Le problème du “mal” dans la philosophie stoïcienne (Lionel Ben Ahmed) Le probl

Le problème du “mal” dans la philosophie stoïcienne (Lionel Ben Ahmed) Le problème du “mal” dans la philosophie stoïcienne Lionel Ben Ahmed (Telamonide, administrateur du forum approximations.fr) Etudiant en master 2 de philosophie à Bordeaux 3 : « vie humaine et médecine » M1 portant sur « destin et liberté dans le stoïcisme grec et romain » à Toulouse. Se pencher sur la question du mal dans la philosophie stoïcienne, conduit à mettre en rapport deux thèses qui semblent être une contradiction interne à la doctrine, à savoir, celle posant l'inexistence du mal, et celle affirmant qu'il n'y a de mal que lors d'une faute morale. Il s'agit donc d'examiner ces deux thèses, et en pénétrant leur sens, voir se lever cette contradiction. Cela se fait dans une discussion avec le profane subissant ces maux, alors que le sage leur échappe. De tous les maux que subit l'homme commun, aucun n'est véritable. Tout le travail du stoïcien cherchant à guérir l'homme atteint de ces maux, va être de lui montrer que la mort fut-elle celle de millions d'hommes n'est rien, et qu'à espérer un bien ce dernier est en proie à ses maux. Mots clés: mal, incorporel, liberté, sage, profane, logos Le mal dans la philosophie du portique est un simple lekton, c'est à dire un incorporel, il n'existe pas de façon efficiente pour le stoïcien. Cette théorie place le sage dans une position d'insensibilité face au mal, il est face à quelque chose qui n'existe pas et, dès lors, le mal ne peut être nommé tel par le sage, puisqu'il ne le reconnaît pas comme tel. C'est alors le non-philosophe, mais qui est aussi l'homme ordinaire qui va pouvoir poser un mal, et en parler comme tel. C'est bien dans cette position d'étrangeté du sage face au mal qu'il va pouvoir proposer au profane de le débarrasser de ses maux puisque lui n'en est pas affecté. Mais c'est bien qu'ici le stoïcien reconnaît les maux d'autrui et donc l'existence d'un mal affectant un individu dont il s'agit de le débarrasser. Si véritablement il n'y avait pas de mal chez le stoïcien, il n'y aurait pas lieu de tenter de guérir autrui de ses maux. Colloque virtuel sur le mal, juillet-septembre 2008, in www.approximations.fr 1 Le problème du “mal” dans la philosophie stoïcienne (Lionel Ben Ahmed) De quoi donc parle-t-on lorsque l'on use du terme « mal » dans les textes stoïciens ? Soit on pose le mal comme incorporel, c'est à dire quelque chose qui n'a pas d'existence physique et qui donc ne peut être cause de quoi que ce soit, car rappelons-le, le stoïcisme est un sensualisme, toute cause est corporelle. Cela implique qu'il n'y a rien à faire pour celui qui se dit souffrant, or cela est contraire à l'attitude adoptée par le sage. Ainsi, soit il y a une effectivité des maux en tant qu'ils affectent un individu, et que l'on cherche à l'en débarrasser, mais aussi reconnaître ces maux comme causes et donc comme corporels. Mais dans ce cas là on contredit l'inexistence du mal. Soit le sage tient sa position selon laquelle le mal est un incorporel, mais alors, il n'a rien à faire vis à vis du profane, ce qui va à l'encontre des activités de tous les maîtres. 1 ) Le mal en tant qu'incorporel est étranger au sage stoïcien Dans la physique développée par le portique, deux principes sont posés à l'origine, le principe actif (to poion) et le principe passif (to paschon)11. Ces deux principes sont matériels, et donnent naissance au tout (to pan). Cependant toutes les choses ne peuvent avoir cette origine, et c'est le cas des incorporels (asomaton). Ils sont au nombre de quatre, il s'agit du temps (chronos), du vide (kenos), du lieu (topos), du mot (lekton). Tout le reste est corporel, et se trouve être une cause, car tout ce qui est cause est corporel2. Les effets des causes vont dés lors se retrouver dans la catégorie des incorporels en tant que lekta . Les effets sont ce qui va apparaître dans le langage. Par exemple, que l'on prenne deux causes comme un scalpel et un morceau de chair, l'effet qui est d'être coupé n'est qu'un incorporel, un exprimable sans aucune existence substantielle3. Si les effets des causes sont des incorporels de la catégorie des lekta, lorsqu'on dit d'une personne qu'elle fait quelque chose de mal, il s'agit d'un effet de son action, et donc de quelque chose sans réalité substantielle. Cette conception stoïcienne de la cause qui reste trop souvent oubliée, conduit à une désubstantialisation du mal, en tant qu'il ne devient de par son statut d'effet qu'un incorporel. 1 Stoicorum veterum fragmenta : tome1, II,2,B,85. 2 Stoicorum veterum fragmenta : tome2, II,1,3,336. 3 Stoicorum veterum fragmenta : tome2,II,3,336. Colloque virtuel sur le mal, juillet-septembre 2008, in www.approximations.fr 2 Le problème du “mal” dans la philosophie stoïcienne (Lionel Ben Ahmed) On retrouve chez Epictète une conséquence éthique de cette théorie physique. « Un tel se baigne de bonne heure? Ne dis pas : « c'est mal », mais : « c'est de bonne heure .» Un tel boit beaucoup de vin? Ne dis pas : « c'est mal »; mais : « c'est beaucoup. » ». Epictète qui dans le Manuel donne au progressant, c'est-à-dire à celui qui veut suivre la sagesse stoïcienne mais qui n'est pas encore sage, toute une série de conseils et de corrections à suivre. Ici, c'est le lekton du progressant qu'il corrige : « ne dis pas ». L'erreur du progressant, ici, est de juger les actes d'autrui comme quelque chose de mal. On peut même aller plus loin en disant que ce que le sage de Nicopolis reproche, c'est le fait de juger. En effet dans la correction de l'exprimable qu'il propose, il donne non pas un jugement, mais ce que Pierre Hadot dans l'Introduction aux Pensées de Marc-Aurèle appelle une description physique. C'est-à-dire, plutôt que d'émettre un jugement sur des causes au moyen d'un exprimable, on va se contenter de donner ses causes. En décrivant plutôt qu'en jugeant, en se penchant sur ces dernières et non sur les effets, les incorporels, le mal s'efface. On pourrait ici objecter que les corrections d'Epictète sont elles aussi des jugements, et non pas des description physiques : « de bonne heure » , « c'est beaucoup ». En effet ces termes ressemblent davantage à des jugements qu'à de simples descriptions. Pour bien comprendre il nous faut demander des explications à la partie logique de la philosophie stoïcienne et plus précisément sur l'emploi des syllogismes et des propositions conditionnelles. Alexandre d'Aphrodise nous rapporte ce qu'est pour Chrysippe une conditionnelle non seulement valide, mais aussi saine : « si Dion est mort, celui-ci est mort », elle est dite valide car la négation du conséquent entraîne l'impossibilité de l'antécédent. Si il n'est pas vrai que celui-ci est mort (en désignant Dion), alors il est impossible que Dion soit mort. Ce type de raisonnement qui permet au sage sachant manier la logique de ne pas tomber dans l'erreur, est à l'origine du reproche d'Epictète. En effet, reprenons la proposition du progressant : cet homme se baigne de bonne heure, c'est mal . On a un antécédent et un conséquent qui ne peuvent entrer dans cette logique, de ce fait la véracité de cette proposition est invérifiable. Si l'on dit à présent : il n'est pas vrai que c'est mal. De la négation de ce conséquent on ne peut rien dire sur l'antécédent. En revanche, si l'on reprend la correction proposée : cet homme se baigne de bonne heure, c'est de bonne heure. La négation du conséquent : il n'est pas vrai que ce soit de bonne heure, entraîne l'impossibilité de l'antécédent, car la proposition serait alors contradictoire. Colloque virtuel sur le mal, juillet-septembre 2008, in www.approximations.fr 3 Le problème du “mal” dans la philosophie stoïcienne (Lionel Ben Ahmed) Si l'on s'en tient à la simple description physique, on est certain de ne pas produire de lekton qui serait invérifiable. D'autant que cette description pose comme tout exprimable un signifiant et un signifié. Le signifiant doit toujours finir par renvoyer à une réalité substantielle par le signifié. Or dans le jugement : « c'est mal », nous avons un signifiant mais aucun signifié à quoi renvoyer. Alors que pour : « c'est de bonne heure », nous avons un signifié car je peux toujours pointer la pendule du doigt. On se rend compte alors que le terme « mal » comme exprimable est refusé d'être employé par le portique, car il ne renvoie à rien, ne peut être utilisé dans un énoncé vérace puisqu'il est invérifiable. Nous avons pris le mal au sens d'un jugement sur l'action d'autrui, mais on peut reproduire l'opération en prenant l'exemple d'un homme qui souffre d'une pathologie. On peut prendre l'exemple de Cléanthe d'assos qui succéda à Zénon de Citium à la tête de l'école, et qui atteint d'une tumeur à la lèvre se laissa mourir de faim. On pourrait uploads/Philosophie/ le-proble-me-du-mal-dans-la-philosophie-stoi-cienne.pdf

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