1 LE SACRE - Introduction On peut légitimement s’interroger sur la place occupé

1 LE SACRE - Introduction On peut légitimement s’interroger sur la place occupée par le sacré en philosophie. Le sacré est-il un concept ou une notion philosophique ? Le statut épistémologique du sacré est problématique. La conceptualité philosophique de cette notion mérite d’être interrogée, et si le sacré se présente spontanément à nous sous les espèces d’une notion trouvant sa place au sein de la religion dans le discours de la théologie, s’il nous semble également être légitime en sociologie, il semble par contre beaucoup plus délicat de lui définir une place à l’intérieur du discours de la philosophie. Le sacré prend sens en quelque sorte naturellement à l’intérieur des sciences humaines (sociologie, anthropologie, ethnologie, histoire). Il apparaît au croisement de l’anthropologie, de la linguistique et de l’histoire comme en témoignent les travaux de Georges Dumézil et par exemple son ouvrage classique sur ​La religion romaine archaïque qui s’ouvre d’ailleurs par une mise au point sur le vocabulaire du sacré (cf. texte XIV : Vocabulaire du sacré). Dumézil distingue un ​“sacré de séparation” ​et un “sacré positif” qui marque ​“la qualité indéfinissable mais évidente par ses effets, qui distingue du type ordinaire certains êtres, certaines choses” (p.142) Ces deux caractères, la séparation et la distinction qualitative indéfinissable, semblent condamner le sacré à appartenir à un domaine autre que celui de la pensée discursive qui caractérise depuis son commencement la philosophie. Le sacré apparaît alors en marge de la rationalité philosophique moderne, telle qu’elle s’impose dans la révolution galiléo-cartésienne. L’exercice de la raison implique la constitution d’un ​plan d’immanence (expression empruntée à Deleuze dans sa définition de la ​philosophie pratique ​de Spinoza, laquelle ne laisse pas de place à la transcendance) à l’intérieur duquel prévalent les seuls droits de la lumière naturelle, sans qu’il y ait la moindre place pour une quelconque notion transcendante, sacrée, qui s’imposerait du seul fait de son caractère ineffable, de sa différence qualitative, du secret ou du mystère qui l’entourerait, voire de son caractère désirable ou infiniment redoutable. Ces quelques dimensions du sacré religieux montrent que si le sacré apparaît dans le discours de la philosophie, ce ne peut être qu’au détour de sa critique, d’une critique qui généralement enveloppe celle de la religion comme l’atteste toute la pensée de Spinoza. Quant à Descartes, il se garde bien de parler de théologie, soucieux de ne pas s’attirer les problèmes déjà rencontrés par Galilée. Si l’idée de Dieu intervient dans sa métaphysique caractérisée par son incompréhensibilité, c’est précisément vidée de tout caractère sacré. L’attitude de Spinoza est de ce point de vue plus radicale. Le ​Traité théologico-politique ​aboutit en effet à considérer les mots de la religion et les notions qui leur sont associées comme autant de productions de l’imagination qui témoignent de notre méconnaissance de la substance, de la nature, soit de Dieu. Toute réalité se résorbe alors dans le plan d’immanence de la nature qui se confond avec Dieu, et il ne peut y avoir de place pour le sacré ou pour les secrets de la nature, le sacré étant le plus souvent associé à l’idée de transcendance et de mystère insondable. L’âge classique (Descartes et Spinoza) en a ainsi définitivement fini avec l’idée d’une nature sacrée encore chantée par Ronsard (cf. “Contre les bûcherons de la forest de Gastine”) ainsi qu’avec l’idée d’une transcendance sacrée qui excéderait les pouvoirs de la raison. L’âge classique marque ainsi une double rupture avec le paganisme de la Renaissance et avec la théologie chrétienne. 2 Il est alors assez banal de songer à trouver une place pour le sacré à l’intérieur de la philosophie en rappelant une fameuse formule de Kant : “Je dus donc abolir le savoir afin d’obtenir une place pour la croyance.” (​Critique de la raison pure​, p.24, = réintroduction de la notion de croyance dans une croyance de la raison). Kant justifie ainsi le parachèvement de son système de philosophie rationnelle par la morale par le développement d’une philosophie pratique. La ​Critique de la raison pratique ​fait de la liberté la ​“clé de voûte” du système. Par voie de conséquence, la liberté et conséquemment la loi morale qui nous la fait connaître sont érigées au rang de réalité nouménale, ce qui leur confère une dimension quasi-sacrée. La sacralité de la loi morale tient au seul fait qu’elle participe à un autre ordre de réalité. Le sacré désigne étymologiquement “ce qui est retranché de l’usage ordinaire” ​(Dumézil), ce qui s’oppose au profane comme ne cessera de le rappeler la sociologie. Dans les termes de la métaphysique kantienne, on peut considérer la loi morale comme sacrée puisqu’elle nous renvoie à la transcendance de la liberté. Dans un texte fameux de la ​Critique de la raison pure ​(p.401-402), Kant rappelle la dualité fondamentale de l’humanité de l’homme qui est à la fois phénomène et noumène. Kant magnifie ainsi la raison qu’il définit comme la faculté des principes. Il repère en elle un mode de causalité qui n’a strictement rien à voir avec celle à l’oeuvre dans la nature. Cela le conduit à découvrir dans l’expérience singulière de l’action “faite par devoir et non par simple conformité avec la loi” la supériorité et la distinction de la loi morale. Le lien entretenu par la loi morale avec le sacré apparaît assez évident dans le ​“respect”​ dont elle est l’objet. [ cf. Texte de Kant sur la notion de “respect” : Le sacré se présente au niveau de la loi morale, qui s’incarne dans une conduite, qui elle-même induit des sentiments purement rationnels. Dans le respect, il n’y a pas de place pour un quelconque investissement affectif (d’où le travail analytique dans la première partie du texte). → Distinction du juste et du saint = loi morale à laquelle on ne peut pas toucher, loi absolue et universelle → lien entre le sacré et la loi cf. Commentaire de Heidegger ] Le respect, la crainte révérencielle, l’inviolabilité confèrent à la loi morale les caractères de la sacralité. Ils permettent de réconcilier le sacré et le rationnel, ce qui du point de vue de la métaphysique classique semblait proprement inconcevable, fût-ce par ailleurs pour parler de l’idée de Dieu, qui n’a plus rien de sacré au sens religieux du terme. La sacralité de la loi morale est solidaire d’un humanisme, d’un rationalisme qui place en son centre la notion de personne humaine en l’associant étroitement à l’idée de liberté. Des êtres, des choses, mais également à l’évidence des idées peuvent relever du sacré. On peut alors y toucher, les oublier, les transgresser. La métaphysique semble prédisposée à ménager une place philosophique à la notion de sacré, mais ce peut être également le cas de l’éthique, surtout quand elle se substitue à la métaphysique dans sa fonction principielle comme ce peut être le cas chez Emmanuel Lévinas. Lévinas marque soigneusement la différence entre le sacré et le saint, notamment dans le texte éponyme ​Du sacré au saint ​(1977), p.89. Pourtant, il semble possible chez lui de conserver une place au “sacré véritable”​, qu’il faut alors identifier à la sainteté (p.100). Tel est l’objet de la troisième leçon intitulée “Désacralisation et désensorcellement” (p.89 et p.100). 3 Dans son ouvrage intitulé ​Le sacré​, J-J Wunenburger remarque que “la critique de la sacralité prépare la valorisation de la sainteté”​. Cela passe par une sorte de “démythisation” ​du sacré ou encore par une purification du religieux qui se trouve ainsi réduit à la seule dimension de l’écriture majuscule qui est l’espace même de la révélation. “Ce besoin de purifier le religieux de composantes trop anthropologiques valorise les religions du Livre qui interposent entre l’homme, la Nature et les dieux la révélation d’une parole qui seule pourvoie l’homme en lien avec le divin.” ​(p.102) [ + cf. appendice “L’interdit de la représentation” ] Il faut donc ménager dans la vie religieuse une place pour le sacré, tout en se méfiant des images, des emblèmes, etc. (cf. protestantisme). Le texte occupe ainsi une fonction médiatrice entre l’homme et le sacré authentique, c’est à dire la ​“sainteté”​. [ + p.94 : “Du sacré au saint” → désacralisation du monde = rupture monothéiste ] [ cf. Catherine Chalier, ​La trace de l'infini : Emmanuel Lévinas et la trace hébraïque Chapitre 6 : La trace comme orientation d’espérance Chapitre 7 : L’espérance + Appendices ] [ Civilisation juive : Talmude = loi orale + commentaire, consubstantiellement lié au texte Il n’y a pas d’unicité ou de clôture du sens, d’où une nécessité d’ouverture à la multiplicité des lectures et interprétations du texte. C’est cette ouverture qui représente la sacralité. C’est en ce sens que la spiritualité juive ne correspond pas à une spiritualité orthodoxe. ] Lévinas rencontre le sacré authentique notamment lorsque dans ​Totalité et infini ​il étudie la relation entre le visage et l’éthique (p.215-220). La sacralité s’attache bien ici comme chez Kant à la loi (service du Plus-Haut) avec cette différence d’importance que la loi dont il est question ici n’est pas la loi de la raison mais la loi révélée, incarnée charnellement dans le visage. Celui-ci donne uploads/Philosophie/ le-sacre-introduction.pdf

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