Les Cahiers d’Orient et d’Occident Lettre bimestrielle n°8 – mai/juin 2007 ____
Les Cahiers d’Orient et d’Occident Lettre bimestrielle n°8 – mai/juin 2007 ____________________________________ Orient intérieur Ésotérisme occidental et oriental Romantisme allemand Documents littéraires rares ou inédits Libres destinations Tous droits réservés 2007 Les Cahiers d’Orient et d’Occident Lettre bimestrielle n° 8 DE L’ORIENT INTERIEUR JACOB BOEHME « La noble perle » « X, 1. J’ai parcouru plusieurs écrits des maîtres, espérant y trouver la perle de la base de l’homme ; mais je n’ai rien pu trouver de ce que mon âme désirait. J’ai rencontré en effet des opinions contradictoires, j’en ai trouvé aussi une partie qui me défendait de chercher ; mais je ne sais pas par quel motif ni par quelle raison, si ce n’est qu’un aveugle n’aime pas que l’on ait des yeux et que l’on voie. Avec tout cela, mon âme est devenue inquiète en moi, et s’est angoissée comme une femme en travail, et cependant rien ne s’est trouvé pour moi, jusqu’à ce que j’aie suivi les paroles de Christ, qui dit : « Vous devez être engendré de nouveau, si vous voulez voir le royaume de Dieu » (Jn, 3, 7). Ce qui, d’abord, ferma mon cœur, imaginant que cela ne pouvait arriver dans ce monde, mais seulement à ma séparation de ce monde. Alors mon âme s’angoissa d’abord pour la génération céleste, et aurait bien voulu goûter la perle. Elle se jeta ardemment dans cette voie pour la génération céleste, jusqu’à ce qu’enfin il lui est arrivé un trésor, d’après lequel je veux maintenant écrire pour mon Mémorial, et pour servir de lumière à celui qui cherche ». Or, quelle est cette « perle », cette « noble perle »1, selon une expression familière de Jacob Boehme ? Sinon ce « trésor caché » dont parlent les soufis et qui est Dieu lui-même, selon un fameux hadith : « J’étais un Trésor caché aspirant à être connu »2. Nous avons ici tout l’enseignement de Jacob Boehme, pour qui Dieu est la Déité inconnue et inconnaissable qui prend connaissance d’elle- même en tant que Dieu dans le miroir de la Sagesse divine. Mais Jacob Boehme parle aussi d’un « noble trésor et en lui [de] la précieuse perle » ; de la même manière il évoque à plusieurs reprises la croissance d’un « arbre de la perle », en relation avec Sophia, la Sagesse divine. Ainsi dans ce passage : « De la voie par où l’on entre. Âme chérie, si tu désires cette voie et que tu veuilles l’obtenir, ainsi que la noble vierge SOPHIE, dans l’arbre de la perle, tu dois y apporter la plus sérieuse attention ». 1 On rapprochera cette expression de « l’homme noble », selon Maître Eckhart 2 Selon une autre version : « J’étais un Trésor caché ; j’ai aimé à être connu ; j’ai produit le monde afin d’être connu » 2 Les Cahiers d’Orient et d’Occident Lettre bimestrielle n° 8 En fait, le « trésor caché » que nous venons d’évoquer comme étant Dieu, se révèle être Sophia, la Sagesse divine, tandis que la « noble perle » est l’amour de Dieu, croissant comme un arbre, « l’arbre de la perle », dans l’intériorité : « O, Amour de Dieu, très aimable et très profond en Jésus-Christ ! Donne-moi ta perle ; imprime-la dans mon âme, prends je te prie, mon âme entre tes bras. » Comment le « Trésor caché » qui est Dieu, selon le hadith, se manifeste-il à l’homme ? Par la médiation de la Sagesse divine, dira Jacob Boehme. Cette « perle » représente donc l’intériorité, le centre de son être, le propre être intérieur de l’homme, qui n’est pas l’âme naturellement, mais qui est ce par quoi l’âme de l’homme se trouve réunie à Dieu : « Donne-moi ta perle ; imprime-la dans mon âme, prends je te prie, mon âme entre tes bras. ». Cette réunion pour Jacob Boehme s’opère par la médiation de la Sophia, de la Sagesse divine, qui est le « Trésor caché » au sein duquel se trouve la « noble perle » ; et cette réunion s’obtient finalement par la voie de l’Amour de Dieu « très aimable et très profond en Jésus-Christ ». C’est pourquoi il est question à propos de Jacob Boehme, tout autant que d’une théosophie, d’une christosophie. Toutefois, dans cette configuration, le Christ n’est plus l’Époux divin, mais le Christ-Sophia. Et cette réunion dont nous parlons n’est pas l’union de l’âme-Épouse avec le divin Époux, comme dans la voie mystique, mais bien la réunion de l’homme avec Sophia, la Sagesse divine. * Comment se fait-il que Jacob Boehme n’ait pas trouvé dans « plusieurs écrits des maîtres » la « perle de la base de l’homme » ? Ici, il faut comprendre sans doute par « maîtres », les théologiens protestants de son temps3 et peut-être quelques rares auteurs mystiques. Et surtout, notons que ce dernier n’a pas trouvé dans leurs ouvrages ce que son âme désirait. Quel était le désir de son âme ? Nous pouvons considérer le Christ selon le désir que nous avons (ou que notre âme a) de Lui qui est l’Amour. Par exemple, je cherche le salut de mon âme, Jésus-Christ est mon Sauveur qui me donne accès au paradis terrestre et à la vie éternelle. Ou encore : Mon âme aspire à l’union avec l’Époux divin, Jésus est mon Bien- aimé avec qui j’attends de célébrer des Noces mystiques. Pour Jacob 3 Rappelons que Jacob Boehme était protestant. 3 Les Cahiers d’Orient et d’Occident Lettre bimestrielle n° 8 Boehme, ce désir peut s’exprimer ainsi : Mon âme désire la « noble perle » et la cherche comme un « Trésor caché » ; Jésus est le Christ- Sophia en qui je rejoins le Divin, la Sainte Trinité. C’est ainsi qu’il dira : « Cherche la noble perle, elle est plus précieuse que ce monde. Elle ne s’éloignera jamais de toi, et où sera la perle, là sera aussi ton cœur : tu n’as pas besoin d’aller chercher plus loin qu’ici le paradis, la joie, et les délices du ciel. Cherche seulement la perle ; si tu la trouves, tu trouves le paradis et le royaume céleste, et tu deviendras si savant que, sans l’avoir éprouvé, tu ne le pourrais pas croire ». Ajoutons à ce point que la médiation de la Sagesse divine ou du Christ-Sophia permet d’accéder à un Royaume céleste qui n’a d’existence que par rapport à ce que nous pouvons appeler la Déité, comme Henri Suso parle de la « déité pure », car « le Dieu de Boehme est d’abord une Déité insondable appelée Ungrund, mot formé de Grund qui signifie fond ou fondement, et du préfixe négatif Un- » [Pierre Degaye]. Il advient, en effet, un moment où notre âme cesse de désirer. Lorsqu’elle a atteint le terme de son désir, à savoir sa réunion avec le Christ-Sophia, et qu’elle entre dans le Royaume céleste, son désir disparaît pour ne plus laisser la place qu’à une absence de désir, par laquelle elle s’abîme dans un océan sans fond, ce qu’est la Déité, ou, pour le dire d’une manière différente, par laquelle elle atteint le Soi.. Ici, il est question du désir de l’âme. L’âme désire, mais c’est l’esprit qui agit dans la recherche de la « noble perle » et du « Trésor caché » qui est Sophia, la Sagesse divine, selon une modalité très simple : « Si l’homme élève son esprit vers la divinité, aussitôt l’esprit saint perce et opère en lui ; mais s’il laisse descendre son esprit dans ce monde, et le livre à l’empire du mal, alors le démon et le suc infernal s’insinuent en lui et le dominent » 4. C’est « ceint de l’épée de l’esprit », dira Jacob Boehme, qu’il faut cheminer dans l’intériorité, à la recherche de la « noble perle ». C’est alors l’Esprit saint qui guide et inspire l’homme. * Lorsque Jacob Boehme nous fait part de son désespoir de n’avoir rien trouvé pour lui dans les « écrits des maîtres », après avoir constaté leurs « opinions contradictoires » et surtout compris qu’une partie de ces « maîtres » lui défendait de chercher ce à quoi confusément il aspirait, il manifeste seulement l’impuissance de l’homme occidental 4 Jacob Boehme, Aurora, Préface, 12. 4 Les Cahiers d’Orient et d’Occident Lettre bimestrielle n° 8 à qui l’accès au « dépôt de la connaissance initiatique » est interdit, faute de véritables maîtres spirituels, d’initiateurs. Or, la recherche de la « noble perle », du « Trésor caché » qu’est la Sagesse divine forme une de ces voies de l’initiation chrétienne dont Jacob Boehme sera l’initiateur. C’est la voie théosophique ou christosophique5. Comment Jacob Boehme en deviendra-t-il l’initiateur ? Notons d’abord qu’il sera tenu éloigné de cette fonction, selon son propre aveu, jusqu’à ce qu’il suive les paroles de Christ, qui dit : « Vous devez être engendré de nouveau, si vous voulez voir le royaume de Dieu » (Jn, 3, 7). uploads/Philosophie/ les-cahiers-d-x27-orient-et-d-x27-occident-8.pdf
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- Publié le Apv 07, 2022
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