L'A PRIORI DU CORPS CHEZ MERLEAU-PONTY Lucia Angelino De Boeck Supérieur | « Re
L'A PRIORI DU CORPS CHEZ MERLEAU-PONTY Lucia Angelino De Boeck Supérieur | « Revue internationale de philosophie » 2008/2 n° 244 | pages 167 à 187 ISSN 0048-8143 ISBN 9782960064056 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-internationale-de-philosophie-2008-2-page-167.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Supérieur. © De Boeck Supérieur. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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J’adresse mes plus vifs remerciements à Renaud BARBARAS pour la justesse des indications qu’il m’a fournies tout au long de la réalisation de ce travail. Je remercie également Étienne BIMBENET, qui a lu la première version de ce travail et m’a adressé des indications qui m’ont permis de l’améliorer sur certains points essentiels. Je lui suis, par ailleurs, redevable de ses suggestions stimulantes pour élaborer et formuler nombre des thèses présentées ici. Enfin, j’adresse un remerciement particulier à Sébastien SOCQUE pour son travail de révision et pour les conseils et les suggestions qu’il m’a prodigués tout au long de la rédaction de ce texte. 2. Maurice MERLEAU-PONTY, Phénoménologie de la perception, Paris, Gallimard, 1945, p. 369, dorénavant cité en forme abrégée comme PP. 3. Maurice MERLEAU-PONTY, La prose du monde, Paris, Gallimard, 1969, p. 110-111, dorénavant cité en forme abrégée comme PM. 4. L’ouvrage de Merleau-Ponty a été discuté de manière très diverse et approfondie, mais partielle sur cette question de l’a priori ; les écrits publiés à ce sujet abordent chacun la question de l’a priori sous un angle différent. Parmi les ouvrages et articles les plus significatifs, on peut citer : Mikel DUFRENNE, La notion d’« a priori », Paris, P.U.F., 1959, Mauro CARBONE, La visibilité de l’invisible : Merleau-Ponty entre Cézanne et Proust, Hildesheim, G. Olms, 2001, particulièrement p. 181 et suivantes, Marc RICHIR, Essences et intuition des essences, in Negli specchi dell’essere, L’a priori du corps chez Merleau-Ponty 1 Lucia ANGELINO Remarques préliminaires Le corps est un des thèmes majeurs de la pensée de Maurice Merleau-Ponty. Il déconcerte car, pour la première fois et d’une façon décisive, il est pensé dans la Phénoménologie de la perception comme une structure qui elle-même structure le monde vécu (ou monde de la vie, Lebenswelt), comme une structure, structurée et structurante, qui charge le réel « de prédicats anthropologiques » 2. En tant qu’ensemble des organes systématiquement cohérent dans l’unité ou totalité des sens, le corps est — selon une expression qu’emploie Merleau-Ponty dans la Prose du monde — « un système de systèmes voué à l’inspection d’un monde » 3. Les conséquences ontologiques d’une telle conception du corps sont multiples et c’est dans la prospection révélatrice d’un monde dont les articulations et la configuration reproduisent les traces du corps, que le génie inventif de Merleau-Ponty s’est fait, peut-être, le moins bien comprendre. On peut comprendre cette structure, implicite dans toutes les analyses du monde vécu développées dans la Phénoménologie de la perception, comme structure originaire qui seule rend possible le sens et les significations, comme cadre à partir duquel toute expérience et connaissance du monde sont possibles, c’est-à-dire comme étant un a priori, au sens de ce qui est simpliciter prius, précédant tout apprentissage et toute genèse, toujours déjà là et présupposé. Notre texte aimerait montrer que la découverte du corps comme étant un a priori ontologique, imprime en retour une torsion stimulante, voire féconde, à la notion même (kantienne) de l’a priori 4. Notre propos va se déployer en trois © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 04/08/2021 sur www.cairn.info (IP: 196.65.32.248) © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 04/08/2021 sur www.cairn.info (IP: 196.65.32.248) 168 LUCIA ANGELINO Cernusco (Como), Hestia edizioni, 1993 et Étienne BIMBENET, Nature et humanité, Paris, Vrin, 2004, particulièrement p. 162 et suivantes. 5. Ce faisant nous avons moins le sentiment de proposer une nouveauté que de mener jusqu’à ses conséquences l’impression qu’ont ressentie la plupart des lecteurs et interprètes de la Phénoménologie de la perception. En effet, de nombreuses interprétations et reconductions contemporaines de la démarche de Merleau-Ponty accordent une grande importance à une soi-disant orientation aprioriste chez lui. Karl-Otto APEL est un bon exemple de ceci, lui qui, dans L’ « a priori » du corps dans le problème de la connaissance, attribue à Merleau-Ponty une conception du « corps vécu comme “point de vue de l’avoir-un-monde” apriorique », qu’il intègre à son propre programme de transformation de la théorie moderne de la connaissance et de la philosophie transcendantale. Cf. Karl-Otto APEL, op. cit., Paris, Cerf, 2005, p. 74. Charles TAYLOR lui aussi dans son article La validité des arguments transcendantaux, propose une lecture transcendantale de la pensée de Merleau-Ponty, au fil de laquelle il montre que la conception merleau-pontienne du sujet comme agir incarné ou comme être-au-monde est construite par un argument de type transcendantal, c’est-à-dire soutenue sur un mode qui découle en définitive des modèles d’argumentation de la première Critique de Kant. Cf. Charles TAYLOR, La liberté des modernes, Paris, P.U.F., 1997, p. 115-133. Gary Brent MADISON, dans son livre La phénoménologie de Merleau-Ponty. Une recherche des limites de la conscience, ainsi que dans plusieurs articles, a tenté d’éclairer la démarche théorique développée par Merleau-Ponty dans la Phénoménologie de la perception, en l’inscrivant dans la perspective de la découverte d’un a priori corporel, du corps comme fait contingent, et pourtant premier et fondateur. Cf. « The ambiguous Philosophy of Merleau-Ponty », dans Philosophical Studies, The National University of Ireland, 1972, vol. XXII, p. 70, ainsi que Philosophiques, disponible en ligne, http://www.erudit.org/revue/philoso/1975/v2/n1/index.html. Parmi les commentateurs plus récents, Étienne BIMBENET a proposé, dans son livre Nature et humanité, une interprétation de la pensée de Merleau-Ponty qui n’est pas étrangère à celle qui est présentée ici. Cf. Étienne BIMBENET, op. cit. 6. Si nous introduisons ici cette notion d’a priori dans l’interprétation de la pensée de Merleau-Ponty, c’est donc par référence non pas à l’usage strictement moderne/kantien de ce terme, mais à ses racines grecques et latines, sur lesquelles a insisté particulièrement Martin HEIDEGGER et suivant lesquelles cette expression désigne ce qui est simpliciter prius — antérieur ; l’a priori est ce qui est antérieurement et toujours déjà présupposé. temps : dans une première partie, nous allons examiner si l’on peut interpréter l’argument de Merleau-Ponty dans la Phénoménologie de la perception — quand il relie certains traits essentiels et indéniables du monde perçu aux projets existentiaux du corps percevant — comme un a posteriori ratione 5, en son sens scolastique comme ce type particulier de raisonnement qui remonte de la conséquence au principe, où, si l’on préfère, du conditionné à sa présupposition, découvrant ainsi le corps comme étant un a priori, c’est-à- dire comme « ce par quoi » il y a présence du monde à notre action et comme « ce par rapport à quoi » le monde est accessible à l’inspection de l’homme (PP p. 369) ou à notre connaissance. À l’aide des notes inédites du cours de 1952-53 sur Le monde sensible et le monde de l’expression, consacrées au schéma corporel, l’on tentera ensuite de comprendre plus en profondeur la signification et les implications de cette idée, apparaissant dans la Phénoménologie de la perception, d’un a priori du corps. Dans une deuxième partie, nous allons examiner les conséquences qu’a un tel argument ontologique, découvrant le corps phénoménal/propre comme étant un a priori du monde 6, sur la notion même (kantienne) de l’a priori, en suivant Merleau-Ponty le plus loin possible dans la discussion qu’il entretient avec Kant dans le passage de la Phénoménologie de la perception intitulé « l’a priori et l’empirique ». Nous tenterons enfin de montrer que le recours à la notion de Gestalt s’avère au fond décisif dans l’élaboration d’un nouveau concept d’a priori et peut donc nous aider à mieux comprendre comment se présenterait un a priori d’inspiration merleau-pontienne. Nous tenterons de montrer que la notion de Gestalt semble avoir inspiré et guidé le philosophe dans l’élaboration de ce nouveau concept et peut donc se lire comme une explicitation fidèle de ce que Merleau-Ponty entend par a priori. Ces trois volets permettront la uploads/Philosophie/ rip-244-0167.pdf