1 Alessio Moretti « Le retour du refoulé : l’hexagone logique qui est derrière
1 Alessio Moretti « Le retour du refoulé : l’hexagone logique qui est derrière le carré sémiotique »1 Résumé Il existe en sémiotique et en narratologie une structure formelle très importante, qui depuis 1968 a fait couler beaucoup d’encre : le « carré sémiotique ». Le carré sémiotique ne peut manquer d’évoquer une structure encore plus célèbre et ancienne, le « carré logique » (ou « carré des oppositions »). Or, après presque deux millénaires de bons et loyaux services, en 1950, le carré logique a été démontré n’être qu’un fragment d’une structure beaucoup plus puissante mathématiquement, l’« hexagone logique ». La question se poserait donc assez naturellement, pour ceux qui se sentent concernés par le carré sémiotique et les débats théoriques importants qui portent sur lui (et sur les théories sémiotiques et narratologiques en général), que de savoir s’il peut (comme le peut le carré logique) être vu comme un fragment d’hexagone logique. On pourrait même se demander s’il existe de ce fait quelque chose comme un « hexagone sémiotique ». Or, les spécialistes du carré sémiotique semblent avoir tous dit et répété que ce carré n’a pas de rapport à l’hexagone logique. Dans cette étude nous voulons montrer que ce jugement est non seulement injustifié, mais erroné. Cela est d’autant plus facile à démontrer aujourd’hui, car depuis 2004 l’hexagone logique est mieux compris, puisqu’il a été montré n’être à son tour qu’un élément particulier d’une réalité mathématique plus complexe, la série des « bi-simplexes oppositionnels » qui est une des notions clefs de la « géométrie oppositionnelle ». Si on peut expliquer une telle erreur collective (en étudiant sa généalogie) de la part de la communauté prise au sens large des sémioticiens et des narratologues elle n’en reste pas moins lourde de conséquences théoriques, aussi bien négatives (plusieurs analyses devenues canoniques en sémiotique et en narratologie devant en fait être corrigées) que positives (des « boulevards théoriques » nouveaux et prometteurs semblant ainsi s’ouvrir pour la sémiotique et pour la narratologie, ainsi que pour la géométrie oppositionnelle, du fait de leur convergence). Mots-clef Carré sémiotique, carré logique, hexagone logique, bi-simplexes oppositionnels, poly- simplexes oppositionnels, géométrie oppositionnelle, sémiotique, narratologie, opposition, sens, contradiction, contrariété, schéma tensif, hexagone sémiotique, géométrie sémiotique, géométrie narratologique. 1 À paraître dans : Ben Aziza H. et Chatti S. (eds.), Le carré et ses extensions: Aspects théoriques, pratiques et historiques. (2014) 2 « Ils voient des raccourcis là où il y a des impasses » (Dominique A, Comment certains vivent) 1. Le « carré logique » (ou « carré des oppositions ») Le « carré des oppositions » (2ème siècle) est un dispositif formel, qui se déduit de la logique d’Aristote, qui exprime la différence et l’imbrication de deux formes d’« opposition » : la « contrariété » (ou incompatibilité) et la « contradiction » (ou négation). Une propriété importante est que, géométriquement parlant (par rapport au schéma triangulaire que nous venons de tracer), les deux termes contraires sont en fait symétriques : le « triangle » peut être construit aussi bien à partir du terme de départ (le terme bleu de gauche) qu’à partir de son terme contraire (i.e. le terme bleu de droite). D’autre part, ces deux triangles se combinent en un « quasi-carré » : un carré dont seule manque (pour l’instant) la base. La superposition des deux triangles symétriques donne donc un « carré incomplet », doué de diagonales (rouges), mais dont la base manque. Ce carré, auquel manque encore la base, laisse également émerger, à côté de la contrariété et de la contradiction, deux autres formes de relation : la subalternation et la subcontrariété. La première est l’implication logique (les côtés verticaux, qui sont des flèches vers le bas), la seconde est une sorte de « opposition à l’envers » : en d’autres termes, c’est une « anti-opposition », une « collaboration » (i.e. l’impossibilité, pour les deux termes que cette collaboration relie, d’être tous les deux faux en même temps). Elle se matérialise dans la base (verte), qui jusque-là manquait, du carré final. 3 Un point crucial est que l’émergence d’un carré de ce genre vaut en fait pour n’importe quel couple concevable d’antonymes du langage courant, pas seulement pour « jeune » et « vieux ». Les carrés logiques émergent en effet très naturellement : à partir de n’importe quelle contrariété (en symboles de logique propositionnelle : « a|b »), subalternation (symboliquement « ab ») ou subcontrariété (symboliquement « ab »), pourvu que soit disponible un opérateur de contradiction (i.e. un connecteur de négation : « »). Les carrés logiques, de ce fait, s’appliquent à toute réalité un tant soit peu « conceptuellement stable », c’est-à-dire stable logiquement parlant (i.e. réglée par une « négation » classique). Ainsi, par exemple, si l’on considère que, du point de vue de l’« être quelque chose », le fait d’être une chose donnée (n’importe laquelle : un objet ou un individu, ou une idée, ou un sentiment, etc.) exclut le fait d’être une chose différente de celle-ci, alors sont possibles automatiquement, par exemple, tous les carrés logiques suivants. Traditionnellement les carrés des oppositions ont aussi servi à mettre en ordre des notions déjà formelles (i.e. logiques ou mathématiques). 4 Le carré logique est donc un outil conceptuel très puissant. Mais très tôt (i.e. dès le Moyen Âge) on a découvert un certain nombre de problèmes liés à ces carrés, des paradoxes et des propriétés étranges, comme le fait de pouvoir déduire de son usage l’existence d’entités non- existantes (des licornes, des montagnes d’or, des cercles carrés…) ; ou le fait de présenter une ambiguïté systématique dans le terme en « I » (le mot qui s’y trouve peut soit être compatible, soit incompatible avec le mot en « A ») ; ou le fait linguistiquement étonnant d’avoir toujours (dans toutes les langues connues !) le terme en « O » non lexicalisé (i.e. le terme en « O » est toujours composé, il ne tient jamais en un mot simple de la langue). Au 20ème siècle, surtout du fait du premier de ces paradoxes, le carré a pour ainsi dire été mis sur la touche (ou tout au moins très fortement négligé et oublié) par les philosophes spécialisés dans la logique mathématique, les « philosophes analytiques ». 2. Tout carré logique appartient à un « hexagone logique » Pour que la vieille théorie des oppositions liée au carré logique bouge à nouveau il aura fallu attendre la moitié du 20ème siècle. Il a en effet été montré (en 1950) que tout carré logique laisse émerger automatiquement un « hexagone logique » (sa clôture). Cette découverte est de fait très importante car il a également été démontré, au même moment, que la forme hexagonale ainsi obtenue est, en un sens important, « complète » : rien n’y manque (alors qu’il manquait précisément les deux sommets « U » et « Y » au carré 5 standard « AEIO »). Qui plus est, tout hexagone logique contient automatiquement en son sein non pas un, mais trois carrés logiques. Cela veut dire, retrospectivement, qu’il est vraiment incomplet et fragmentaire (et trompeur) de parler d’un « carré logique ». Et il s’avère que l’hexagone logique admet tout autant d’applications qu’en admettait le carré logique, mais par rapport à ce dernier il offre plus d’informations (du fait du « surplus de structure »). Cela concerne par exemple le traitement susmentionné des antonymes, qu’ils soient nominaux, adjectivaux, verbaux ou adverbiaux. Mais, comme pour le carré, cela concerne aussi, plus généralement, le traitement des simples différences (non-antonymiques). Par rapport au carré l’hexagone logique traite en plus explicitement le « cas neutre » (i.e. tout ce qui échappe à une opposition binaire donnée quelconque – ce point va jouer un rôle important dans la suite de cet article). À un niveau plus formel (du point de vue des entités mises en « ordre oppositionnel »), cela peut également concerner le traitement des notions logico-mathématiques. 6 Dans la figure précédente le cas arithmétique est particulièrement spectaculaire : on voit que l’« hexagone des ordres » exprime la totalité des notions mathématiques pertinentes, là où le carré (cf. supra) qui exprimait « > », « < », « » et « » est très incomplet (il lui manque « = » et « », qui sont pourtant des relations d’ordre absolument fondamentales). Il faut d’autre part remarquer que, du point de vue de l’hexagone oppositionnel, la plupart des paradoxes du carré logique mentionnés plus haut disparaissent (ou trouvent une explication satisfaisante qui jusque-là faisait défaut), car rétrospectivement les paradoxes du carré logique se révèlent être en grande partie liés au fait que le carré est, mathématiquement parlant, une structure incomplète (i.e. un fragment d’hexagone)2. Mais de fait, depuis sa découverte en 1950 jusqu’à une date très récente (2003, date d’une étude de J.-Y. Béziau) l’hexagone logique est passé presque inaperçu. 3. L’apparition d’un mystérieux objet « carré sémiotique » Un certain regain d’intérêt pour le carré des oppositions uploads/Philosophie/ le-retour-du-refoule-moretti-pdf.pdf
Documents similaires










-
34
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Aoû 01, 2022
- Catégorie Philosophy / Philo...
- Langue French
- Taille du fichier 1.2364MB