Les valeurs de l’humanisme dans la pensée iranienne et leur portée Strasbourg,

Les valeurs de l’humanisme dans la pensée iranienne et leur portée Strasbourg, 21-24 mai 2006 Jean Akiki « La générosité du regard dans la pensée de Rumî, humanisme en quête d’absolu » Mots clés : Humanisme, dialogue inter – religieux, mystique, mysticisme persan, pensée iranienne, Rûmi, vision, illumination, union Résumé: La pensée et l’expérience de Djalal ud dîn Rumî, ses contemplations, ses chatahât mystiques aussi bien que sa tarîqa sont pour nous, aujourd’hui, hommes de l’Orient et de l’Occident, d’une grande utilité surtout que le soleil de la science n’arrive guère à toucher les cœurs affamés, flétris et atrophiés. Ce que Mawlâna a découvert dans l’homme ivre de Dieu révèle la richesse infinie de l’humain branché sur la lumière du cœur qui vient d’en haut. Il paraît que, autant l’on descend dans le fond de ce puits de chair, autant l’on devient léger et prêt pour l’envol sur les ailes du désir originaire qui ne cesse de suivre sa voie vers le sublime et de se métamorphoser en amour du Beau. L’homme qui rejoint ainsi son origine ouvre les yeux à la lumière divine, et, en simple et pur miroir, il en reflète la magnificence. La générosité du regard est fidélité à la source et loyauté envers soi-même. 1. Ma première rencontre avec Rumî remonte aux années dix neuf cent quatre vingt dix, alors en quête du pont qui liait la pensée nietzschéenne à la mystique orientale. En fait, le premier contact aurait pu s’arranger avec Hafiz, sa belle Souleika et les filles du désert que Nietzsche évoque et chante passionnément dans son Zarathustra (« Unter Töchtern der Wüste », IV ; certainement sur influence directe de Goethe). Mais le fil conducteur m’a guidé directement à la source d’où jaillissent les lumières inextinguibles du cœur enflammé par l’amour de l’Absolu. Qu’il soit, en premier lieu, le cœur de Zoroastre lui-même, ce prédécesseur du Saoshyant, le Sauveur qui naîtra d’une Vierge et dont l’astre annoncera sa naissance, ou celui de Krsna, dieu incarné qui vient défendre le héros personnifiant le Dharma en acte et en puissance, la question ne pourrait être tranchée que dans la saisie du fil conducteur lui-même, lequel liait, Jean Akiki Les valeurs de l’humanisme dans la pensée iranienne et leur portée Strasbourg, 21-24 mai 2006 2 indubitablement, toute l’histoire de la pensée indo-européenne, aryenne plus précisément (allant de la Germanie à l’Inde passant par l’Iran). 2. Nietzsche a choisi Zoroastre pour lancer la première pierre sur le gigantesque édifice de la morale religieuse, mais les étincelles du Beau et de l’Amour intarissable en eurent raison de sa sensibilité mystique. Son Dieu inconnu, rebaptisé Dionysos, l’autre version de Krsna, dieu danseur et joueur, agile combattant dans l’intériorité forestière, avait beaucoup d’affinité avec Djalal ud dîn Rumî, fondateur des derviches et initiateur du sama’, véritable transe spirituelle arrimant son de flûte, rythme et tournoiement, pour réussir le saut en hauteur ou vol mystique. En fin de compte, ce fil conducteur qui liait les différentes figures mystiques ne saurait être qu’humanisme en quête d’absolu. 3. Loin de reprendre la comparaison avec Nietzsche qui s’est contenté du son comme première vibration existentielle et meilleur guide vers l’extase (bien qu’il ait appris à ses auditeurs, dès le premier discours de Zarathustra, « d’entendre avec leurs yeux », Prologue I, 5), je vais tâcher, dans les brèves minutes qui me sont accordées, de rejoindre Rumî, seul, son exaltation du regard et sa précipitation dans la vision, après avoir été enchanté par la lamentation du nay et la douleur de la séparation. En effet, le son évoque la séparation, alors que la vision l’union. Ainsi, dès les premiers versets de son Mathnavî, Rumî révèle le but de son livre, et précise déjà la teneur de sa problématique, anticipant la déclaration finale qui va avoir lieu dans le dernier volume : « Notre Mathnavî est la boutique de l’Unité : tout ce que tu vois là, excepté l’Unique, est une idole. » (Mathnavî, VI., 1528, p. 1473). Il est semblable à une boutique du fait qu’il trace l’espace de la prodigalité gratuite, où le véritable trésor à chercher ne saurait être que le secret de l’union elle-même, laquelle demeure imperceptible aux mécréants, riches de leur fatuité. Par contre, les initiés à la frugalité et à la pauvreté, à « l’habit déchiré par un grand amour » (Mathnavî, I, 22 p. 53), et dont « la nourriture originelle est la Lumière de Dieu» (Mathnavî, II. 1083, p.365), ces yeux habitués savent très bien que, dans cette boutique, ils trouvent ce dont ils ont besoin, ce qui étanche leur soif, et fournit à leurs lampes l’huile de veille. 4. La vue, organe récepteur par excellence du don divin, associé à la lumière, est alors, dans le vocabulaire des mystiques, notamment mawlawî, supérieur à l’ouïe, dans le sens où cette dernière est l’avant dernière étape ou précurseur émoustillé, en voie de fusion dans la vision comme le suggèrent ces versets : « Lorsque l’oreille entend, il en découle une transformation des qualités : dans la vision de l’œil, il y a une transformation de l’essence. » « Quand l’oreille est pénétrante, elle devient œil ; sinon, la parole de Dieu reste emmêlée dans l’oreille sans atteindre le cœur. » (Mathnavî, II, 859 et 862, p. 353) Dans cette transmutation de l’audible en visible ou de la transformation des qualités à la transformation de l’essence, toute une alchimie des profondeurs fomente, petit à petit et pas à pas, élixir, extase, ivresse et retour à la source, eau, feu ou lumière soit-elle. D’où ensuite la petite réprimande adressée à l’amant toujours enchanté par le rythme sonore, omettant de réaliser la transformation : « Je pense à des rimes, et mon Bien- Aimé me dit : « Ne pense à rien d'autre qu'à Me voir. » (Mathnavî, I, 1727, p. 159). Ce cadre scénique et pédagogique n’est autre que le sama’ où le son joue son rôle préparatoire à merveille, concluant avec la vue une alliance d’amitié qui sera scellée par le dernier Sceau de lumière prophétique, léguée au Pôle qui tient le rôle principal de la scène. 5. Quelle que sublime qu’elle soit, la musique, au regard de Schopenhauer et de Nietzsche, elle cède rapidement la place au tragique, seul à même de faciliter et de laisser émerger, dans le spectacle - ici le sama’ -, la véritable identification au Qutb, Jean Akiki Les valeurs de l’humanisme dans la pensée iranienne et leur portée Strasbourg, 21-24 mai 2006 3 lequel n’est autre que le miroir de l’Essence, Al Haqq. Entendre pour danser et danser pour voir pour ainsi chanter, louer et se noyer dans la vision, tout cela contribue à poser la dernière touche sur le tableau dont le secret, furtivement confié à l’agilité hagarde du pinceau, est alternance ludique continue de voilement et de dévoilement ou jeu de cache–cache entre amoureux, sur le chemin de l’union mystique, lieu de dénuement total et passage final du hâl (état de dévoilement de la mariée) au maqâm (rester seul avec elle). (Mathnavî, I, 1435-1436, p. 14). 6. A ce stade avancé, pris par l’élan purificateur de la maîtrise de soi, « mourant avant de mourir », l’on devient vision avant la vision car, affirme Rumî : « chaque chose que tu recherches, c'est cela que tu es. » (Ruba’iyat, p. 64) Identification du sujet-objet, délire épistémique, fusion de l’individualité dans la non individualité, ou plus précisément : « tisser mon individualité en non- individualité » (Mathnavî, I, 1735, p. 159), Rumî rejoint, ainsi et de près, la théologie Ishrâqî, pour la dépasser et confirmer, dès le premier volume, que « L’homme est un œil, le reste n’est que chair ; la vue de cet œil, c’est voir le Bien-aimé. » (Mathnavî, I, 1406, p.139). Il reprend et supplée, dans le dernier volume, que « l’homme est essentiellement vision : le reste n’est que de la chair et de la peau ; ce que son œil a contemplé, il est cette chose même. » (Mathnavî, VI, 812, p. 1430). 7. Ainsi uni à ce qu’il voit et devient dans l’œil de la passion, le mystique mawlawî, fait revivre l’ancienne tradition upanishadique dans laquelle le Soi est en même temps l’arc la flèche et la cible1. D’ailleurs, l’Upanishad de la Bhâgavad Gîta est plus clair là- dessus : « A quelque état d’être qu’il pense au moment de la mort, il parvient à cet être, O fils de Kuntî, toujours absorbé dans cette même pensée. » (BG, VIII, 6) ; « Celui qui médite sur la Personne Suprême, sa pensée unie à Elle par un exercice constant et n’errant vers rien d’autre, celui-là, ô Pârtha, parvient à la Personne Suprême et Divine. »2 (BG, VIII, 8) ; S. Radhakrishnân, qui traduit ces versets, explique qu’ « une fois unis au Divin en nous, nous le sommes aussi avec l’évolution totale de la vie. »3 En quête de l’Absolu, l’homme réalise, à la fin de son parcours, ce qu’il perçoit au fond de son cœur, uploads/Philosophie/ les-valeurs-de-l-x27-humanisme-dans-la-pensee-iranienne-et-leur-portee.pdf

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