AVR 1 9 197A fIC' JULIEN BENDA Le Bemsonisme ou fne Philosophie de la Mobilité

AVR 1 9 197A fIC' JULIEN BENDA Le Bemsonisme ou fne Philosophie de la Mobilité Contentez- vous de croire, ne vous mêlez pas de connaître. {Épîire de Julien l'Apostat aux Chrétiens.) DEUXIEME EDITION PARIS MERCYRE DE FRANCE XXVI, RVE DE CONDÉ, XXVI B\6U0-Ï« > ttave*^^^ ^^bà>,^ JUSTIFICATION DU TIRAGE 1,618 Nous considérerons ici la philosophie de M. Bergson dans la prétention très nette qu'elle a d'être une doctrine, particulièrement en cela qu'elle propose un biii-, qu'elle enseigne une mé- ihode, qu'elle présente des résultais. Nous lais- serons de la considérer — avec certains admi- rateurs modestes ou prudents, mais qui cer- tainement là-dessus n'ont point consulté le Maître— comme un simple « excitateur d'idées» exempt de prétention dogmatique, ou comme l'humble expression d'une « tendance », ou en- core comme une de ces œuvres de « littérature philosophique » dont on trahit les idées en les séparant du mouvement qui les porte. Aussi bien n'est-ce comme rien de tout cela, mais bien comme une doctrine, — et de quelle importance ! rien moins qu'une « ère nouvelle de la Philo- 1. LE BERGSONISME Sophie », une « rénovation intégrale des mé- thodes de l'esprit », un « remaniement complet du système entier de la connaissance », — que cette œuvre est saluée par un nombre de per- sonnes croissant de jour en jour, dont cer- taines sont prises au sérieux (i). (1) Il ne faut pas que l'appareil littéraire nous donne le change sur la nature de l'œuvre : il ne s'agit point ici, comme chez un Nietzsche ou un Renan, d'un mouvement émotionnel ou littéraire au cours duquel se ti'ouvent, par occasion, des idées philosophiques; il s'agit d'idées philo- sophiques, sujet même de l'œuvre, qu'on arrange ensuite en mouvement. Ce n'est point de la littérature qui contient de la philosophie, c'est de la philosophie sur quoi on a posé de la littérature. Aussi bien les images ne sont-elles point l'effet d'un primordial et impérieux besoin visionnaire, comme chez un Hugo ou une Noailles; elles sont là à titre pédagogique, très visiblement posées après coup et pour mieux faire comprendre une idée, comme chez un Taine, chez un Guyau ou un Jaurès. Il ne faut pas non plus que les restrictions que fait M. Bergson sur la portée de son œuvre nous en dissimu- lent la prétention nettement dogmatique. « A la différence des systèmes proprement dits, nous dit-il, dont chacun fut l'œuvre d'un homme de génie et se présenta comme un bloc, à prendre ou à laisser, cette philosophie ne pourra se con- stituer que par l'effort collectif progressif de bien des penseurs... Aussi le présent essai ne vise-t-il pas à résoudre tout d'un coup les plus grands problèmes. 11 voudrait sim- plement définir la méthode et faire entrevoir sur quelques points essentiels la possibilité de l'appliquer. » {Evolution créatrice, Int., p. VII.) L'auteur entend donc définir une mé- thode (pour résoudre « les plus grands problèmes ») et point du tout philosopher en dilettante ou épancher son àme : nous ne lui en faisons pas dire davantage. (Voira la fin du volume la note A sur les idées et émotions philosophiques.^ LE BUT Le but de cette philosophie est clair. Voici ce qu'on pourrait appeler l'exposé des motifs : on reconnaîtra les expressions mêmes de M. Berg- son. (Voir au surplus un véritable formulaire dans Matière et mémoire, pp. 207 sqq, et dans YIntroduction à la métaphysique, pp. 26 sqq.) (1). 1. Les « états », les choses « toutes faites », les phénomènes « identiques à eux-mêmes » pen- dant un certain temps, sont des fictions de l'Intel- ligence. La réalité est « incessante mobilité » (2). (1) C'est à remarquer que ceux qui nous reprocheront de mettre en forme une philosophie « essentiellement infor- mulable « n'arrêtent pas d'en faire autant. « Le Bergso- nisme, dit M. G. Rageot [Revue philosophique, juillet 1907), par sa nature même est insaisissable. » Seulement le même auteur, au moment où il dit cela, vient de consacrer dix pages à exposer ce que c'est que \'Évolution créatrice. Le Bergsonisme ne se déclare « insaisissable » qu'à ceux qui le discutent. (2) On s'étonnera peut-être de trouver souvent ici le con- LE BERGSONISME 2. Cette mobilité, la Science en tant qu'in- tellectuelle (rationalisme) ne l'atteint pas. Elle rapproche des « états », elle divise le « tout fait » en tout petits morceaux et n'atteint pas pour cela le « se faisant ». Spencer, par exemple, di- vise l'évolué en fragments plus petits qui sont toujours de l'évolué et croit avoir atteint le « principe de l'évolution » , « ce qui évolue » ! {Evo- lution créatrice, 177, 894, 898, passim.) Com- ment d'ailleurs la science intellectuelle atten- drait-elle la mobilité ? L'Intelligence n'est propre à connaître que de l'immobile, que de l'arrêt; le mobile n'est pas de son ressort, et avec des arrêts combinés à l'infini on ne fera jamais de la mobilité. 3. Atteindre la mobilité, tel est le but de la présente philosophie (1). tenu de nombreuses pages de M. Bergson exprimé en quelques lignes... M. Bergson dit la même chose de très nombreuses fois : il est professeur. (1) Nous retenons ici de l'œuvre de M. Bergson ce par quoi elle veut être une « philosophie », c'est-à-dire un ensei- gnement d'ordre hautement général; nous laissons de côté pour l'instant des études d'ordre particulier, comme la théo- rie de l'intensité, la critique du parallélisme psycho-physio- logique ou la théorie de la sélection des images. Aussi bien n'est-ce pas ces études — peu littéraires, peu « amu- santes », presque objectives — qui font la gloire de M. Bergson ni son action. On peut se demander si tel grand pontife de la doctrine les a seulement lues. (Sur la cri- tique du parallélisme psycho-physiologique voir la note B.) LE BUT Ce programme appelle tout de suite quelques observations : 1° Du reproche fait aux rationalistes. Que les rationalistes n'aient point atteint le « mou- vement d'évolution en lui-même », ni le « prin- cipe de ce qui évolue », etc., rien de plus vrai ; seulement, ce qui n'est pas moins vrai, et ce que l'on omet de dire, c'est qu'ils n'ont jamais pré- tendu l'atteindre ; bien mieux ! c'est que le rejet de ces sortes de spéculations est l'essence même de leur philosophie. (Qu'on trouve cette philo- sophie, en raison même de ce rejet, pauvre, plate, « insuffisante aux besoins de l'âme, » etc., c'est une autre affaire. ) Demander raison à Spencer du titre d' « évolutionnisrae » qu'il donne à sa doctrine, l'accuser {Evolution créa- trice, p. SgS) d'avoir promis V « évolution », le « devenir », qu'en effet il n'a point donnés, c'est en bon polémiste (encore qu'un peu épais) pro- fiter de l'équivoque des mots et se plaire à mé- connaître le sens parfaitement net que l'auteur leur a donné et par la définition de son pro- gramme et par toute son œuvre. Ce que Spencer a voulu, ce qu'il a voulu exclusivement, c'est. 10 LE BERGSOXISME étant donné des états successifs et différents, considérés franchement comme états et posés comme effets d'une force qii^on n interrogera pas, caractériser les différences de ces états. (Que la caractérisation qu'il en a donnée soit inexacte, simpliste, arbitraire, etc., c'est encore une autre question. Il faut prévoirions les dé- placements de question avec nos adversaires.) Prétendre qu'il ait voulu donner une théorie de rÉvolution en tant que mouvement, une théorie [Év. créât., ibid.) « où le changement devien- drait enfin la substance même des choses » ; pré- tendre même que, sans l'avouer, sans se l'avouer, il l'ait subrepticement tenté, c'est ce que ne sau- rait faire aucun lecteur honnête (i). On admire au contraire, quand on relit ce philosophe après les pointes de M. Bergson, sa cohésion avec soi- même, soit sa fidélité à la platitude qu'il annonce et son attention à ne point dévier dans ce penser métaphysique qu'il avait — non peut-être sans résignation — décidé de bannir. — Quant à ce qui (1) Qu'on prenne par exemple, dans les Principes de Biolo- gie, l'Essai d'une définition de la Vie et les chapitres sur la Croissance, sur le Développement, sur l'Adaptation, sur la Variation et qu'on dise s'il s'y trouve autre chose qu'une volonté de caractériser les choses ayant changé; qu'on dise s'il s'y trouve la moindre tentative d'atteindre les choses e/i train de changer. Il est de faire consister une théorie de T Évolution dans une simple caractérisation de différences d'états, nous verrons plus loin si M. Bergson, dans la mesure où il a rendu compte de quelque chose touchant l'Evolution, a fait autre chose (i). Un autre reproche fait par M. Bergson aux évolutionnistes, c'est que ces philosophes, se proposant de montrer la formation de l'Intelli- gence, commencent par se la donner loiile for- mée du fait qu'ils commencent par poser le monde comme un ensemble d' « objets », de « choses », de « faits », uploads/Philosophie/ julien-benda-le-bergsonisme-ou-une-philosophie-de-la-mobilite.pdf

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