C.E.R.A.P. Centre d’Études et de Recherches Appliquées en Psychopédagogie perce
C.E.R.A.P. Centre d’Études et de Recherches Appliquées en Psychopédagogie perceptive 1 Publication des chercheurs du C.E.R.A.P. Mars 2007 Communication au colloque : Phénoménologie(s) de l’expérience corporelle. Clermont- Ferrand, 2 et 3 novembre 2006. Le touchant touché − Exploration phénoménologique du toucher thérapeutique Didier Austry Résumé Le toucher occupe une place fondamentale dans la somato-psychopédagogie. Cet article voudrait donc explorer le toucher dans ses multiples aspects : neurophysiologiques, philosophiques (notamment phénoménologiques) et thérapeutiques. Par cette exploration en contraste, nous voulons rendre compte de manière précise de l’originalité de l’expérience du toucher du sensible. Présentation Cet article est une présentation d’un projet de recherche sur le toucher. Ce projet est né des recherches en cours effectuées au CERAP, à l’Université Moderne de Lisbonne, sous la direction du Pr. Danis Bois, fondateur de la somato-psychopédagogie (Bois, 2006a ; Berger 2006), et de notre travail de thèse sur l’exploration phénoménologique du toucher. Il s’agit donc d’un projet issu d’une pratique à la fois professionnelle — comment évaluer et décrire l’acte de toucher dans la somato-psychopédagogie — et philosophique — quels sont les liens, par exemple, entre toucher et constitution de soi, notamment dans une perspective husserlienne. Notre objectif est de spécifier une connaissance en acte — ce qui suppose de préciser les conditions de possibilité d’une expérience pratique spécifique — et, pour ce faire, de remplir les conditions d’une recherche phénoménologique, c'est-à-dire partir d’une description à la première personne pour en extraire une connaissance. L’objet même de notre recherche, le toucher, requiert cette double attitude de connaissance experte et de connaissance vécue, je touche et je suis touché, dans les deux sens de l’expression. Ce programme est donc en accord avec les courants actuels de la phénoménologie concrète (Behnke, 1984 ; Depraz, Varela & Vermersch, 2003 ; Depraz, 2006 ; Spiegelberg, 1997 ; Vermersch, 2004), mais il s’appuie aussi sur un style de recherche que les démarches Le touchant touché − Exploration phénoménologique du toucher thérapeutique C.E.R.A.P. Centre d’Études et de Recherches Appliquées en Psychopédagogie perceptive 2 qualitatives qualifient de recherche heuristique (Bois, 2007 ; Moustakas, 1990). Pour être plus précis, il nous semble qu’un tel type de recherche, qui est à la fois une recherche sur une pratique et une recherche depuis une pratique, appelle une réflexion épistémologique innovante, encore à faire (Depraz, 2006 ; Humpich & Bois, 2006). Dans une première section, nous nous intéresserons à la physiologie du toucher. Cet aspect technique, objectif, du toucher peut être source d’inspiration, même si c’est pour montrer par contraste (Bois, 2006a) ce que la physiologie ne peut pas nous révéler de l’expérience subjective. Nous ferons un rapide examen, dans la deuxième section, du toucher dans la phénoménologie husserlienne. Notre objectif sera de montrer que si, dans les textes dédiés à la constitution de soi comme chair, Husserl (1982, 2001) met en valeur l’importance du toucher, à l’opposé dans les textes dédiés à la constitution de l’autre, et alors même que ces deux thèmes sont très souvent abordés conjointement, la fonction potentielle du toucher est occultée. Cette étude nous amènera alors à aborder de front l’étude du toucher manuel, depuis les soins infirmiers jusqu’à la somato-psychopédagogie. Ce sera l’occasion d’évaluer la pertinence de notre hypothèse de départ sur l’importance du cadre expérientiel comme condition d’apparition de phénomènes spécifiques. Physiologie du toucher Types de toucher La première distinction importante à noter est celle entre toucher passif et toucher actif : le corps et sa peau comme organe récepteur, d’un coté ; la main comme organe acteur, de l’autre. Le toucher passif, la somesthésie (Craig & Rollman, 1999 ; Roll, 1995), s’oppose donc au toucher actif, dénommé à la suite de J. Gibson, toucher haptique (Gibson, 2001). L’on sait aussi, toujours suite aux travaux de Gibson, que la somesthésie elle-même se compose d’informations variées issues de la sensibilité générale (pression, contact, chaud, froid, ainsi que les voies de la douleur) et d’informations proprioceptives (Roll, 1995). Ceci montre que le toucher est loin d’être une perception simple : elle est en elle-même plurimodalitaire et même plurifonctionnelle. L’étude fonctionnelle du toucher faite par Lederman et Klatsky (Hatwell, 2000) montre par ailleurs que le toucher haptique est bien davantage qu’une simple prise. Le rapport au monde par la main est un rapport élaboré et nuancé. En effet, à travers les possibilités variées de frottements, pression, contact, enveloppement, suivi des contours, le geste manuel est à même de distinguer texture, dureté, température, poids, volume et forme globale (cf. Hatwell, ibid.). Sont mis en jeu, alors, la pulpe des doigts, les phalanges, la main et sa paume, le poignet, et même les deux mains. Cela appelle naturellement une étude en rapport avec notre pratique professionnelle manuelle — maîtrise, affinement, nuancement du geste manuel… Nous voudrions juste pointer le fait que, déjà au niveau physiologique, se fait sentir le besoin d’une démarche de variation, y compris phénoménologique. Les doublitudes du toucher Le toucher possède un autre aspect double tout aussi spécifique, le fait que « pour toucher, il faille aussi être touché ». Pour sentir ce que je touche — du côté de l’objet —, il faut que je sente — moi-même — ce que je touche. Dans les mots de Gibson (2001) : « L’équipement pour sentir est anatomiquement le même que l’équipement pour faire. » (p. 102) Ce point, déjà relevé par Aristote dans De l’âme, ne laisse pas d’être interpellant. Le touchant touché − Exploration phénoménologique du toucher thérapeutique C.E.R.A.P. Centre d’Études et de Recherches Appliquées en Psychopédagogie perceptive 3 À notre sens, il ne s’agit pas d’une dualité, d’une opposition, à tel point que nous avons choisi ce terme de ‘doublitude’ pour souligner ce fait. Au contraire de Gibson (2001), qui voit dans ce fait une opposition et qui, pour lui, est à l’origine d’une sorte de transparence de ses propres sensations tactiles : « Il est un fait remarquable que lorsque l’homme touche quelque chose avec un bâton, il le sent au bout de ce bâton, et non dans la main. » Et donc, « les sensations de la main, à proprement parler, ne sont pas importantes » (p. 103). D’autres auteurs ont qualifié ce phénomène d’immersion dans l’expérience (Lenay, 2005 ; Polanyi, 1974). En allant vite, notre argument est que ce phénomène n’est pas une fatalité en soi, mais résulte plutôt du cadre d’expérience dans lequel notre perception habituelle, « naturaliste », est effectivement immergée. En anticipant quelque peu, l’un de nos objectifs est de montrer qu’un cadre d’expérience autre, que D. Bois (2006a, 2007) qualifie d’expérience extra-quotidienne, permet justement de tenir compte à la fois des sensations tactiles de l’objet visé (quel qu’il soit) et des sensations tactiles que je ressens, en tant qu’acteur du geste. Il est, enfin, une autre ‘doublitude’, encore plus impliquante pour notre projet : la doublitude de sens même du terme « toucher ». Je suis touché connote aussi un état, mental ou corporel, un sentiment, autant qu’un fait physiologique (Field, 2003 ; Le Breton, 2003). Nous voudrions souligner tout d’abord que cet état ne relève pas pour nous d’une émotion, même si celle-ci peut être présente, mais bien plutôt qu’elle signe quelque chose d’une vérité sur la nature même du toucher. Je suis touché, comme quand ma main me touche, me révèle moi, révèle mon corps comme mien. Ce fait même nous incite à dépasser l’étude physiologique, l’analyse de données objectives, pour nous tourner vers l’appréhension des vécus subjectifs. Phénoménologie du toucher La doublitude entre Körper et Leib Le point d’entrée qui nous intéresse est la distinction que Husserl opère entre un corps objet (Körper), le corps comme objet physique, et le corps que je vis comme mon propre corps, ma chair (Leib). Cette dualité n’est pas, là encore, une opposition, mais relève plutôt de ce que nous avons appelé une doublitude : « Je découvre, dans une distinction unique, mon corps organique, à savoir comme l’unique corps qui n’est pas simplement corps (Körper), mais justement corps charnel (Leib). » (Husserl, 1982) Cette distinction est fondamentale et marquera toute la tradition phénoménologique. Reste évidemment à caractériser les rapports entre ces deux corps, et à décrire la nature de ce corps-chair, comment je le découvre et comment je le vis. Dans ce contexte, Husserl a toujours accordé au toucher une place privilégiée, avec l’idée que c’est le toucher qui ‘constitue’ le corps comme chair : « Le corps propre ne peut se constituer en tant que tel originairement que dans le toucher et dans tout ce qui trouve sa localisation avec les sensations de toucher. » (Husserl, 1982). La raison en est que, justement, le toucher est porteur de la doublitude que nous avons évoquée : « La sentance tactile n’est pas un état de la chose matérielle main, mais précisément la main elle-même, qui pour nous, est plus qu’une chose matérielle. » (Ibidem, 1982). La main touchante et la main touchée A l’appui de sa thèse, Husserl utilise l’expérience, maintes fois reprise, de « ma main qui touche mon autre main » (Husserl, 1982, 2001 ; Behnke, 1984 ; Merleau-Ponty, uploads/Philosophie/ le-toucher-therapeutique.pdf
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- Publié le Jul 01, 2022
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