Essai sur le monde philosophique de l’enfant. Le dialogue Moi-Monde – Instance-
Essai sur le monde philosophique de l’enfant. Le dialogue Moi-Monde – Instance-Monde. Jacques Lévine, avec la collaboration de Geneviève Chambard et Michèle Sillam, 2004. 1 Essai sur le monde philosophique de l’enfant Le dialogue Moi-Monde - Instance-Monde1 Jacques Lévine Avec la collaboration de Geneviève Chambard et Michèle Sillam Ce dont il sera question dans la réflexion qui va suivre comporte un enjeu particulièrement important. Il s’agit de clarifier deux points : - Est-il pertinent de penser qu’il existe un domaine qui pourrait être appelé « le Monde philosophique de l’enfant » ? Ce domaine serait à la fois différent et semblable à celui de l’adulte, mais son existence impliquerait que dès leur plus jeune âge, les enfants pourraient être considérés comme « naturellement philosophes ». - À supposer qu’avec une telle hypothèse nous ne versions pas dans le mythe de l’enfant qui sait tout, ou dans l’utopie qui vient à bout de tout, y a-t-il une seule ou plusieurs voies d’accès à ce monde de la « philosophie naturelle » ? Y a-t-il une seule conception de ce présumé « monde philosophique » de l’enfant, ou parlons-nous de choses différentes quand nous l’évoquons ? Sur ces deux points, je réponds par l’affirmative. Oui, tout enfant est à sa façon un « praticien » de la philosophie. Oui, il y a place pour une pluralité de conceptions, notamment, à côté de celle de Lipman, celle que nous envisageons de défendre. Mais, avant de présenter mon point de vue, à savoir ce que nous entendons par Ateliers de Philosophie dans l’approche AGSAS (Association des Groupes de Soutien Au Soutien dite également Balint-enseignant ou Rencontres Pédagogie Psychanalyse pour la formation aux Relations de Médiation), je tiens à entamer mon propos par un hommage à Matthew Lipman. Car c’est lui le pionnier. Il lui revient l’honneur d’avoir ouvert la voie. Et peu importe le vocable qu’il a choisi pour désigner ce qu’il préconise : communauté de recherche, délibération avec les enfants à propos de préoccupations philosophiques, initiation à la pratique de la philosophie dès le plus jeune âge… L’essentiel est qu’il ait été le premier à demander que l’école n’en reste ni à son dédain pour la philosophie à l’école, ni à un vœu pieux, mais mette en place un programme précis. 1 Pour citer ce texte : Essai sur le monde philosophique de l’enfant. Le dialogue Moi-Monde – Instance-Monde. Jacques Lévine, avec la collaboration de Geneviève Chambard et Michèle Sillam. Intervention au Parlement de la Communauté française à Bruxelles, février 2004. Essai sur le monde philosophique de l’enfant. Le dialogue Moi-Monde – Instance-Monde. Jacques Lévine, avec la collaboration de Geneviève Chambard et Michèle Sillam, 2004. 2 Certes, d’autres, bien avant lui, avaient trouvé aberrant qu’on laisse en friche un capital psychique aussi précieux. Je pense à ce passage magnifique de Montaigne : « Puisque la philosophie est celle qui nous instruit à vivre et que l’enfance y a sa leçon comme les autres âges, pourquoi ne la lui communique-t-on pas ? On nous apprend à vivre quand la vie est passée. Certains écoliers ont pris la vérole avant que d’être arrivés à la leçon d’Aristote sur la tempérance. Ôtez de la dialectique toutes ces subtilités épineuses, les discours de la philosophie sont plus aisés à concevoir qu’un conte de Boccace. Un enfant en est capable, au partir de la nourrice, beaucoup mieux que d’apprendre à lire et écrire. On a grand tort de rendre la philosophie inaccessible aux enfants ». (Essai 1, 24, De l’instruction des enfants). Ce n’est probablement pas par hasard si l’initiative de Lipman a dû attendre 400 ans après Montaigne avant d’être formulée. Il a fallu que la parole de l’enfant soit mieux reconnue à la suite de toute une série d’effondrements qui sont en train de modifier la place de l’enfant dans notre société. Nous assistons à un processus d’autorité en panne, avec toutes sortes de décrochages parents/enfants, famille/société, élèves/enseignants… Dans ce contexte de déparentalisation, de désacralisation et de déliaisons multiples, les enfants ont besoin d’être encouragés à regarder en face les réalités qui les menacent, à pratiquer un parler à la fois vrai et responsable et à s’affilier à de nouvelles sources de force. Cependant, l’admiration ne doit pas faire taire les divergences et restreindre le droit à la critique. Lorsqu’en 1996, avec Agnès Pautard et Dominique Senore, nous avons commencé à décortiquer la procédure que propose Lipman, nous avons été décontenancés et, plus encore, lorsque par la suite, nous avons assisté à des démonstrations. Nous avons été très étonnés par la pluralité des objectifs que Lipman assigne aux séances. Il tient en effet : 1) à leur donner le support d’un texte (Harry, Elfie, Kio et Augustine…) qui a sa propre valeur narrative et sa propre attractivité ; 2) à faire suivre ce support de la « cueillette », c’est-à-dire choisir le problème à traiter issu de la lecture du texte, ce qui engage dans un second type d’attractivité ; 3) à organiser un débat dont on attend une initiation à la logique. Débat qui s’oriente dans des sens divers, à propos duquel l’adulte intervient beaucoup. Pour dire vrai, cela nous a paru compliqué. Bien sûr, nous comprenons le souci de transitionalité qui sous-tend cette démarche. Mais il y a là trois objectifs au lieu d’un seul, et il faut se demander s’ils ne comportent pas un risque d’éparpillement qui détournerait de la centration sur l’essentiel. De même, nous avons été surpris par la densité du discours de l’adulte, son souci d’intervenir pour redresser, corriger, transmettre, comme s’il doutait de la capacité de l’enfant à saisir les enjeux du débat. Or, à la différence de Lipman, nous avons eu très rapidement la conviction que l’enfant a besoin de faire une double expérience préalable : il a besoin de vivre pleinement le pouvoir de la pensée, et il a besoin de se centrer, autrement que sur un mode scolaire, sur la valeur des conceptions de l’existence que nous véhiculons. Essai sur le monde philosophique de l’enfant. Le dialogue Moi-Monde – Instance-Monde. Jacques Lévine, avec la collaboration de Geneviève Chambard et Michèle Sillam, 2004. 3 Alors que Lipman, après toutes sortes de détours, propose le raisonnement logique comme finalité, nous pensons que le point d’impact principal des Ateliers de Philosophie doit être la parole de l’enfant, en tant que miroir de sa façon de penser la vie, et cela, avec le minimum d’additions en provenance des adultes. Il ne s’agit pas d’obéir à une quelconque idéologie de la non directivité. Ce n’est pas parce que, depuis 1968, un certain nombre d’enseignants sont accusés de laxisme ou de confiance excessive dans les compétences naturelles de l’enfant, que nous devons rejeter tout ce qui procède de voies intermédiaires en matière de transmission. Il ne s’agit pas là d’un problème secondaire de méthodologie, mais d’un choix de finalité. Autrement dit, après avoir lu Lipman et mis au point notre propre méthode, dépassant une attitude triviale et stérile de concurrence, nous avons réalisé que nous étions en présence de deux façons de concevoir ce qu’on peut appeler « la naissance de la pensée philosophique des enfants ». Il y a deux approches la sienne et la nôtre, mais loin d’être incompatibles, elles peuvent et doivent être considérées comme complémentaires. Le problème devient alors celui de l’antériorité. Commence-t-on, dans les Ateliers de Philosophie, grâce à un cadre préalablement pensé et aménagé, par un travail de maïeutique, celui de l’enfant assistant à l’accouchement de sa propre pensée ou donne-t-on la première place à l’apprentissage de la logique ? Les enfants les plus jeunes sont-ils d’ailleurs en mesure d’accueillir un tel apprentissage à caractère abstrait ? Et ne risquent-ils pas d’être déstabilisés et démotivés si cet apprentissage dépasse leur possibilité d’assimilation ? Les théories cognitives les plus récentes nous montrent en effet qu’il existe trois sortes de traitement des informations dont l’ordre doit être respecté : le traitement perceptif de l’ordre du constat sensoriel, le traitement visuo-moteur où s’élabore l’acte, le traitement sous- conceptuel puis conceptuel. Michel Tozzi et Jean-Charles Pettier, qui se situent avec toutefois beaucoup de nuances dans la mouvance de Lipman, donnent eux aussi la priorité à la logique – apprendre à argumenter, problématiser, conceptualiser – et ils font de l’entraînement au débat l’objectif numéro un. Bien sûr, il serait stupide de s’opposer à ce qu’une pédagogie du « bien raisonner » prenne toute sa place, mais nous pensons qu’avant le débat, et pour qu’il soit possible, il faut le temps du « faire connaissance » avec ce qui donne matière et matériau au débat, c’est-à-dire l’étrange découverte que la vie est ce qu’elle est, que nos pensées et celles des autres sont ce qu’elles sont. Il nous faut donc donner le temps à cet étonnement premier, le rendre vivant et le faire retrouver. Il nous faut voir de quoi s’alimente l’appareil à penser, y compris dans son registre émotionnel et syncrétique, avant de l’étudier comme appareil à penser la pensée, donc sur un registre à prédominance intellectuelle, lequel registre a évidemment uploads/Philosophie/ levine-j-essaimondephilosophiqueenfant.pdf
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- Publié le Oct 08, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
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