2021/10/28 下午9:50 Littérature française moderne et contemporaine : histoire, cr
2021/10/28 下午9:50 Littérature française moderne et contemporaine : histoire, critique, théorie https://journals.openedition.org/annuaire-cdf/111#article-111 1/15 L’annuaire du Collège de France Cours et travaux 108 | 2008 Annuaire du Collège de France 2007-2008 Résumé des cours et travaux 108e année III. Sciences historiques, philologiques et archéologiques Littérature française moderne et contemporaine : histoire, critique, théorie Antoine Compagnon p. 723-739 https://doi.org/10.4000/annuaire-cdf.111 Entrées d’index Chaires : Littérature française moderne et contemporaine : histoire critique théorie | Antoine Compagnon Texte intégral Cours : Morales de Proust Le cours a porté sur l’œuvre de Proust pour une deuxième année consécutive, mais, après « Proust : Mémoire de la littérature » en 2006-2007, sur un sujet nouveau et tout autre, « Morales de Proust », sujet risqué des deux côtés : du côté de la morale, car celle-ci a été longtemps tenue pour hors-jeu dans les études littéraires, et du côté de Proust, car celui-ci a été longtemps tenu pour immoral ou amoral par la critique. Une double justification préalable fut donc nécessaire. 1 2021/10/28 下午9:50 Littérature française moderne et contemporaine : histoire, critique, théorie https://journals.openedition.org/annuaire-cdf/111#article-111 2/15 Morale et littérature À la veille du premier cours, un correspondant me rappela, pour s’étonner du titre de l’année et pour y relever une inconséquence, que Le Démon de la théorie, publié il y a dix ans (1998), se terminait par cette proposition : « La perplexité est la seule morale littéraire ». À l’époque, c’était une manière d’écarter un sujet qui n’avait pas été traité dans ce livre en réfutant toute récupération édifiante de la littérature, mais c’était aussi la preuve que la question se posait, qu’elle était ouverte, mais qu’on restait sur le seuil, qu’on ne le franchirait pas, ne se risquerait pas au-delà. La perplexité, le doute, l’irrésolution, le scepticisme étaient donnés comme les seules morales littéraires possibles, par opposition à toute forme de certitude morale, d’assurance éthique, existentielle ou ontologique que pourrait procurer la lecture. La littérature ouvre à la perplexité morale — la complication, l’embarras —, elle détruit les certitudes morales au lieu d’en donner ou de les consolider. Elle désillusionne et déniaise. 2 Mais dans La Littérature, pour quoi faire ?, la leçon inaugurale de la chaire donnée l’an dernier, j’observais un tournant des études littéraires vers les usages et les pouvoirs de la littérature, vers la littérature comme action, et vers la critique comme pragmatique de la littérature. Plutôt que d’un tournant, il pourrait s’agir d’un revirement, d’un reniement ou même d’une trahison, pour un homme de ma génération grandi hors de la critique éthique et longtemps très éloigné d’elle. 3 Après la théorie et l’histoire, serait ainsi venu le temps de la critique, c’est-à-dire de la réflexion sur les valeurs créées et transmises par la littérature. Plusieurs explications peuvent être données de cet infléchissement, personnelles et collectives, ces deux ordres étant d’ailleurs solidaires et indémêlables : on croyait être original ; on s’aperçoit qu’on a tout juste été typique. 4 Le passage à l’éthique est un signe de l’âge, comme Stendhal commençait la Vie de Henry Brulard par ces mots : « Je vais avoir cinquante ans, il serait bien temps de me connaître. Qu’ai-je été ? Que suis-je ? En vérité, je serais bien embarrassé de le dire. » Un tournant moral engage un retour à soi. Mon attitude envers la littérature a changé. On a longtemps pu se passer de poser des questions morales — en tout cas expressément morales — à la littérature. On a longtemps cru qu’elle nous rendait plus intelligents, non meilleurs. À présent je me dis que si ce qu’elle pouvait, c’était nous rendre meilleurs, ou moins mauvais, ce serait suffisant. 5 Mais c’est aussi un signe des temps : un « tournant éthique » a eu lieu dans les études littéraires au cours des années 1990. Le « sujet », aux deux sens du terme, s’était absenté de ces études depuis les années 1960 ou 1970 ; il était démodé ou disqualifié au temps de ma formation : dans Critique et vérité, par exemple, Roland Barthes s’élevait contre la morale défendue par l’ancienne critique, ses normes implicites, ses interdits bourgeois. La nouvelle critique ignorait la psychologie des personnages au même titre que la biographie des auteurs, et elle réprouvait l’identification et l’empathie : un même discrédit frappait biographie et psychologie, histoire littéraire et morale littéraire, comme les deux faces, le recto et le verso, de l’ancienne critique. La critique éthique était bourgeoise, idéologique, moins morale que moraliste ou moralisatrice, aliénante et aliénée : pensez-vous, la littérature nous rend meilleurs ! Quelle « moraline », suivant le mot de Nietzsche. On ne fait pas de littérature avec des bons sentiments, aurait dit Gide selon la rumeur. La littérature, c’est la souveraineté de la transgression, c’est l’expérience des limites. Hostiles à l’humanisme, on se situait aussi après l’existentialisme et le marxisme, qui tous deux impliquaient encore une éthique, fût-ce une autre éthique : une politique de la littérature et une morale de l’engagement. On s’opposait autant à l’usage public et social qu’à l’usage privé et intime de la littérature. Le structuralisme et le poststructuralisme tournaient le dos à l’éthique comme à la politique. 6 Ma génération a donc été élevée, dressée contre la lecture éthique ou morale de la littérature, contre une vision de la littérature occidentale comme création et transmission de valeurs, vision commune depuis Aristote, qui rattachait la fonction de la littérature à 7 2021/10/28 下午9:50 Littérature française moderne et contemporaine : histoire, critique, théorie https://journals.openedition.org/annuaire-cdf/111#article-111 3/15 son sens moral et qui définissait la catharsis — la purification ou purgation des passions et émotions, pour le dire vite — comme un bienfait de la littérature, en l’occurrence de la tragédie. La portée ou la valeur morale de la littérature relevait d’une tradition dont il était temps de se débarrasser : l’idée humaniste, perpétuée jusqu’au milieu du xxe siècle, qu’on vit mieux avec la littérature. La fonction éthique de la littérature était déniée par la plupart des théoriciens : il y avait une illusion éthique auprès des autres illusions, biographique, référentielle et expressive. Plus platoniciens qu’aristotéliciens — la Poétique d’Aristote était restreinte à ses considérations formelles —, on se méfiait des arts, qui rendent plus sensibles et non moins sensibles, et on les condamnait comme des manipulations. Le théâtre de Brecht cherchait à empêcher la résolution cathartique des émotions, et la catharsis était vue comme un dispositif bourgeois. 8 Ainsi l’éthique fut absente aux grandes heures de la théorie. On n’en parlait pas ou on la réprouvait. Mais la lecture morale de la littérature survivait de manière souterraine, un peu comme la religion dans les catacombes. À l’école, dans les cours de français : on les dit aujourd’hui compromis par la pédagogie formaliste, mais on n’a probablement jamais cessé de lire les fables de La Fontaine pour la morale. L’éthique n’avait pas vraiment disparu, même si elle restait implicite. La rhétorique, revenue à la mode et qui définissait l’orateur par sa moralité comme vir bonus bene dicendi peritus, permettait de passer à l’éthique, même si, des trois livres d’Aristote — message, ethos et pathos —, on insistait sur le premier au détriment des deux autres. L’interdit éthique n’était donc pas si contraignant que cela, et il ne s’imposait qu’à ceux qui le voulaient bien. 9 Et il ne fut qu’une parenthèse vite refermée. Avant elle, du temps de l’existentialisme et du marxisme, voici comment Barthes lui-même, dans Le Degré zéro de l’écriture, définissait cette dernière : « L’écriture est donc essentiellement la morale de la forme ». La liberté et la responsabilité de l’écrivain étaient engagées dans le choix — éthique, politique — d’une écriture plus ou moins bourgeoise ou neutre. Après la parenthèse, au Collège de France, les cours de Barthes étaient déjà marqués par le retour de l’éthique, ou du « souci de soi » comme disait Foucault : « Vivre ensemble », ainsi s’intitula son premier cours. Sa conférence « Proust et moi » proposait sous ce titre non pas une comparaison, mais une identification fondée sur l’usage moral du livre Proust pour se connaître soi-même. 10 Au reste, une réaction éthique à la littérature est ordinaire et inéluctable : quand je lis un roman ou un drame, je m’intéresse aux conflits moraux qui se posent aux héros, à leurs dilemmes existentiels, aux choix auxquels la vie – vie fictive – les soumet : Phèdre dénoncera-t-elle Hippolyte ? Avec quelles conséquences ? Je les approuve ou bien je les condamne ; en tout cas je les juge. La lecture est une expérience, une expérimentation et une épreuve morale. Le narrateur de la Recherche du temps perdu le sait bien, qui éprouve souvent le besoin de se justifier à nous, ses lecteurs, de ses actions, de ses mensonges, de son indifférence, de son voyeurisme ou de ses déloyautés. 11 Nos habitudes de lecture sont héritées de la tradition morale depuis Aristote. Nous abordons la littérature avec un préjugé — une précompréhension herméneutique — en faveur de son interprétation morale, et de morale à moralisante ou uploads/Philosophie/ litterature-francaise-moderne-et-contemporaine-histoire-critique-theorie.pdf
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- Publié le Nov 02, 2022
- Catégorie Philosophy / Philo...
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