De l’erreur Thèse pour le doctorat présentée à la faculté des lettres de Paris

De l’erreur Thèse pour le doctorat présentée à la faculté des lettres de Paris par Victor Brochard Ancien élève de l’École Normale Supérieure Agrégé de l’Université Professeur de philosophie au lycée de Nancy Alain.Blachair@ac-nancy-metz.fr Cliquez sur le lien ci-dessus pour signaler des erreurs. CHAPITRE I : Du problème de l’erreur. ...................................................................................1 PREMIÈRE PARTIE. ................................................................................................................7 CHAPITRE II : Théorie de Platon .........................................................................................7 CHAPITRE III : Théorie de Descartes.................................................................................21 CHAPITRE IV : Théorie de Spinoza. ..................................................................................34 DEUXIÈME PARTIE. .............................................................................................................46 Chapitre V : De la vérité.......................................................................................................46 Chapitre VI : De la croyance. ...............................................................................................60 Chapitre VII : De la nature de l’erreur. ................................................................................79 Chapitre VIII : Des conditions logiques de l’erreur. ............................................................85 Chapitre IX : Des causes psychologiques de l’erreur.........................................................100 Chapitre X : Du principe métaphysique de l’erreur. ..........................................................112 CHAPITRE XI : .................................................................................................................127 Victor Brochard – De l’erreur 1 A monsieur Paul Janet Membre de l’Institut Professeur à la faculté des lettres de Paris Hommage de reconnaissance et de respect CHAPITRE I : Du problème de l’erreur. [1] Les logiciens et les moralistes se sont souvent occupés des erreurs, les uns, pour en déterminer les diverses espèces et dresser la liste des sophismes ; les autres, pour découvrir dans la variété complexe sentiments et des passions, les influences qui faussent le jugement, et expliquer par les entraînements du cœur les égarements de l’esprit. A côté de ces questions, à coup sûr intéressantes et importantes, il y a place pour un autre problème à la fois logique et métaphysique. On peut se demander ce que l’erreur est en elle-même, comment elle est possible en des intelligences dont la fonction semble être de connaître la vérité, comment elle apparaît sous tant de formes diverses, tantôt partielle et comme dissimulée entre plusieurs vérités, tantôt générale et faussant, par la place qu’elle occupe, les vérités mêmes qui l’entourent ; presque toujours si étroitement unie à la vérité qu’elle peut à peine en être détachée par la plus minutieuse attention, et mêlée de vérité plus souvent encore quelle n’est mêlée à la vérité. La solution de ce problème est importante si on veut mesurer la portée de l’esprit humain. Le nombre et la fréquence de nos erreurs, l’impossibilité où nous sommes de les éviter, sont des arguments constamment invoqués par [2] les détracteurs de la raison. Qu’avec les sceptiques on condamne l’esprit sans le remplacer, ou que, comme les mystiques, on se défie de lui et qu’on l’écarte pour lui substituer les élans du sentiment, ou qu’enfin, à l’exemple des empiristes, on prétende l’enfermer dans un étroit domaine, celui de la science positive, en lui interdisant toute excursion qu’on déclare non-seulement dangereuse, mais impossible, c’est toujours l’exemple de ceux qui se sont trompés qu’on met en avant ; c’est toujours le spectre de l’erreur qu’on évoque. Pourtant, si de ce que les hommes se sont souvent trompés, on voulait conclure légitimement qu’ils se tromperont toujours, soit en toutes choses, soit dans un ordre particulier de connaissances, il faudrait avoir déterminé pourquoi ils se trompent, avoir établi que l’erreur dépend d’une cause permanente, que l’esprit humain, affligé d’un vice radical et incurable, est à jamais incapable de saisir la vérité. Est-il, comme disait Bacon, sans se préoccuper de la contradiction que sa doctrine renfermait, semblable à un miroir qui tord et défigure toutes les images qu’il reçoit ? – On doit résoudre cette question si on veut porter sur lui un jugement équitable ; il faut instruire son procès avant de le condamner ou de l’absoudre. Victor Brochard – De l’erreur 2 On peut dire qu’une solution de cette question est donnée par une théorie de la vérité et de la certitude, et qu’il n’y a point grand avantage à prendre les problèmes à revers au lieu de les aborder de face. – Toutefois, lorsqu’il est question de vérité et d’erreur, comme lorsqu’il s’agit du bien et du mal, toutes les obscurités ne sont pas levées une fois qu’on a considéré le côté positif du problème : il est nécessaire d’envisager aussi le côté négatif. L’erreur ne s’oppose pas à la vérité comme l’oubli au souvenir, ou l’ignorance à la science. L’oubli n’est que l’absence du souvenir : il est expliqué lorsqu’on sait pourquoi les causes qui produisent le souvenir ont cessé d’agir. Mais l’erreur [3] n’est pas seulement l’absence de la vérité ; elle n’est pas seulement une privation ou une négation. Du moins, c’est une question de savoir si elle ne contient rien de positif. Si elle est positive, il faut expliquer comment ce caractère peut être concilié avec la certitude. Il y a donc un problème de l’erreur, intimement uni, il est vrai, à celui de la certitude, car ce serait une bizarre tentative de chercher à connaître ce qu’est l’erreur sans savoir ce qu’est la vérité ; distinct pourtant de ce problème comme la réfutation d’une antithèse diffère de l’exposition d’une thèse. – Un partisan de l’optimisme qui ne se préoccuperait pas des objections tirées de l’existence du mal, attrait édifié sur le sable. De même une théorie de la certitude ne saurait être complète sans une théorie de l’erreur. Les philosophes sont loin d’être d’accord sur la question de savoir si la vérité peut être connue et si la certitude est accessible à l’homme. On peut ramener à deux les solutions principales que ce problème a reçues ; quelle que soit celle que l’on adopte, la question de l’erreur conserve toute son importance. A l’origine, le sens commun nous invite à considérer les choses et le monde sensible comme existant en dehors de nous, de telle sorte que nos idées en soient les images fidèles. Une telle conception pourtant, contredite par les erreurs des sens, si fréquentes, battue en brèche par l’expérience de chaque jour, ne peut se soutenir longtemps. Mais aussitôt la métaphysique la transporte du monde sensible dans le monde intelligible. Aux choses sensibles, décidément trop mobiles et trop insaisissables pour être l’objet de la vraie science, on substitue les « idées », comme dit Platon, les « essences objectives, comme disent Descartes et Spinoza. Mais si l’objet de la connaissance a changé, le mode de la connaissance est demeuré le même ; c’est par [4] une sorte de regard immédiat, par une intuition directe que la pensée découvre les essences intelligibles ; la connaissance vraie est toujours l’image fidèle de la réalité. Quelques-uns vont même plus loin : non-seulement la pensée voit les choses telles qu’elles sont, mais, puisque l’essence des choses est intelligible, elle s’identifie avec elles. Elle ne les voit plus du dehors, mais du dedans ; elle est au cœur de l’absolu. Malebranche, en soutenant la théorie de la vision en Dieu, est bien prés d’accepter cette conception. Spinoza l’adopte ouvertement : Victor Brochard – De l’erreur 3 la pensée adéquate de l’homme, identique à la pensée divine, ne se distingue pas de l’essence objective1. Mais qu’on identifie l’idée et l’objet, ou qu’on distingue deux choses, l’être et la pensée, l’idée, lorsqu’elle est vraie, est tellement conforme â l’être qu’il est inutile de l’en distinguer. « Le vrai, c’est l’être », dit Bossuet. – Dés lors, la certitude ne se distingue plus de la vérité. Ce serait mal la définir que de la considérer comme l’adhésion de l’âme à la vérité ; elle n’est autre chose que la connaissance même du vrai. Elle n’est pas un état subjectif de l’âme ; elle n’est pas une chose qui s’ajoute à l’idée vraie. Si l’âme est certaine, ce n’est pas en tant qu’elle est l’âme de tel ou tel, individuelle et déterminée, mais en tant qu’elle représente un objet et qu’elle fait partie de l’absolu. On peut être certain sans le savoir. L’âme ne décide pas d’elle-même si elle est certaine ou non ; elle n’a pas à chercher de critérium de certitude. Ce critérium n’existe pas : le vrai est à lui-même sa marque. – Notre langage, formé sous l’influence de ces idées, ne distingue pas entre le critérium de la vérité et le critérium de la certitude, et nous disons indifféremment que nous sommes certains ou qu’une chose est certaine. Quel nom donner à cette doctrine ? Idéaliste, elle l’est à [5] coup sûr ; mais bien d’autres, celle de Kant par exemple, le sont également. D’ailleurs, on pourrait avec autant de justesse l’appeler réaliste. Le nom de philosophie de l’intuition ne lui convient pas non plus, car pour quelques-uns de ses adeptes, tels que Spinoza, la connaissance est plus qu’une intuition : c’est comme une pénétration de l’objet par la pensée. On peut la désigner sous le nom d’intellectualisme, puisqu’elle explique tout ce qui est par la seule intelligence, et juge de l’être par les idées que nous en avons ; elle sera encore mieux caractérisée, semble-t-il, par le nom de dogmatisme métaphysique ; et ce nom peut convenir à toute doctrine suivant laquelle l’esprit humain aperçoit directement l’essence des choses en soi. Or, pour le dogmatisme métaphysique, quelle n’est pas l’importance du problème de l’erreur ? Comment ne pas être ébranlé dans la confiance illimitée qu’on accorde uploads/Philosophie/brochard-de-l-erreur.pdf

  • 12
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager