typologies relatives aux définitions, fonction des paradigmes scientifiques et de leurs métalangages. Suivant une vieille conception aristotélicienne, selon laquelle tout mot est susceptible de générer une définition, en instaurant une relation3 avec un terme "classifieur", la typologie des définitions est tributaire aux conceptions du lexique. Selon les paradigmes linguistiques, Rastier en mentionne trois : 1/ en lexicographie: le lexique comme nomenclature (ex. dans la Bible); 2/ en terminologie: le lexique comme taxinomie (ex. dans les encyclopédies, procédant par réseaux sémantiques)4 ; 3/ en lexicologie: «tout lexique est une reconstruction, qui fait abstraction du contexte et du texte» (cf. RASTIER 1996).5 Cette triade ne recouvre qu'en partie les études sur la définition, qui distinguent les définitions lexicographiques (désormais DL), les définitions dites scientifiques ou encyclopédiques (DE) et les définitions en tant qu'objets textuels (cf. PASCUAL et PERY-WOODLEY 1995). Les DE sont formulées en langage naturel, avec un appel différencié à d'autres métalangages: elles appellent le modèle taxinomique, basé sur l'ensemble des classifications (on part du terme superordonné pour donner ensuite la différence spécifique). uploads/Philosophie/ art-cristina-lahaye.pdf
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- Publié le Fev 11, 2021
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