Kernos 4 (1991) Varia .........................................................

Kernos 4 (1991) Varia ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Ileana Chirassi Colombo Le Dionysos oraculaire ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Avertissement Le contenu de ce site relève de la législation française sur la propriété intellectuelle et est la propriété exclusive de l'éditeur. 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Référence électronique Ileana Chirassi Colombo, « Le Dionysos oraculaire », Kernos [En ligne], 4 | 1991, mis en ligne le 11 mars 2011, consulté le 10 octobre 2012. URL : http://kernos.revues.org/301 ; DOI : 10.4000/kernos.301 Éditeur : Centre International d’Etude de la religion grecque antique http://kernos.revues.org http://www.revues.org Document accessible en ligne sur : http://kernos.revues.org/301 Ce document est le fac-similé de l'édition papier. T ous droits réservés Kernos, 4 (1991), p. 205-217. LEDIONYSOSORAC~ Pour l'homme grec de l'âge archaïque et classique, et bien avant encore, l'objet épistémologique par excellence est un savoir global qui, d'Homère à Plutarque, peut être défini comme un art divinatoire qui s'exerce sur «ce qui est, ce qui sera et ce qui fub,1. C'est un domaine qui, comme dit Ammonios dans un passage du De E apud Delphos de Plutarque, est en particulier le domaine des dieux, ou mieux le domaine d'un dieu philosophos, qui se plaît au savoir et qui le possède en propre2. Ce dieu est Apollon, bien sûr, le maître de Delphes, assimilé au soleil qui peut tout voir, tout savoir et tout communiquer par différents moyens à qui il veut. C'est le dieu mantique par excellence, Apollon, fils de Zeus. Mais n'oublions pas que c'est précisément au cœur du domaine mantique, à Delphes, qu'un autre fils de Zeus, Dionysos, n'a pas une part moindre qu'Apollon3. L'équivalence du pouvoir entre Apollon et Dionysos, et le partage du territoire commun est envisagé ici d'un point de vue théologique qui fait apparaître Dionysos comme le double poly- morphe et pathétique, toujours en transformation, de l'Un Apollon, égal à soi-même et immobile. Mais, à bien regarder, cette équivalence, anti- thétique en apparence seulement, se fonde sur leur participation commune à la même fonction, à savoir la réglementation du territoire très ambigu de l'atechnos mantikè, c'est-à-dire la mantique inspirée, ou encore ce savoir que l'on peut obtenir par intervention directe de la divinité, ou par des capacités extraordinaires d'ordre naturel. Un naturel qui en tout cas peut être bien «divin» en soi si, ouvertement, dans la perspective stoïcienne au moins, on peut considérer la physis, la nature, comme l'essence originelle de la divinité coïncidant avec la loi du kosmos. Dans le monde grec des poieis, l'atechnos mantikè occupe une place à part qui contraste avec la grande variété des possibilités mises en œuvre par la mantique technique, qui est avant tout l'art de Calchas, le premier mantis de la tradition grecque, et le seul type de divination 1 2 3 C'est le savoir de Calchas: HOM., Il., 1,70. PLUT., Sur tE de Delphes, 387b-c. MACROBE, Sat., 1, 18; cf. aussi P. AMANDRY, La mantique apollinienne à Delphes, Paris, 1950, p. 196 sq. 206 1. CHIRASSI COLOMBO apparemment connu d'Homèré. La différence entre les deux types n'est pas seulement une question de procédure, mais aussi et surtout de fonction au niveau politique et idéologique. Le devin qui exerce la mantique technique travaille comme un interprète de signes, chargé de comprendre les messages cachés sous la pluralité de signes éparpillés dans le cosmos visible et par lesquels, comme l'affirmait l'école stoïcienne, les dieux révèlent aux hommes le grand plan du monde. C'est dire que, dans une perspective «religieuse», la divination en vient à être une preuve de l'existence même des dieux qui, selon une vetus opinio omnium gentium firmata eonsensu, selon une koinè ennoia de l'humanité, non seulement existent, mais connaissent l'avenir et peuvent le révéler, semainein, par différents moyens5. Une autre interprétation, que l'on peut qualifier de «laïque», confirme la même possibilité en soulignant l'existence d'un plan, d'un programme, d'un logos du monde qui fonctionne comme un système d'écriture et permet au technicien alphabétisé de lire les res quae dieuntur en utili- sant les prodiges, les semeia, comme les voeabula quibus res dieuntur. Mais la mantique qui nous concerne, la mantique dionyso-apol- linienne, est une affaire toute différente. Le plan du monde peut être déjà établi ou bien encore en train d'être tissé, mais, quoi qu'il en soit, les puissances extrahumaines, dieux ou démons, ou les puissances agissant à l'intérieur des hommes, ou mieux la physiologie très particu- lière de certains individus, peuvent dévoiler l'avenir et le communi- quer à tous par le moyen commun du langage humain. À ce moment, le langage devient très important parce que ses amphibologies, ses méta- phores, sa faiblesse dans la construction du rapport entre la chose et le signe, la parole, signifient l'ambiguïté de la communication, l'entrave qui empêche la circulation du message entre destinateur et destinataire. L'examen de ce processus, quoique important, n'entre pas dans le champ d'intérêt qui nous concerne ici. C'est la modalité de la transmission qui nous retiendra. Cette moda- lité fait la différence entre le genos teehnikon et l'adidaktos kai ateehnos mantikè, ou bien entre le genus divinandi artifieiosum et le 4 5 Cf. lleana CHlRASSI COLOMBO, Gli interuenti mantici in Omero, morfologia e funzione della diuinazione come modalità di organizzazione dei prestigio e dei consenso ne/la cultura greca arcaica e c!assica, in F.M. FALES - C. GRO'ITANELLI (ed.), Soprannaturale e Potere nel mondo antico e nelle società tradizionali, Milano, 1985, p. 161·164. CIC., Diu., J, 10; 25; 92; II, 80; cf. aussi Lois, II, 32·33. Pour le Stoïcien CHRYSIPPE, la divination est la faculté de connaître, de voir, d'expliquer les signes offerts aux hommes par les dieux (CIC., Diu., II, 80). LE DIONYSOS ORACULAIRE 207 genus naturale, entre ars et natura, comme dit Cicéron, où l'on peut noter d'abord l'aporie ou mieux l'impossibilité de traduire atechnos par naturale6. Ainsi le même Cicéron introduit pour précision le trio deus, fatum, natura : duxisti enim divinationem omnem a tribus rebus, a deo, a fato, a natura. Au niveau de la définition de fatum et du terme grec correspondant, la discussion pourrait traîner en longueur. Une mise au point sur le rapport entre fatum, destin inéluctable, et divination est présentée par Cicéron lui-même dans un traité particulier, le De Fato, qui nous est parvenu très mutilé mais qui nous permet en tout cas de connaître les arguments de l'Académie (Carnéade) contre le déter- minisme stoïcien, garant par excellence de la mantique technique. On garde ainsi l'élément très important de la possibilité d'intervention des dieux (et en conséquence des hommes) qui peuvent véritablement boule- verser toutes les prévisions par leur volonté7. L'objet de notre étude sera la qualité extraordinaire de la communi- cation définie par Cicéron a deo et a natura. Dans ce cas, la révélation de l'avenir est réservée à l'intervention directe des dieux, ou bien elle dépend d'un savoir qui est lié à une qualité intérieure de l'individu, quelque chose qui fait partie de sa physiologie et dès lors la personne se trouve différente des autres, en dehors de l'humanité8. L'importance de 6 7 8 CIe., Div., l, 12; PS.-PLUT., Homère, 212. Atechnos indique simplement que le divin n'utilise pas un instrument, une clef de lecture, mais qu'il entre par diffé- rents moyens dans une dimension de connaissance supérieure qui peut ou non dépendre de l'intervention d'une divinité. ARISTOTE s'interroge sur certains individus tout à fait simples qui sont capables de donner des prévisions exactes dans leurs songes; dans ce cas, «ce n'est pas un dieu qui envoie ces révélations, mais chez tous ceux dont la nature se présente comme si elle était bavarde et mélancolique, on trouve des visions variées» : ARISTOTE, De la divination dans le sommeil, 463b. CIe., Div., l, 125. Le fatum traduit le grec heimarmenè la fatalis necessitas, qui permet de lire le monde. Mais la dimension prophétique comme communica- tion de la part de dieux admet aussi la possibilité du changement. Voir le commentaire de SERVIUS: Si vox lovis fatum est, potest aliud fando fati ordinem commutare (ad /En., X, 628). Ainsi interprété, le fatum devient la force de la communication directe, la valeur inépuisable de la parole. Apollon peut prévoir des événements qui n'ont dans la nature aucune cause, seulement si ces événements ont pour cause sa volonté ou la volonté de Zeus (CARNÉADE dans CIe., Du destin, 33-35). Cf. F. GUILLAUMONT, Philosophe et augure. Recherches sur la théorie cicéronienne de la divination, Bruxelles, 1984, p. 159 sq. C'est la melancholikè krasis, ce mélange particulier de la bile noire que produisent les individus d'exception, comme les uploads/Philosophie/ le-dionysos-oraculaire.pdf

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