Les Passions de l’âme René Descartes Publication: 1649 Source : Livres & Ebooks

Les Passions de l’âme René Descartes Publication: 1649 Source : Livres & Ebooks Chapitre 1 Chapitre Première partie Des passions en général, et par occasion de toute la nature de l’homme (AT, XI, 327) ”’Art. 1.”’ ”Que ce qui est passion au regard d ?un sujet est toujours action à quelque autre égard.” Il n’y a rien en quoi paraisse mieux combien les sciences que nous avons des anciens sont défectueuses qu’en ce qu’ils ont écrit des passions. Car, bien que ce soit une matière dont la connaissance a toujours été fort recherchée, et qu’elle ne semble pas être des plus difficiles, à cause que chacun les sentant en soi-même on n’a point besoin d’emprunter d’ailleurs aucune observation pour en découvrir la nature, toutefois ce que les anciens en ont enseigné est si peu de chose, et pour la plupart si peu croyable, que je ne puis avoir (328) aucune espérance d’appro- cher de la vérité qu’en m’éloignant des chemins qu’ils ont suivis. C’est pourquoi je serai obligé d’écrire ici en même façon que si je traitais d’une matière que jamais personne avant moi n’eût touchée. Et pour commencer, je considère que tout ce qui se fait ou qui arrive de nouveau est généralement appelé par les philosophes une passion au regard du sujet auquel il arrive, et une action au regard de celui qui fait qu’il arrive. En sorte que, bien que l’agent et le patient soient souvent fort dif- férents, l’action et la passion ne laissent pas d’être toujours une même chose qui a ces deux noms, à raison des deux divers sujets auxquels on la peut rapporter. 1 ”’Art. 2.”’ ”Que pour connaître les passions de l ?âme il faut distinguer ses fonctions d ?avec celles du corps.” Puis aussi je considère que nous ne remarquons point qu’il y ait aucun sujet qui agisse plus immédiatement contre notre âme que le corps auquel elle est jointe, et que par conséquent nous devons penser que ce qui est en elle une passion est communément en lui une action ; en sorte qu’il n’y a point de meilleur chemin pour venir à la connaissance de nos passions que d’examiner la différence qui est entre l’âme et le corps, afin de connaître auquel des deux on doit attribuer chacune des fonctions qui sont en nous. (329) ”’Art. 3.”’ ”Quelle règle on doit suivre pour cet effet.” A quoi on ne trouvera pas grande difficulté si on prend garde que tout ce que nous expérimentons être en nous, et que nous voyons aussi pouvoir être en des corps tout à fait inanimés, ne doit être attribué qu’à notre corps ; et, au contraire, que tout ce qui est en nous, et que nous ne concevons en aucune façon pouvoir appartenir à un corps, doit être attribué à notre âme. ”’Art. 4.”’ ”Que la chaleur et le mouvement des membres procèdent du corps, et les pensées de l ?âme.” Ainsi, à cause que nous ne concevons point que le corps pense en aucune façon, nous avons raison de croire que toutes sortes de pensées qui sont en nous appar- tiennent à l’âme. Et à cause que nous ne doutons point qu’il y ait des corps inani- més qui se peuvent mouvoir en autant ou plus de diverses façons que les nôtres, et qui ont autant ou plus de chaleur (ce que l’expérience fait voir en la flamme, qui seule a beaucoup plus de chaleur et de mouvement qu’aucun de nos membres), nous devons croire que toute la chaleur et tous les mouvements qui sont en nous, en tant qu’ils ne dépendent point de la pensée, n’appartiennent qu’au corps. (330) 2 ”’Art. 5.”’ ”Que c ?est erreur de croire que l ?âme donne le mouvement et la chaleur au corps.” Au moyen de quoi nous éviterons une erreur très considérable en laquelle plu- sieurs sont tombés, en sorte que j’estime qu’elle est la première cause qui a empê- ché qu’on n’ait pu bien expliquer jusques ici les passions et les autres choses qui appartiennent à l’âme. Elle consiste en ce que, voyant que tous les corps morts sont privés de chaleur et ensuite de mouvement, on s’est imaginé que c’était l’ab- sence de l’âme qui faisait cesser ces mouvements et cette chaleur. Et ainsi on a cru sans raison que notre chaleur naturelle et tous les mouvements de nos corps dépendent de l’âme, au lieu qu’on devait penser au contraire que l’âme ne s’ab- sente, lorsqu’on meurt, qu’à cause que cette chaleur cesse, et que les organes qui servent à mouvoir le corps se corrompent. ”’Art. 6.”’ ”Quelle différence il y a entre un corps vivant et un corps mort.” Afin donc que nous évitions cette erreur, considérons que la mort n’arrive ja- mais par la faute de l’âme, mais seulement parce que quelqu’une des principales parties du corps se corrompt ; et jugeons que le corps d’un homme vivant diffère autant de celui d’un homme (331) mort que fait une montre, ou autre automate (c’est-à-dire autre machine qui se meut de soi-même), lorsqu’elle est montée et qu’elle a en soi le principe corporel des mouvements pour lesquels elle est insti- tuée, avec tout ce qui est requis pour son action, et la même montre ou autre ma- chine, lorsqu’elle est rompue et que le principe de son mouvement cesse d’agir. ”’Art. 7.”’ ”Brève explication des parties du corps, et de quelques-unes de ses fonctions.” Pour rendre cela plus intelligible, j’expliquerai ici en peu de mots toute la fa- çon dont la machine de notre corps est composée. Il n’y a personne qui ne sache déjà qu’il y a en nous un cœur, un cerveau, un estomac, des muscles, des nerfs, des artères, des veines, et choses semblables. On sait aussi que les viandes qu’on mange descendent dans l’estomac et dans les boyaux, d’où leur suc, coulant dans 3 le foie et dans toutes les veines, se mêle avec le sang qu’elles contiennent, et par ce moyen en augmente la quantité. Ceux qui ont tant soit peu ouï parler de la médecine savent, outre cela, comment le cœur est composé et comment tout le sang des veines peut facilement couler de la veine cave en son côté droit, et de là passer dans le poumon par le vaisseau qu’on nomme la veine artérieuse, puis re- tourner du poumon dans le côté gauche du cœur par le vaisseau nommé l’artère veineuse, et enfin passer de là dans la (332) grande artère, dont les branches se répandent par tout le corps. Même tous ceux que l’autorité des anciens n’a point entièrement aveuglés, et qui ont voulu ouvrir les yeux pour examiner l’opinion d’Hervaeus touchant la circulation du sang, ne doutent point que toutes les veines et les artères du corps ne soient comme des ruisseaux par où le sang coule sans cesse fort promptement, en prenant son cours de la cavité droite du cœur par la veine artérieuse, dont les branches sont éparses en tout le poumon et jointes à celles de l’artère veineuse, par laquelle il passe du poumon dans le côté gauche du cœur ; puis de là il va dans la grande artère, dont les branches, éparses par tout le reste du corps, sont jointes aux branches de la veine cave, qui portent de- rechef le même sang en la cavité droite du cœur ; en sorte que ces deux cavités sont comme des écluses par chacune desquelles passe tout le sang à chaque tour qu’il fait dans le corps. De plus, on sait que tous les mouvements des membres dépendent des muscles, et que ces muscles sont opposés les uns aux autres, en telle sorte que, lorsque l’un d’eux s’accourcit, il tire vers soi la partie du corps à laquelle il est attaché, ce qui fait allonger au même temps le muscle qui lui est op- posé ; puis, s’il arrive en un autre temps que ce dernier s’accourcisse, il fait que le premier se rallonge, et il retire vers soi la partie à laquelle ils sont attachés. Enfin on sait que tous ces mouvements des muscles, comme aussi tous les sens, dé- pendent des nerfs, qui sont comme de petits filets ou comme de petits tuyaux qui viennent tous du cerveau, et contiennent ainsi que lui un certain air ou vent très subtil qu’on nomme les esprits animaux. (333) ”’Art. 8.”’ ”Quel est le principe de toutes ces fonctions.” Mais on ne sait pas communément en quelle façon ces esprits animaux et ces nerfs contribuent aux mouvements et aux sens, ni quel est le principe corporel qui les fait agir. C’est pourquoi, encore que j’en aie déjà touché quelque chose en d’autres écrits, je ne laisserai pas de dire ici succinctement que, pendant que nous vivons, il y a une chaleur continuelle en notre cœur, qui est une espèce de feu que 4 le sang des veines y entretient, et que ce feu est le principe corporel de tous les mouvements de nos membres. ”’Art. 9.”’ ”Comment se fait le uploads/Philosophie/ les-passions-de-l-x27-ame 1 .pdf

  • 24
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager