Eric Martin et Maxime Ouellet la tyrannie de la valeur Débats pour le renouvell

Eric Martin et Maxime Ouellet la tyrannie de la valeur Débats pour le renouvellement de la théorie critique 07 TH la tyrannie de la valeur la tyrannie de la valeur Débats pour le renouvellement de la théorie critique Sous la direction de Eric Martin et Maxime Ouellet Coordination éditoriale : David Murray Maquette de la couverture : Christian Bélanger Typographie et mise en pages : Yolande Martel © Les Éditions Écosociété, 2014 Dépôt légal : 3e trimestre 2014 ISBN 978-2-89719-153-5 Ce livre est disponible en format numérique Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada Vedette principale au titre : La tyrannie de la valeur : débats pour le renouvellement de la théorie critique (Collection Théorie ; TH 07) Comprend des références bibliographiques. ISBN 978-2-89719-153-5 1. Plus-value (Économie marxiste). 2. Fétichisme de la marchandise. 3. Capitalisme. I. Martin, Eric, 1982- . II. Ouellet, Maxime, 1978- . III. Collection : Collection Théorie (Montréal, Québec) ; TH 07. HB206.T97 2014 335.4’12 C2014-940959-1 Nous remercions le Conseil des Arts du Canada de l’aide accordée à notre programme de publication. Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entre- mise du Fonds du livre du Canada pour nos activités d’édition. Nous remercions le gouvernement du Québec de son soutien par l’entremise du Programme de crédits d’impôt pour l’édition de livres (gestion SODEC), et la SODEC pour son soutien financier. Table des matières introduction La crise du capitalisme est aussi la crise de l’anticapitalisme 7 Eric Martin et Maxime Ouellet Une histoire de la critique de la valeur à travers les écrits de Robert Kurz 52 Anselm Jappe Marx : la critique du capitalisme comme critique du communisme 67 Jacques Mascotto « Sérialité » ou « totalité » ? Ontologies du social, capitalisme et socialisme 94 Gilles Labelle La valeur n’est pas une substance 118 Pierre Dardot Ce que la valeur fait au temps et à l’histoire 145 Franck Fischbach Activités féminines, travail et valeur 159 Marie-Pierre Boucher Révolution du moteur et machination de la valeur (Essai sur la machine et le capital) 198 Louis Marion Comment arrêter l’automate ? 222 Yves-Marie Abraham Prolégomènes à une analyse comparative de la sociologie dialectique de Freitag et de la Wertkritik 235 Jean-François Filion Glossaire 267 Bibliographie sélective sur la critique de la valeur 271 Les auteurs 275 introduction La crise du capitalisme est aussi la crise de l’anticapitalisme Eric Martin et Maxime Ouellet Je me ris des gens soi-disant « pratiques » et de leur sagesse. Si l’on voulait se comporter comme une bête, on pourrait évidemment tourner le dos aux tourments de l’humanité et ne s’occuper que de sa propre peau. Mais je me serais vraiment considéré comme non pratique si j’avais crevé sans avoir achevé mon livre. – Karl Marx, Lettre à Meyer, 30 avril 18671 Je pense que le danger aujourd’hui se situe précisément dans un genre d’activisme pragmatique aveugle. Vous savez lorsque les gens vous disent : « Mon Dieu les enfants en Afrique meurent de faim et vous avez du temps pour vos stupides débats philosophiques. Il faut faire quelque chose. » J’entends toujours dans cette injonction : « Agissez et ne pensez pas trop. » Aujourd’hui nous avons besoin de penser. – Slavoj Zizek, We Need Thinking2. Le capitalisme a été, dès son avènement, secoué par des crises périodiques. Depuis 2008, il connaît ce que nous pourrions appeler une « crise struc- turelle », dans la mesure où les mécanismes d’endettement généralisé mis en place pour contenir les contradictions du système ont défailli. Ces bouleversements ont ramené la figure de Karl Marx à l’avant-scène et fait exploser les ventes du Capital3. Mais ce regain de popularité et ce succès en librairie ne se traduisent pas nécessairement par une évolution du discours critique le plus répandu à gauche. 1. Karl Marx, « Lettre à Meyer, 30 avril 1867 », dans Correspondance VIII, Paris, Éditions sociales, 1979, p. 369. 2. Traduction libre de Slavoj Zizek, « We Need Thinking », extrait de « Big Think ». En ligne : <www.youtube.com/watch?v=MtPghWHAQfs>. Consulté le 10 avril 2014. 3. Zineb Dryef, « Le grand retour de Karl Marx et de son Capital », Rue89, 16 mai 2009, <www.rue89.com/2009/05/16/le-grand-retour-de-karl-marx-et-de-son-capital>. la tyrannie de la valeur 8 En effet, l’essentiel du discours4 des mouvements Occupy ou autres se limite à critiquer les vilains « spéculateurs », la « haute » finance, ou encore l’élite du « 1 % ». Cette critique subjectiviste suppose que les inégalités sociales et les ratés du système sont le résultat d’un complot quasi occulte ourdi par un groupe de personnes mal intentionnées qui ponctionnent la richesse au lieu de la redistribuer. La solution coule de source : contenir ces « dominants », ou alors s’en débarrasser. Ici, la critique reproduit l’une des dérives de ce qu’il convient d’appeler le « marxisme traditionnel » ou orthodoxe, c’est-à-dire la lecture classique de Marx popularisée par le marxisme-léninisme des années 1960-1970. Ignorant la critique dialec- tique des catégories qui médiatisent la pratique sociale dans la totalité capitaliste, initiée par Marx, cette lecture – inspirée le plus souvent de ses commentateurs plutôt que de Marx lui-même – réduit le problème du capitalisme à un « rapport de force » entre pôles subjectifs (« bonne » classe prolétaire contre « méchante » classe dominante5). Dans sa version actua- lisée, le même schéma devient « bon » 99 % / « mauvais » 1 %, « bons » tra- vailleurs, « mauvais » spéculateurs, etc. Pire encore, la nouvelle critique tronquée du capitalisme va moins loin que ne le faisait le marxisme traditionnel. En effet, comme le note un des principaux contributeurs du courant de la critique de la valeur, Anselm Jappe, sa critique est limitée à la « sphère de la circulation », alors que les anciens communistes ne se contentaient pas de réclamer une meilleure redistribution de la richesse. Leur critique atteignait jusqu’à la sphère de la production, au sens où ils désiraient voir les travailleurs s’approprier les moyens de production, ce dont il n’est plus question aujourd’hui dans les critiques superficielles comme celles qu’on trouve dans les mouvements du type Occupy. La critique de la « propriété privée des moyens de production » demeurait tout de même elle aussi mâtinée de subjectivisme, puisqu’elle considérait que c’était l’appropriation de l’appareil de production par la bourgeoisie qui constituait la contradiction principale de la société capitaliste (contradiction capital-travail). La source du problème était encore posée comme relevant de l’action d’un groupe d’individus mal intentionnés, ou encore d’un rapport de propriété inégal. L’appareil et le rapport de production eux-mêmes n’étaient aucunement problématisés, 4. Anselm Jappe, « L’anticapitalisme est-il toujours de gauche ? », La vie est à nous !/ Le Sarkophage, no 35, 16 mars-18 mai 2013, <http://palim-psao.over-blog.fr/article-l- anticapitalisme-est-il-toujours-de-gauche-par-anselm-jappe-119083043.html>. 5. Tant Moishe Postone que Robert Kurz et Anselm Jappe ont noté les racines antisé- mites d’une telle critique subjectiviste du capitalisme, lequel se trouve personnifié dans la figure de quelque bouc émissaire à débusquer. 9 introduction pas plus que les catégories médiatrices de la pratique sociale propres à la forme sociale capitaliste. La pensée écologique a depuis montré combien le mode de production industriel était, dans sa forme même, porteur d’aliénation écocide. Mais le cœur, le noyau du capitalisme, l’objet princi- pal de la critique de Marx, n’est toujours pas abordé dans les résurrections populistes de sa pensée auxquelles se livre l’anticapitalisme soft, lesquelles sont incapables d’atteindre le ventre de la bête capitaliste. On peut ainsi dire que la crise du capitalisme entraîne au même moment une crise de l’anticapitalisme, dans la mesure où les prétendues analyses, limitées à des reprises édulcorées des simplifications subjecti- vistes propres au marxisme traditionnel, ne sont pas à la hauteur de la tâche critique urgente et vitale qui s’impose aux peuples auxquels le capital fait la guerre. Comme on le verra plus loin dans le texte de Gilles Labelle, ce type de marxisme a fait sienne une ontologie nominaliste du social qui réduit la société aux individus atomisés ; cela l’empêche de penser la société comme totalité, de même que les formes de médiations qui structurent le rapport social. Dans les dernières décennies, un courant dit de la « critique de la valeur » (Wertkritik) s’est organisé notamment autour des revues Krisis et Exit ! On y associe principalement les noms de Robert Kurz ou Anselm Jappe, de même que, à sa manière, Moishe Postone6. Son mérite le plus significatif fut de travailler à diffuser une lecture de l’œuvre de Marx beaucoup plus probante qui, par delà la vulgate marxiste orthodoxe et les commentaires remâchés, choisit de faire retour à Marx, afin de penser avec lui, et même au-delà des limites de son analyse. La pertinence de ce courant novateur provient du retour qu’il a opéré au texte de Marx afin d’en dégager une critique substantielle, laquelle avait été gommée par la sédimentation de décennies de simplifications outrancières, de contre- sens, de raccourcis. La pensée de Marx, victime du discrédit, de la propa- gande, de l’oubli, a uploads/Philosophie/ la-tyrannie-de-la-valeur-pdf.pdf

  • 12
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager