Les stéréotypes, c’est bien. Les imaginaires, c’est mieux in Boyer H. (dir.), S

Les stéréotypes, c’est bien. Les imaginaires, c’est mieux in Boyer H. (dir.), Stéréotypage, stéréotypes : fonctionnements ordinaires et mises en scène, L’Harmattan, Paris. , 2007 Version imprimable Il n’est peut-être pas très convenable, dans un colloque portant sur les stéréotypes, de commencer par se débarrasser de cette notion. Mais après tant d’écrits qui lui ont été consacrés —sans que jamais elle ne soit remise en cause [1]—, il convient de se demander si c’est une notion avec laquelle on peut travailler dans le cadre des sciences humaines et sociales, et plus particulièrement en analyse du discours. Qu’est-ce qu’on observe ? D’abord, qu’il y a une prolifération de termes couvrant le même champ sémantique : « clichés », « poncifs », « lieux communs », « idées reçues », « préjugés », « stéréotypes », « lieu commun », pour n’en citer que quelques uns. Car il en est d’autres comme l’expression « pont aux ânes » entendu récemment dans une émission de radio. On ne sait trop quelles distinctions établir, et d’ailleurs la plupart d’entre eux sont interchangeables. Ces termes ont un certain nombre de traits sémantiques en commun, car ce qu’ils recouvrent réfère à ce qui est dit de façon répétitive et qui, de ce fait, finit par se figer (récurrence et fixité), et décrit une caractérisation jugée simplificatrice et généralisante (simplification). D’autre part, ces termes circulent dans les groupes sociaux, et ce qu’ils désignent est donné en partage à leurs membres jouant ainsi un rôle de lien social (fonction identitaire) ; mais en même temps, lorsqu’un de ces termes est employé, c’est pour rejeter la caractérisation qu’ils décrivent au motif qu’elle serait fausse, trop simpliste ou trop généralisante (jugement négatif) ; certains insistent davantage sur l’un ou l’autre de ces aspects : de fausse vérité(« idées reçues »), de non-vérification (« préjugés »), de banalité (« lieu commun »), mais tous sont porteurs du trait de soupçon, quant à la vérité de ce qui est dit. C’est la présence de ce soupçon qui rend difficile la récupération de la notion de stéréotype pour en faire un concept. D’abord parce que cela signale que cette notion est dépendante du jugement d’un sujet, et que ce jugement en étant négatif occulte la possibilité que ce qui est dit renferme malgré tout une part de vérité. Ce masquage est encore plus patent lorsque la caractérisation concerne des individus ou des groupes humains : dire que les intellectuels n’aiment pas le contact des corps est peut-être un stéréotype propre aux sportifs, mais cela ne veut pas dire qu’il soit complètement faux ; il en va de même des jugements que les hommes portent sur les femmes et de ceux que les femmes portent sur les hommes, de ceux que les citoyens portent sur les politiques et réciproquement. Autrement dit, il faut accorder au stéréotype la possibilité de dire quelque chose de faux et vrai, à la fois. Tout jugement sur l’autre est en même temps révélateur de soi : il dit peut-être quelque chose de déviant sur l’autre (réfraction [2]), mais il dit en même temps quelque chose de vrai sur celui qui porte ce jugement (réflexion). Dire que les Français sont cartésiens, n’est évidemment pas vrai dans l’absolu, mais, d’une part, cela peut avoir une part de vérité, et surtout, cela est révélateur de celui qui le dit, lequel se considère non cartésien ou prend ses distances vis-à-vis de cette caractérisation. Il y a donc une ambiguïté quant à l’usage que l’on fait de cette notion, y compris dans les écrits savants qui lui sont consacrés : d’un côté, on défend l’idée que le stéréotype a une fonction nécessaire d’établissement du lien social, l’apprentissage social se faisant à l’aide d’idées communes répétitives comme garantes des normes du jugement social, d’un autre, on rejette le stéréotype car il déformerait ou masquerait la réalité. Bien difficile, dans ces conditions de retenir cette notion comme centrale dans l’analyse des discours sociaux, sauf à la repérer comme caractéristique de certains faits de discours révélateurs de tel ou tel sujet, dans tel ou tel contexte situationnel [3]. Qu’est-ce qui est en cause ? Essentiellement deux choses : la façon dont on conçoit le rapport du langage à la réalité ; la place que l’on accorde au phénomène des représentations sociales. Langage, « réel » et « réalité » La notion de « réel » a longtemps été confondue avec celle de « réalité ». Soit que, dans l’ordre du monde empirique, elle renvoie aux objets ou événements du monde phénoménal extérieurs à l’homme : le réel, ou la réalité, s’oppose alors à l’apparence sensible des choses (Platon), et désigne le donné authentique d’un monde physique qui existe indépendamment de l’homme et s’impose à lui. Soit que, considérée dans l’ordre de la pensée, la réalité, ou le réel, est vue comme un objet défini, logique, permanent et autonome, désignant une vérité solide, un donné explicatif sur le monde comme loi qui s’impose à l’homme, une sorte de « principe de réalité ». Pourtant, il convient de distinguer réel de réalité, et c’est l’hypothèse sur le signe linguistique, dans la filiation de Saussure et Benveniste qui nous y aidera. On sait que le signe, avec sa double face signifiant/signifié, se caractérise par une triple dimension : référentielle (il renvoie à quelque chose du monde), symbolique (il construit du sens à partir de ce monde), contextuelle (il prend sens dans une large combinatoire textuelle). Il résulte de cette définition que le signifié n’est pas la réalité elle-même, mais une construction signifiante de la réalité. C’est cette construction de sens qu’on appellera le réel signifiant du monde : si le mot « arbre » renvoie à une réalité empirique du monde, il construit à travers telle langue, dans tel contexte culturel, le concept arbre, comme dirait Saussure, c’est-à- dire le réel signifiant arbre dans la langue française. En généralisant le propos, on peut donc dire que « la réalité » correspond au monde empirique à travers sa phénoménalité, comme lieu a-signifiant (et encore a- signifié) s’imposant à l’homme dans son état brut en attendant d’être signifié. Par opposition, « le réel » réfère au monde tel qu’il est construit, structuré, par l’activité signifiante de l’homme à travers l’exercice du langage en ses diverses opérations denomination des êtres du monde, de caractérisation de leurs propriétés, dedescription de leurs actions dans le temps et dans l’espace et d’explication de la causalité des ces actions [4]. Le réel est donc lié à l’activité de rationalisation de l’homme, ce qui rejoint peut-être la proposition de Hegel : « Ce qui est rationnel est réel, ce qui est réel est rationnel », mais évidemment, en ajoutant que ce rationnel est lui-même empreint de d’affect et d’émotionnel. La réalité a toujours besoin d’être « formatée » pour devenir réel, et ce travail de formatage se fait par le biais de la raison qui, elle-même, se fait par le biais du langage : le réel a besoin de renvoyer à une raison, dit encore Baudrillard, une rationalité qui construit des oppositions. Dès lors, on peut considérer que le discours construit toujours du réel, et que le jugement de vérité ou de fausseté n’a pas lieu d’être ici ; un tel jugement ne peut être qu’un acte de langage venant se superposer à l’acte de discours construisant du réel. Le stéréotype n’a pas ici de raison d’être. Les représentations sociales comme mécanique de construction du réel Bien des écrits ayant été consacrés à cette notion, aussi bien dans la psychologie sociale dont elle est issue que dans des analyses de discours ou sociolinguistiques, on rappellera rapidement son émergence. Elle apparaît chez Durkheim sous la dénomination de « représentations collectives », dénomination contestée par Moscovici parce que le terme de collectif renvoie davantage à un groupe fermé sur lui-même, à des opinions collectives intra-communautaires. Moscovici propose alors l’expression « représentations sociales », plus générique qui inclut les représentations collectives sans préjuger du degré de généralisation de la notion, parce qu’il s’agit de définir une notion qui explique et justifie, les pratiques sociales, leurs normes et leurs règles. C’est comme si l’individu ne pouvant se contenter d’agir, il lui fallait se donner une raison d’agir, des motifs et des finalités qui lui permettent de porter des jugements sur le bien fondé de ses actions ; il doit donc se les représenter en interaction avec les autres du langage, et, en se les représentant, il se fait exister et invente la société qui l’invente dans le même temps [5]. Les représentations sociales sont par voie de conséquence un mode de connaissance du monde socialement partagé. On n’entrera pas ici dans le détail de cette notion telle qu’elle est développée par la psychologie sociale qui pour les besoins de sa conceptualisation distingue les notions de « représentation », d’« opinion », d’« attitude », de « système central » et « système périphérique » [6], mais on rappellera également que Sperber et Wilson, dans leur théorie de la pertinence parlent de « uploads/Philosophie/ les-stereotypes-c-x27-est-bien-les-imaginaires-c-x27-est-mieux-charaudeau-2007.pdf

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