2009 Pierre Guenancia Le regard de la pensée Philosophie de la représentation C
2009 Pierre Guenancia Le regard de la pensée Philosophie de la représentation Copyright © Presses Universitaires de France, Paris, 2015 ISBN numérique : 9782130740735 ISBN papier : 9782130577720 Cette œuvre est protégée par le droit d’auteur et strictement réservée à l’usage privé du client. Toute reproduction ou diffusion au profit de tiers, à titre gratuit ou onéreux, de tout ou partie de cette œuvre est strictement interdite et constitue une contrefaçon prévue par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. L’éditeur se réserve le droit de poursuivre toute atteinte à ses droits de propriété intellectuelle devant les juridictions civiles ou pénales. Présentation Par le terme de représentation on désigne le plus souvent ce qu’il y a dans l’esprit de manière vague et générale, comme lorsque l’on dit que nous n’avons affaire qu’à nos représentations, ou, selon une célèbre expression, que le monde est notre représentation. Cette conception commune aplatit et méconnaît le caractère dynamique de l’acte ou de l’activité de se représenter, opération par laquelle l’esprit fait venir au- devant de lui quelque chose qui n’est pas réellement présent mais qui le devient grâce à l’effort pour se donner un modèle, une figure, un schéma de ce qui ne peut être directement saisi. Trop de lumière éblouit, dit Pascal qui avait parfaitement compris qu’il fallait un peu d’ombre pour représenter la lumière, et du recul pour voir ce qui est représenté sur un tableau. Il est aujourd’hui essentiel de souligner l’importance de la médiation dans le rapport que l’homme établit avec la réalité présente, avec les autres hommes comme aussi et surtout avec lui-même. Table des matières Pourquoi parler encore de la représentation ? Les trois caractéristiques de la représentation Section I - Pourquoi se représenter la réalité ? Présentation I. La représentation comme acte de se représenter II. La représentation comme réflexion III. La représentation comme figuration IV. La représentation comme attention V. La représentation et l’imaginaire VI. La représentation comme passion de l’admiration Section II - Les deux formes de la représentation VII. Idée générale, figure et conscience d’exemple 1. L’IDÉE GÉNÉRALE 2. LA FIGURE 3. LA CONSCIENCE D’EXEMPLE VIII. Le souvenir, l’humour 1. LE SOUVENIR 2. L’HUMOUR IX. La représentation n’est pas une imagination (Pascal)... X. ... mais une intellection XI. L’image, le portrait (Husserl) XII. Le regard, le spectacle, l’espace Section III - La représentation de soi XIII. Exposition du thème de cette section XIV. Le moi peut-il être représenté ? XV. Le moi et les qualités (Pascal) XVI. La représentation de soi versus l’image de soi XVII. Moi représenté - moi réel XVIII. Le moi comme acteur et personnage XIX. Ce que c’est qu’être soi (Pascal, encore) XX. Vers l’estime de soi XXI. Du Je au Nous : élargissement de la question de la représentation Le pouvoir de la représentation S Avant-propos Pourquoi parler encore de la représentation ? elon une idée aujourd’hui bien admise la philosophie moderne tout entière reposerait sur le fondement de la représentation, ou sur la réduction du réel au représenté. Descartes serait évidemment à l’origine de ce renversement dont le résultat est de faire du sujet, de la conscience la mesure des choses, réduites à des idées que l’esprit trouve en lui. Représentation et subjectivité ont même origine : la réduction des choses à des objets situés devant l’esprit, comme un tableau est devant le spectateur qui le regarde et le jauge, la souveraineté de l’ego qui devient le juge de la vérité et s’attribue à lui-même une valeur absolue. La représentation aurait éloigné l’homme de la réalité (ou de l’être), et elle aurait aussi enfermé l’homme en lui-même, dans sa subjectivité à laquelle tout désormais serait devenu relatif. La critique des temps modernes est devenue au XXe siècle la principale activité de la philosophie. Autrefois, les philosophes cherchaient à résoudre des problèmes, aujourd’hui ils se penchent sur leur « histoire » dans laquelle ils croient percevoir une orientation impérieuse, comme le développement d’une intrigue dans un roman ou une tragédie. Et comme, pour de bonnes mais aussi de fausses raisons, nous tenons notre présent pour une époque de crise, nous recherchons l’origine de cette obscurité qui enveloppe notre temps dans les principaux champs de la pensée : la science, la technique, la politique, l’art, et bien d’autres domaines. Le diagnostic le plus souvent formulé lors de ces entreprises qui ressemblent à des autopsies est que l’être, y compris le nôtre, est perdu, ou plutôt recouvert par un voile qui nous masque cette perte. La relation que l’homme (si tant est que ce terme générique ne soit pas lui- même un effet de l’obscurcissement de la pensée) aurait eue avec le monde comme avec lui-même avant l’ère de la représentation et de la subjectivité se serait donc dégradée parce qu’elle serait devenue indirecte et spéculaire. Au lieu d’une relation directe et réelle avec les choses, se serait imposée cette relation indirecte par la pensée qui transforme l’être en idées, en représentations, puis en images, comme on le voit aujourd’hui, dans le règne absolu des images sur la vie effective, et, de ce fait, de moins en moins effective, des hommes. En tous les domaines nous serions séparés des choses mêmes ou de l’être par des écrans qui nous cachent la réalité en même temps qu’ils nous présentent des images, des représentations, des artifices de tous ordres, comme dans la célèbre allégorie de la caverne. Aux yeux de bien des philosophes dont l’activité se passe à raffiner toujours plus le diagnostic désespérant de l’oubli de l’être ou de la domination du factice sur l’authentique, le monde dans lequel les hommes vivent aujourd’hui ressemblerait assez bien à un centre commercial souterrain où nous aurions le choix entre tous les jeux, tous les divertissements possibles, mais où nous serions condamnés à demeurer sans jamais pouvoir voir le jour, de vraies choses, la vraie vie. Ainsi la nature aurait été à ce point transformée par la technique qu’il n’y aurait pratiquement plus de coin dans le monde où nous pourrions être en présence de choses vraiment naturelles qui ne porteraient pas l’empreinte de la main de l’homme, la nature aurait reculé derrière l’écran des paysages apprêtés, devenus objets de spectacle. Sur un autre plan, l’ordre humain qui était normé par la présence du divin et tenu par le respect du sacré serait lui aussi devenu sans règles et l’objet de la concupiscence généralisé des hommes pour le pouvoir. À des personnes réelles possédant des qualités propres qui les désignaient aux yeux de tous comme les meilleures et les plus compétentes, la pensée politique moderne aurait substitué l’espace abstrait des individus identiques instituant par leur vouloir propre (leur bon vouloir) leurs représentants sur la scène politique, qui, pas plus que les citoyens ordinaires, ne sont des personnes réelles mais des représentants (« L’idée des représentants est moderne », dit Rousseau dédaigneusement [1] ) des citoyens, du peuple, ou, plus prosaïquement, des usagers. En disant que la représentation est une idée moderne, Rousseau l’a désignée comme le mal qui s’est introduit dans tous les domaines de la pensée et de la vie des hommes et les a pervertis. Depuis Rousseau, mais avec moins de clarté et de force, on n’a pas cessé d’incriminer la représentation et de lui imputer les désordres que l’on se plaît et complaît à dénoncer dans le domaine théorique comme dans le domaine pratique. Bien que Heidegger soit le principal auteur de cette mise en scène de l’histoire de la métaphysique comme domination de la représentation et de la subjectivité et oubli de l’être, recouvert par les « étants », ce n’est pas lui qui nous intéresse ici et par la suite. En revanche, dans des temps maintenant bien lointains (pas seulement dans la durée), j’ai été sensible aux critiques qui furent faites, d’un point de vue marxiste, à « la société du spectacle » (G. Debord) [2] , livre prophétique qui dénonce à la manière de Rousseau l’empire de la marchandise devenue spectacle et du spectacle devenu marchandise dans ce que l’on a appelé à la même époque la société de consommation. Mais si cette critique est forte et plus actuelle que jamais, le diagnostic n’est pas forcément le bon car le mal dont nous souffrons n’est pas le primat de la représentation comprise de façon superficielle et réductrice comme éloignement de la réalité, du vécu, opposée à leur véritable compréhension. Chez Debord comme chez Rousseau on retrouve l’idée au demeurant assez banale d’une substitution funeste de l’homme théorique abstraitement séparé de la réalité par un mur d’idées, d’images, de représentations au sens générique de matière mentale, à l’entrelacement originaire de l’homme et de ce sur quoi porte son activité de sujet réel, vivant, charnel. Ce qui est de l’ordre de la pensée, au sens le plus ordinaire du mot, apparaît alors comme une dégradation de ce lien originaire qui est la compréhension immanente et indivisible que le sujet a, sans re- présentation, de son activité et du monde dans lequel elle se déploie. 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- Publié le Oct 17, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
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