Langue française A l'école de la clarté : la dissertation française Lucile Clém

Langue française A l'école de la clarté : la dissertation française Lucile Clément Citer ce document / Cite this document : Clément Lucile. A l'école de la clarté : la dissertation française. In: Langue française, n°75, 1987. La clarté française. pp. 22- 35; doi : 10.3406/lfr.1987.4663 http://www.persee.fr/doc/lfr_0023-8368_1987_num_75_1_4663 Document généré le 13/06/2016 Lucile Clément Université de Bruxelles A L'ÉCOLE DE LA CLARTÉ : LA DISSERTATION FRANÇAISE Selon certains spécialistes 1 : « La dissertation (...) est d'abord un exercice de composition sur une matière donnée par lequel on juge de la réflexion, du bon sens, de l'esprit du candidat bien plus que de ses connaissances. La clarté de la pensée se juge à la clarté du style; la logique de la réflexion s'estime à l'enchaînement [des] phrases et [des] paragraphes (...). Si [la] réflexion est logique, [le] jugement sain et [l'Jesprit sûr (...), la dissertation est aussi un exercice de réflexion. » Voici exposé en quelques mots ce qui constitue le problème essentiel de la dissertation : la clarté de la pensée et la clarté du style s'associeraient dans l'élaboration d'une réflexion personnelle; le résultat obtenu permettrait d'apprécier les qualités intellectuelles des étudiants. On attribue de grandes vertus à ce type d'exercice : la dissertation apprendrait à bien raisonner et à s'exprimer judicieusement, en faisant apprécier et la clarté d'une suite logique d'arguments et celle d'un style fluide et précis. Tous les manuels de dissertation consultés parlent de « clarté » lorsqu'ils traitent les problèmes de fond et de forme. Pour le fond, le premier point à considérer est la compréhension de la citation ou du sujet proposé : « Interpréter les données; comprendre le sujet. C'est ce qu'il y a 1. Nous reprenons à titre d'exemple les propos développés par Ph. Deschamps dans sa préface à l'ouvrage de M. Dassonville (1960), p. XII-xill. Tous les manuels consultés s'étendent longuement sur la question. Il est impossible de les citer tous; les deux exemples qui suivent, 0. Pecqueur (1961), p. 9, et M.J. Borel (1984), p. 7, montrent à quel point les spécialistes s'accordent sur les objectifs principaux de la dissertation : 1° « La dissertation réclame avant tout de la justesse dans les pensées, de la méthode dans le développement, de la liaison et de la proportion entre les parties, de la clarté dans l'expression. Elle proscrit particulièrement la prolixité, la futilité, l'abus d'une phraséologie creuse et banale, l'absence de conviction et d'émotion. 2° Le contrôle du discours argumenté exige un effort critique : — la pratique naturelle est spontanément floue et confuse, par manque d'attention au maniement des concepts - elle est spontanément amalgamante faute d'analyse - elle est dogmatique, par défaut d'argumentation (...) le contrôle se développe dans un sens normatif. » 22 de plus difficile », estime D. Huisman 2. R. Duřet 3 et D. Mornet 4 et quelques autres consacrent même un chapitre entier de leurs ouvrages au problème de l'interprétation de l'énoncé. Trop de mauvaises dissertations seraient dues selon eux à une compréhension erronée, partiale ou partielle du sujet. Les spécialistes expliquent le problème en ces termes : - Les candidats comprennent mal ou ils ne définissent pas assez clairement un mot simple dans sa forme mais chargé d'un sens complexe. — Ils discernent mal que le texte du sujet donné pose plusieurs problèmes, plus ou moins dépendants les uns des autres, et qu'ils doivent considérer l'ensemble du texte. - Alors que la plupart des sujets proposés sont aisément compréhensibles, pour peu qu'on prenne la peine d'y réfléchir, les erreurs sur la signification sont extrêmement fréquentes dans les examens, même dans ceux de l'enseignement supérieur. Et comment pourrait-on bien comprendre un sujet, si ce n'est en acquérant au préalable une bonne culture générale? Tous les auteurs de manuels insistent sur ce point et partagent l'avis de A. Chassang et C. Senninger 5 : « L'apprenti doit donc d'abord se cultiver : il ne doit pas se contenter de notions sommaires (...) Il serait peut-être plus honnête de dire qu'il n'y a pas de dissertation possible, qu'il n'y a aucun travail possible en français sans une culture doublée d'une pratique (...); que la sincérité, sans autre précision, est un mot qui n'a pas de grand sens (...) » Si bon nombre d'ouvrages considèrent l'interprétation du sujet, tous, sans exception, accordent une très large place à la clarté du plan 6 : — « Le souci d'être clair, le souci de ménager l'intérêt, le désir de convaincre exigent que les idées qui vous assaillent ne s'accumulent pas sur votre feuille comme elles vous viennent à l'esprit. » — « Toute dissertation doit être conçue comme allant de l'incertitude à la conviction, de l'obscur au clair, de l'évident au subtil. » - « Avant de se mettre à écrire sur un sujet donné, il importe de réfléchir ; en d'autres termes, il faut se faire un plan. Le plan doit comprendre et les idées que l'on a trouvées après mûre réflexion et l'ordre le plus convenable de disposition de ces mêmes idées : car, ce n'est pas tout d'avoir trouvé les idées à développer dans un sujet donné, elles doivent encore, sous peine de perdre en valeur et en intérêt, se suivre d'une façon logique et 2. D. Huisman (1954), p. 10, souligne à plusieurs reprises dans son ouvrage (voir aussi p. 15 et ss., p. 23 et ss.) à quel point le travail préliminaire de compréhension de la citation est important : « Commencez par vous assurer d'avoir bien compris le sujet », « Bien comprendre chacun des mots qui constituent le sujet » ou encore « Le principal défaut d'une dissertation étant l'incompréhension du sujet (défaut rhêdibitoire et dont la fréquence est extraordinaire, depuis le certificat d'études jusqu'au concours de l'École nationale d'Administration), le second est le manque de connaissances précises. » 3. Cf. R. Duret (1947), p. 11-24. 4. Cf. D. Mornet (1934), p. 119-124. 5. A. Chassang et Ch. Senninger (1972) exposent le problème dans une longue introduction, p. 9-35. 6. Les passages cités sont extraits des ouvrages de P. Desalmand et P. Tort (1977), p. 7, B. Gicquel (1979), p. 88 et Ch. Doutrepont (1951), p. 6. 23 naturelle, et se compléter les unes par les autres. Une fois le plan fait, les idées trouvées et leur enchaînement bien établi, on écrira avec moins de difficultés et d'efforts. » C'est en effet à la rigueur de l'argumentation, à la cohérence et à la mise en ordre des idées exposées, à l'expression d'un sentiment personnel que l'on juge l'aptitude qu'un étudiant a ou n'a pas de raisonner sur un problème. L'ordonnance générale des idées ne se pose même pas, parce qu'elle est imposée par une nécessité logique, un bon sens évident, pourvu que le sujet ait été bien compris. Aussi certains 7 estiment-ils que « si l'étudiant a bien compris le sujet proposé, l'intérêt du ou des problèmes secondaires entraînés par le ou les sujets principaux, la disposition des parties de sa dissertation lui deviendra extrêmement facile ». Or, il semble bien que le plan soit la pierre d'achoppement pour la plupart des candidats. Les étudiants classent mal leurs idées — pour autant qu'ils en aient —, les enchaînent en dépit du bon sens, et les professeurs ne savent plus par quel biais entamer la correction des copies. Si la plupart des manuels mentionnés sont en fait des collections de corrigés types de dissertations et de plans élaborés, c'est parce qu'il y a, de toute évidence, pour l'élève, des problèmes d'élaboration de plan. L. Bellenger et d'autres spécialistes 8 s'entendent à reconnaître que « l'élève peut traverser tout l'enseignement secondaire sans vraiment découvrir ce que l'on attend de lui et sans connaître les principes mêmes du jeu entre lui et le jury ou le maître » et B. Gicquel consacre d'ailleurs une partie de sa recherche à expliquer toutes les formes possibles d'un plan de dissertation 9. Ce problème ne date pas d'aujourd'hui puisqu'il est l'objet même d'anciens ouvrages consacrés à la dissertation et/ou à la composition, comme ceux de 0. Pecqueur et de M. Roustan. Il semble bien que nous puissions dire avec L. Bellenger 10 que « dès l'école, la question du plan est au centre de l'apprentissage de l'écriture. Le plan, une fois établi, serait cette clef magique donnant enfin le droit d'écrire ». Toutefois, si les auteurs de manuels parlent fréquemment de clarté lorsqu'ils traitent les problèmes de fond, ils en font encore plus souvent mention en traitant le problème du style n : « La clarté est une qualité fondamentale du style qui nous fait atteindre directement et sans peine la pensée à travers les mots et les phrases. Elle suppose surtout la correction, la propriété des termes sans l'abus des vocables exotiques ou techniques, enfin la netteté dans l'arrangement des mots. » 7. Nous avons repris à titre d\m 8. Cf. L. Bellenger (1981), p. 104. d'exemple l'opinion émise par D. Mornet (1939), p. 78. _. ... o_. v. .._-,, r- 104. Voir aussi à ce propos A. Chassang uploads/Philosophie/ ling-clement-l-a-l-x27-ecole-de-la-clarte-la-dissertation-francaise-1987 1 .pdf

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