Le réalisme par GH Luquet Réalisme. - Ce mot a deux sens distincts, selon qu'il
Le réalisme par GH Luquet Réalisme. - Ce mot a deux sens distincts, selon qu'il s'oppose à nominalisme ou à idéalisme; dans le, premier sens, il est une réponse au problème de la nature des idées générales ( Universaux); dans le second, au problème de la valeur objective de nos perceptions. Réalisme vs. Nominalisme. Le réalisme, au premier sens du mot, est la doctrine qui, par opposition au nominalisme, affirme que des êtres réels correspondent, dans un monde extérieur, à nous-mêmes, à nos idées générales. Cette solution, pas plus que le problème auquel elle répond, n'appartient en propre au Moyen âge : si la philosophie moderne étudie surtout le problème des idées générales au point de vue de la psychologie ou de la théorie de la connaissance ( Epistémologie), les philosophes de l'Antiquité, en particulier Platon et Aristote, avaient déjà examiné la question du réalisme, c.-à-d. le problème métaphysique des idées générales. Néanmoins, c'est surtout au Moyen âge que ce problème a été examiné avec le plus grand soin et aussi, il faut bien le dire, avec le plus de subtilité. Le problème des universaux, comme on l'a appelé, porte la marque des esprits qui l'ont examiné, de leurs aspirations et de leurs méthodes. La tache qu'ils s'étaient imposée était complexe ( Scolastique). Il s'agissait d'abord et surtout de tirer de l'Ecriture, en l'éclairant par les innombrables commentaires qu'avaient laissés les apologistes et les Pères, la doctrine catholique telle que Dieu l'avait révélée, Mais il apparut que la révélation écrite n'était pas la seule que Dieu eût donnée aux humains; chacun possédait une révélation interne, virtuellement écrite dans son âme et qu'il pouvait actualiser par le droit usage de sa raison. Ces deux révélations, ayant le même auteur et le même objet, devaient être en harmonie complète et par suite s'éclairer mutuellement. Mais, sous l'influence même du respect pour la lettre de la Bible, l'usage de la raison se trouva, en fait, ramené presque exclusivement à l'étude des découvertes faites au moyen de la raison par les grands philosophes de l'Antiquité, ces prophètes païens. De ce côté, les textes étaient rares ; le monde latin, jusqu'au XIIIe siècle, n'eut à sa disposition que le Timée de Platon dans la traduction de Chalcidius, et une partie de l'Organon d'Aristote, avec l'Introduction de Porphyre, dans les commentaires de Boèce. C'est à étudier ces différents textes et à les concilier avec la doctrine révélée qu'a travaillé le Moyen âge. Or ces textes, et en particulier le fameux passage de Porphyre cité par Boèce (Comment. in Porph.,I), amenaient les penseurs à se poser le problème philosophique sous la forme du problème des universaux, et en même temps la doctrine de l'Église les amenait à le résoudre dans le sens réaliste. Les solutions possibles de ce problème qu'indiquait Porphyre, en se refusant à choisir entre elles, se ramenaient à deux principales : ou les genres et les espèces, tels qu'ils se présentent dans l'esprit comme matériaux des opérations logiques, n'ont d'existence que dans l'esprit (solution nominaliste), ou ils ont une existence séparée, objective (solution réaliste). La première solution, qui semble cependant la plus naturelle, la plus conforme au sens commun, ne pouvait être acceptée par l'Église, pour des raisons à la fois politiques et théologiques. L'Église en effet, même réduite au pouvoir spirituel - ce qui n'est pas le cas au moins au Moyen âge - est un État; et par suite elle devait, dans sa conception des rapports de l'individu et de l'État, considérer l'État comme ayant une réalité propre, indépendante de celle des individus. N'être pas réaliste équivalait pour l'Église à avouer que non seulement les différentes Églises, mais même les différents fidèles des diverses Églises, avec leurs credo individuels, avaient seuls une réalité; l'Église n'était plus qu'un nom collectif sans réalité, et, par suite, sans puissance; le dogme n'était plus qu'un cadre pour les convictions personnelles. L'Église catholique, c.-à-d. universelle, ne pouvait résoudre que dans le sens réaliste le problème des universaux; l'étymologie est ici un argument. Le dogme ne conduisait pas moins inévitablement l'Église à rejeter la solution nominaliste, qui favorisait deux hérésies capitales, sur le péché originel et sur la Trinité. Si les individus seuls étaient réels : d'une part, le péché originel ne serait qu'un mot, le péché personnel seul serait réel; de l'autre, il n'y aurait de réel en Dieu que les trois personnes; au concept général qui exprime leur commune essence ne correspondrait aucune réalité. Pour ces diverses raisons, le réalisme s'imposa dès le début de la scolastique, et reconnut aux universaux une existence réelle en dehors de l'esprit. Mais une nouvelle question se posait, déjà énoncée dans le passage de Porphyre. On admet que les universaux existent hors de l'esprit, mais dans ce monde objectif où ils doivent avoir une réalité, existent-ils en dehors des individus, ou seulement en eux? On rejette la thèse nominaliste de l'universel post rem; mais il reste à choisir entre l'universel in re et l'universel a parte rei. Pour la Trinité , cela signifie, non plus : y a-t-il trois dieux, ou un, mais : y a-t-il trois dieux, ou quatre. Les réalistes semblaient réduits à en admettre quatre, sous peine, comme le leur reprochait Roscelin, qu'ils accusaient d'hérésie trithéiste, de tomber eux-mêmes dans l'hérésie patripassianiste, qui, ne voyant qu'un seul Dieu dans les trois personnes, concluait logiquement qu'en Jésus , Dieu, et en conséquence le Père, est devenu homme en même temps que le Fils. Un concile vengea l'orthodoxie de l'audace de Roscelin, coupable d'avoir révélé une difficulté dans le dogme, et le réalisme, armé des foudres de l'Église, persista comme doctrine orthodoxe jusqu'au XIVe siècle. Mais il dut tenir compte, non seulement de la difficulté signalée par Roscelin, mais d'une difficulté qu'il aperçut lui-même. Le réalisme tel que l'avaient énoncé saint Anselme et Guillaume de Champeaux affirmait l'identité fondamentale de tous les individus, et ne reconnaissait entre eux d'autres différences que des modifications accidentelles, sinon purement illusoires, de leur essence commune. C'était d'abord, en voulant sauver l'unité essentielle des personnes divines, leur refuser la réalité personnelle et retourner à l'arianisme d'Eunomius; mais c'était aussi, danger non moins mortel pour l'orthodoxie catholique, aller tout droit au panthéisme. Albert le Grand et saint Thomas lui-même, l'incarnation de l'orthodoxie, auront grand-peine à éviter cette conséquence. Si l'universel seul a une réalité, il faudra remonter comme à l'unique réalité à l'ens generalissimum, et considérer, non pas seulement les individus, mais même les espèces et les genres, comme étant simplement des parties intégrantes, des modifications fugitives de cet être généralissime, sans existence hors de lui. Spinoza pourra accepter cette conséquence, l'Église ne le pouvait pas. Pour répondre à ces difficultés, le réalisme énonça sous une forme nouvelle le problème qu'il avait à résoudre. Renonçant à l'universel a parte rei, transcription des Idées de Platon, il s'attacha à l'universel in re, à la manière d'Aristote, et le problème des universaux devint le problème du principe d'individuation. Cette forme du problème, la seule qui subsistât à la fin du XIIIe siècle, commença à se dégager dès le XIIe, et c'est à la solution de ce problème modifié que s'attaqua Abélard. Tenons-nous à l'individu, et, avec le réalisme modifié, reconnaissons en lui deux éléments juxtaposés : l'élément universel et l'élément individuel, la forme et la matière, l'espèce et le propre; en Socrate, l'humanité et la socratité. Comment expliquer cette limitation mystérieuse de l'essence universelle par la détermination individuelle? Le réalisme accorde que l'espèce n'existe que dans l'individu, mais prétend qu'elle y existe tota sui quantitate. Or l'essence de l'espèce est d'envelopper les contraires, tandis que l'essence de l'individu est de posséder l'un des contraires à l'exclusion de l'autre. L'espèce animal embrasse les deux contraires raisonnable et non raisonnable; elle doit donc conserver ce caractère dans l'humain, alors que par définition l'humain est exclusivement raisonnable. A cette difficulté, qui se trouve déjà développée de mille et mille manières par Abélard, le réalisme, mène sous sa nouvelle forme, ne pouvait fournir de réponse. Il suffit, pour s'en apercevoir, d'examiner la doctrine de celui que les franciscains appellent leur colonne, leur flambeau, leur soleil, de ce Duns Scot qui, mort à trente-quatre ans, a mérité dans ses nombreux ouvrages le titre de Docteur subtil, et qui, développant les théories d'Alexandre de Hales, saint Bonaventure et Raymond Lulle, fournit l'expression la plus complète du réalisme à la fin du XIIIe siècle. Pour lui, les intentions secondes, c.-à-d. les idées générales, ont comme les intentions premières, c.-à-d. les idées d'êtres particuliers, un correspondant réel dans la nature objective. Le général étant considéré comme un tout dont les individus sont les parties, ce tout a une réalité propre; il est aliud ens a partibus suis, qu'on le considère comme joint à ces parties ou comme séparé d'elles, coniunctim et seiunctim. Cette thèse est plus ardue à démontrer qu'à énoncer; le Docteur subtil a beau répéter à chaque instant sa formule : Oportet hic ponere aliquod agens, parler de matière premièrement première, secondement première, et troisièmement première, il ne peut arriver à rendre compte uploads/Philosophie/ le-realisme 2 .pdf
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- Publié le Mai 09, 2022
- Catégorie Philosophy / Philo...
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