Le Portique Revue de philosophie et de sciences humaines 35 | 2015 Philosophie
Le Portique Revue de philosophie et de sciences humaines 35 | 2015 Philosophie du management Art, esprit et mystère Art, spirit and mystery Bernard Grasset Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/leportique/2825 DOI : 10.4000/leportique.2825 ISSN : 1777-5280 Éditeur Association "Les Amis du Portique" Édition imprimée Date de publication : 1 mars 2015 ISSN : 1283-8594 Référence électronique Bernard Grasset, « Art, esprit et mystère », Le Portique [En ligne], 35 | 2015, mis en ligne le 10 mars 2016, consulté le 25 mars 2021. URL : http://journals.openedition.org/leportique/2825 ; DOI : https:// doi.org/10.4000/leportique.2825 Ce document a été généré automatiquement le 25 mars 2021. Tous droits réservés Art, esprit et mystère Art, spirit and mystery Bernard Grasset Introduction 1 Art, esprit et mystère. Pour questionner ces trois mots, dans leur unité et leur interdépendance, nous chercherons à nous appuyer à la fois sur des textes et des expériences. Conjuguant une approche exégétique et philosophique, nous interrogerons à la fois l’espace biblique et des penseurs, des philosophes qui ont tissé un lien entre beauté et esprit, en même temps que des poètes, des artistes. Notre chemin de pensée sera à la fois diachronique et synchronique, dans l’histoire et hors de l’histoire. Que pouvons-nous dire de l’art dans ses rapports avec l’esprit et le mystère à partir de la Bible, de la philosophie, de la poésie ? Dans un premier temps, nous évoquerons l’esthétique, l’éthique et le dévoilement, dans un second temps l’esprit, la fausse et la vraie beauté, dans un troisième et dernier temps nous nous pencherons plus particulièrement sur existence et mystère 1. 1. Esthétique, éthique et dévoilement a) Approches bibliques 2 Dans la Bible hébraïque, le mot yāphéh, beau, exprime à la fois la beauté d’un paysage, d’un visage, d’une voix et la bonté, la justice d’une action ; le mot ̣tov quant à lui signifie indissolublement beau et bon. Dans la Septante, l’adjectif kalos exprime la beauté en même temps que la noblesse, l’honnêteté et l’adjectif agathos conjoint la sphère du beau à celle de la bonté, la bravoure. Dans le grec néo-testamentaire, nous retrouvons le kalos, beau et bon, ainsi que l’agathos, beau et juste, heureux. La racine hébraïque qui a donné yāphéh, beau, et yophī, éclat, est y(a)ph(a)h, être beau, briller. Le lexique biblique révèle la beauté comme indissociable de la bonté, de la noblesse d’âme, de la justice, de Art, esprit et mystère Le Portique, 35 | 2015 1 l’amour. La beauté brille comme une lumière et son éclat ouvre à l’existence la porte du bonheur. 3 La beauté de la création, celle de la terre et du ciel, est le récit d’une transcendance infinie. Toute la Bible ne cesse de chanter les merveilles de l’univers. Mais quel est le rôle de cette magnificence ? La beauté introduit l’homme dans la sphère du sacré, de la perfection. Elle se présente comme fondamentalement reliante, signe intense de l’alliance du divin et de l’humain. La Beauté ne se clôt pas sur elle-même, elle est analogique, renvoie à un geste créateur invisible. C’est la sagesse du cœur et de l’esprit qui permet à l’homme de reconnaître le sens de la beauté. À côté de l’éclat lumineux de la création, la Bible évoque la beauté de l’homme et de Dieu. La beauté de l’être humain se dévoile comme image de la beauté de l’Être divin. 4 Il y a une beauté vaine, éphémère, une beauté sans sagesse, qui prétend être elle-même sa propre origine, une beauté de la séduction qui détourne l’homme de son chemin vers la lumière. Or les belles œuvres ne peuvent être, en profondeur, que les œuvres bonnes. La beauté n’est féconde que comme traduction de la vérité. La beauté unie à l’éthique et à la science de l’esprit appelle l’acte de témoigner. Étrangère à l’apparence, au dehors, à l’extériorité, la beauté biblique relève du dedans, de l’intériorité, de la profondeur. L’« homme intérieur » (Ép 3, 16) est homme de l’esprit, esprit qui est intelligence mais aussi souffle, souffle de vie (Gn 2, 7). L’esprit reconnaît la vraie beauté, la beauté de l’amour, de l’amitié, celle dont le Verbe constitue l’archétype, une beauté qui n’est pas séduction ni tromperie, une beauté dont l’essence est poétique. Le langage privilégié de la vraie beauté est le mashal (aphorisme, sentence, maxime) et le chant. b) Regards patristiques 5 En poursuivant notre chemin diachronique autour de l’art, de l’esprit et du mystère, nous découvrons dans la patristique un point originel de rencontre entre culture biblique et culture philosophique, poétique grecque. Pour Platon, très largement admiré par les Pères, il y a une unité du bien et du beau (agathos kai kalos). « Ne penses- tu pas que les bonnes choses sont belles en même temps ? » interroge Socrate dans Le Banquet (201c) 2. Pour Platon, la beauté se trouve unie au bien et à la vérité sous forme d’Idée tandis que dans la Bible l’unité se forme par la personne même du divin. Au niveau poétique, les odes pindariques ne dissocient pas la beauté de la vertu (arétê) dans l’éclosion de la vérité. « Principe de grande vertu, Vérité, ô Souveraine, fais que jamais mon propos n’achoppe contre l’écueil du mensonge ! » écrit Pindare 3 et il souligne que la parole poétique ne doit pas « porter la couleur du mensonge » 4. La patristique découvrait ainsi l’unité du beau, du bien et du vrai à la fois dans l’espace scripturaire et l’espace grec, mais restait à donner une dimension d’esprit et de mystère à cette unité. 6 Nous essaierons de regarder rapidement comment deux Pères majeurs, essentiels, l’un d’Orient, l’autre d’Occident, qui ont en commun d’être attentifs à la fois à l’esprit et à l’existence, ont tenté de penser l’art. Grégoire de Nazianze (330-390) rejette une beauté des effets sophistiques, qui ignore la vérité, une beauté de la vanité de la forme. La nature et l’histoire sont traversées d’une beauté qui renvoie à l’infini. Le bien dit le beau. Ainsi la vertu « est parfaitement belle » 5. Lumière, source de lumière, Dieu est la « Beauté suprême » 6. La beauté de l’homme se trouve en son esprit qui le guide vers l’absolue beauté. Relevant de l’intériorité, la beauté est de nature spirituelle. Aux yeux Art, esprit et mystère Le Portique, 35 | 2015 2 de Grégoire, le poète a sa place dans la cité. Attirée par la forme autobiographique, l’œuvre du Nazianzène est riche d’accents modernes. Son art d’écrire a le caractère de témoignage existentiel. Chez lui, la beauté voisine avec le mystère : la lumière est cachée. 7 « Considérez ce monde, il est plein de beauté. Quelle éclatante beauté dans la terre, dans la mer, dans le ciel, dans les astres ! » s’exclame, avec le lyrisme dont il est coutumier, Augustin (354-430), dans son commentaire du Psaume 144 7. La beauté du visible relie à la beauté de l’invisible. Le Créateur est le Bien, le Beau, le Vrai. Quant à la beauté de l’homme, elle vient de ce qu’il est image de Celui qui l’a créé. « Il y a un autre œil, il y a un œil intérieur » 8. Cet autre œil, l’œil du cœur (oculus cordis), l’œil de l’esprit (oculus mentis), regarde le monde et l’homme à travers la fenêtre de la vérité. Ce que souligne Augustin, c’est l’importance cruciale de l’amour. « Plus croît en toi l’amour, plus croît la beauté : car la charité est la beauté de l’âme » 9. L’éthique qui ne se dissocie pas de l’esthétique est une éthique de l’amour qui appelle une sagesse de la vérité. Comme chez Grégoire de Nazianze, la lumière vient à l’homme comme mystère (dans le « regard intérieur » brille un « soleil secret » remarque Augustin dans son attachant dialogue philosophique, De beata vita 10) et le rapport à l’art comporte une dimension fondamentalement existentielle (« Tard je t’ai aimée, Beauté si ancienne, si nouvelle,– tard je t’ai aimée ! » selon la confidence des Confessions 11). c) Chemins philosophiques et poétiques 8 Quittons les origines pour aborder des philosophes, des poètes, des artistes contemporains attentifs à l’esprit et au mystère. La beauté de la création a inspiré l’œuvre de peintres spirituels aussi différents que Kandinsky ou Rouault. Sur le plan musical, Olivier Messiaen, dont on sait la passion pour les oiseaux, les chants, n’a cessé de revenir aux merveilles de la nature. Le poète de l’esprit, Rabindranath Tagore, qui était aussi peintre et musicien, a traduit avec une sensibilité d’une grande intériorité l’éclat lumineux de l’univers. L’existence de la beauté dans la nature s’inscrit en faux contre le matérialisme. Pourquoi un monde réduit à l’immanence ferait-il surgir de la beauté ? Cette beauté n’appartient-elle pas en profondeur à l’esprit ? La beauté de l’être humain se cache à l’intérieur, dans le château de l’âme. Comme la beauté du visible, la beauté de l’homme est le signe d’une beauté infinie. Charles Péguy, évoquant avec lyrisme la beauté de la voix et du regard humains, introduit des valeurs éthiques uploads/Philosophie/ leportique-2825.pdf
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- Publié le Mai 23, 2022
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