La Shoah et les génocides au 20ème siècle Définitions, clarifications, points d

La Shoah et les génocides au 20ème siècle Définitions, clarifications, points de repère Dr Joël KOTEK professeur à l’ULB et enseignant à l’IEP 2014-2015 1 Entrées rédigées par Joël Kotek in Dictionnaire des racismes, de l’exclusion et des discriminations, Esther Benbassa (dir) Larousse, « A présent », 2010, 728 pages Génocide La haine raciale et ethnique est la première cause de tout génocide. Il en est l’aboutissement ultime, mais non nécessaire pour autant. Les recherches sur les génocides sont régulièrement remises en question par des usages intempestifs. Le mot fait désormais partie fait partie de toutes sortes de rhétoriques identitaires, humanitaires ou politiques. Son emploi vise à provoquer un choc dans l’opinion et ainsi ouvrir la voie à une intervention internationale. L’enjeu peut être financier ou judiciaire, dès lors que le mal est fait et qu’il s’agit de poursuivre devant les tribunaux internationaux tel ou tel responsable pour « crime de génocide ». La question peut aussi relever d’enjeux politiques internationaux, comme en a témoigné récemment la décision du TPY de conférer au (seul) massacre de Srebrenica la qualité de génocide. Le mot paraît seul à même d'attirer l'attention, de frapper les consciences ; d’où une inflation verbale et incontrôlée. Plus que jamais, le terme de génocide est devenu un substantif passe-partout. On invoque un génocide algérien, animal (bébés phoques), argentin, chilien, chrétien (avortement), homosexuel, noir, palestinien, social (délocalisation), trotskiste, urbain, vendéen. Le terme est désormais repris par tout groupe qui se considère victime d’une injustice ou d’une persécution alors qu’il devrait être considéré comme le crime absolu. C’est justement ces usages politiques médiatisés intempestifs qui imposent plus qu’à son tour une utilisation rigoureuse du concept. Certes, il est parfois difficile de trancher et ce, d’autant plus que la définition juridique adoptée par l’ONU en 1948, prête à interprétation de par sans doute une formulation un peu trop floue. C’est ce qui explique, sans aucun doute, aussi, la vaste gamme des définitions entre le psychologue Israël Charny qui estime que tout massacre est un génocide, y compris Dresde ou Hiroshima, et l’historien Stephan Katz, qui soutient que le seul génocide perpétré dans l’Histoire fut la Shoah. Afin d’éviter toute dérive inflationniste du concept, et pour que la comparaison soit non seulement possible mais utile il s’agira donc de recourir à une typologie précise et raisonnée à même de distinguer le crime de génocide des autres crimes de masse. Il faut, en effet, absolument se garder de diluer le concept de génocide dans une seule corbeille ou s’empilerait tous les types de massacres de masse de civils (Bruneteau). Il nous paraît dès lors essentiel de pouvoir s'entendre sur l'emploi d'un concept permettant de différencier l’acte de destruction systématique et physique d’un groupe ethnique (génocide), de toutes les autres formes de violences collectives telles que l’épuration ethnique, l’ethnocide, le politicide, etc. Ce n’est pas offenser la mémoire des victimes de crimes contre l’humanité que de les inclure dans une autre catégorie que celle du génocide. De même qu’en droit pénal tous les crimes ne se valent pas, en ne mettant pas sur le même plan l’homicide volontaire avec préméditation (assassinat), sans préméditation (meurtre), involontaire (‘simple’ crime) ou encore par négligence (‘simple’ délit), il est logique que des distinctions s'appliquent aussi dans le droit international. A priori, cette idée peut paraître difficile a accepter, moins si l'on accepte que l'on parle ici de "crimes" et non de "souffrances". En effet, si toutes les souffrances se valent, il n'en est pas de même des crimes. Tous les massacres collectifs ne sont pas des crimes contre l’humanité et tous les crimes contre l’humanité ne sont pas des génocides. Ainsi s’agissant du Darfour, la commission d'enquête internationale sur le Soudan de l’ONU a publié, en janvier 2003, un rapport qui tout en concluant que les exactions perpétrées au Darfour ne constituaient pas un génocide mais bien « des crimes contre l'humanité », n’en soulignaient pas moins que les « Les infractions commises (n’étaient) pas moins graves et odieuses qu’un génocide. » Une nation galvaudée mais pourtant essentielle L’idée est de revenir à l’esprit de Raphaël Lemkin, ce réfugié juif d’origine polonaise, professeur de droit international à Duke, puis à Yale, l’inventeur du concept de génocide. En tant que tel, le terme est un néologisme forgé curieusement à partir du grec "genos" (« genre », « espèce ») et du suffixe latin "cide", qui vient du terme latin caedere, « tuer », « massacrer ». Définissant en 1944 ce mot hybride dans une étude publiée par la Fondation Carnegie pour la paix internationale (Axis Rule in Occupied Europe) et destinée à "définir les pratiques de guerre de l'Allemagne nazie », Lemkin écrit : « de nouveaux concepts nécessitent de nouveaux mots. Par génocide, nous entendons la destruction d'une nation ou d'un groupe ethnique» Reste que si le terme « génocide » est utilisé pour la première fois dans un document officiel en 1945 par le Tribunal de Nuremberg, celui-ci ne le retiendra pas lors de la mise en accusation des criminels de guerre nazis. Dans la trilogie sur laquelle reposait le statut du 8 août 1945 créant le Tribunal militaire international ne figurèrent que les trois incriminations suivantes : crime contre la paix, crimes de guerre et crimes contre l'humanité, une notion certes nouvelle mais qui, aux yeux de Lemkin, ne coïncidait pas exactement avec la nature des violences de masse perpétrés par les nazis contre les Juifs et les Tsiganes. C’est précisément parce que la notion de « crime contre l’humanité » ne rendait pas suffisamment compte du caractère totalement inédit des crimes nazis que l’ONU s’empara progressivement de la notion de génocide. Le 11 décembre 1946, l'Assemblée générale des Nations unies, tout en confirmant les principes du droit de Nuremberg, donnait une première définition du génocide: "Le génocide est le refus du droit à l'existence de groupes humains entiers de même que l'homicide est le refus du droit à l'existence à un individu: un tel refus bouleverse la conscience humaine, inflige de grandes pertes à l'humanité qui se trouve ainsi privée des apports culturels ou autres de ces groupes, et est contraire à la loi morale ainsi qu'à l'esprit et aux fins des Nations unies La répression du crime de génocide est une affaire d'intérêt international". Le 9 décembre 1948, l'Assemblée générale des Nations unies approuvait à l'unanimité le texte de la "Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide". Cette nouvelle notion vint ainsi coiffer la pyramide du mal. Retenons de ce document que tout imparfait qu’il est dans certaines de ses formulations, eut pour immense mérite de faire entrer le terme "génocide" dans le vocabulaire du droit international. Entrée en vigueur en 1951 et révisée en 1985, la Convention, déclare dans son article premier que "les parties contractantes confirment que le génocide, qu'il soit commis en temps de paix ou en temps de guerre, est un crime du droit des gens, qu'elles s'engagent à prévenir et à punir". Ce fut bien l’ampleur des crimes nazis qui contraignit la communauté internationale à ne plus abandonner à la compétence exclusive de l'Etat le traitement des êtres humains qui se trouvent en son pouvoir. C’est aujourd'hui l'article 6 du statut de la Cour pénale internationale qui définit le crime de génocide. 7 éléments clefs pour décrire un crime sans précédent Qu’est-ce qu’un génocide et en quoi se distingue-t-il du crime contre l’humanité ? Le génocide s’en distingue par au moins sept caractéristiques spécifiques. 1°) Un crime collectif qui vise un groupe. Le génocide est au groupe ce que l’homicide est à l’individu. Il se caractérise par le refus du droit à l'existence d'un groupe humain. C'est la simple appartenance théorique au groupe visé qui détermine le destin individuel du persécuté et ce, quand bien même ce groupe « en tant que tel » n'est souvent qu'une construction fantasmatique des persécuteurs. Il se distingue ainsi du crime contre l’humanité par l’introduction de la notion de groupe et par la volonté de détruire le groupe en tant que tel. 2°) La caractéristique ‘communautaire’ du groupe persécuté. Les victimes d’un génocide doivent faire partie d'un "groupe national, ethnique, racial ou religieux". Si les actions impliquées sont dirigées contre des individus, ce n’est pas dans leur capacité individuelle mais comme membres du groupe ‘communautaire’. Sont donc exclus les groupes politiques (trotskistes), culturel (ethnocide des Grecs d’Anatolie), sociaux (victimes des Khmers rouges), sexuels (triangles roses), socioéconomiques (la « classe » des koulaks). D’autres concepts s’appliquent à ces crimes : ‘massacre de masse’, ‘politicide’, ‘ethnocide’, ‘épuration ethnique’, tous passibles de la Cour pénale internationale au titre de 'crimes contre l'humanité'. 3°) Un contexte de haine raciale radicale. La caractérisation (pseudo) biologique du groupe cible explique la radicalité de toute entreprise génocidaire. Le génocide constitue le point d’aboutissement -logique mais non obligatoire- d’une weltanschauung raciste (Empire colonial allemand, Allemagne nazie, Rwanda) ou ultranationaliste (Jeunes-Turcs). Ce n'est pas raison que les nazis utilisèrent l'expression ‘solution finale’ pour caractériser le processus de destruction des Juifs européens. Le génocide signe, en effet, la uploads/Philosophie/ la-shoah-et-les-genocides-au-20eme-siecle-definitions-clarifications-points-de-repere.pdf

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