Recherches féministes Volume 22, numéro 1, 2009, p. 5-25 L'écologie Sous la dir
Recherches féministes Volume 22, numéro 1, 2009, p. 5-25 L'écologie Sous la direction de Liette Vasseur Direction : Estelle Lebel (directeur) Rédaction : Estelle Lebel (rédacteur en chef) Éditeur : Revue Recherches féministes ISSN : 0838-4479 (imprimé) 1705-9240 (numérique) DOI : 10.7202/037793ar < Précédent Suivant > Article L’écoféminisme : une pensée féministe de la nature et de la société[1] Anne-Line Gandon Résumé L’écoféminisme, terme issu de la contraction des mots « écologie » et « féminisme », a été introduit par Françoise d’Eaubonne en 1972. Selon la thèse essentielle de l’écoféminisme, les femmes comme la nature sont victimes de la domination masculine. Ainsi, aucune révolution écologique ne saurait faire l’économie d’une révolution féministe qui, elle seule, peut apporter un remède au système de domination des hommes sur la nature et les femmes. L’écoféminisme a ensuite été repris par des féministes anglo- saxonnes qui lui ont donné un relief politique et en ont fait un outil de revendication sociale. Abstract Ecofeminism as a melting of ecology and feminism, was first introduced by Françoise d’Eaubonne in 1972. According to the essential thesis of ecofeminism women and nature are both victims of the men domination. Then, any ecological revolution could not be achieved without a previous feminist revolution insofar as feminism is the only solution to the men domination on nature and women. Ecofeminism was then improved by Anglo-saxon feminists who added to it a politic facet and let it become a tool of the social claim. Je suis une maudite Sauvagesse. Je suis très fière quand, aujourd’hui, je m’entends traiter de Sauvagesse. Quand j’entends le Blanc prononcer ce mot, je comprends qu’il me redit sans cesse que je suis une vraie Indienne et que c’est moi la première { avoir vécu dans le bois… Or toute chose qui vit dans le bois correspond à la vie meilleure. Puisse le Blanc me toujours traiter de Sauvagesse. An Antane Kapesh[2] 1 C’est dans l’ouvrage de Françoise d’Eaubonne, Le féminisme (1972), que l’on trouve pour la première fois la contraction inédite de l’écologie et du féminisme dans le terme « écoféminisme ». Contraction aussi de deux pensées dont l’écrivaine se réclame, soit celles de Serge Moscovici (La société contre nature, 1972) et de Simone de Beauvoir (Le deuxième sexe, 1949) dont elle a été l’amie et après sa mort, la biographe (Une femme nommée Castor (1986)).L’écoféminisme de Françoise d’Eaubonne soutient que la révolution féministe est nécessaire à la révolution écologique, puisque c’est la domination des hommes sur les femmes et la nature qui fait la crise environnementale qui se résume, selon elle, en deux fléaux, soit la surpopulation et l’agriculture intensive. 2 Ainsi, l’écoféminisme prend le risque d’assimiler les femmes à la nature, mais pour mieux dénoncer la domination masculine. En effet, De Beauvoir (1949) n’a réussi { penser l’émancipation féminine qu’au regard d’une émancipation { l’égard de la nature. Or, ce modèle d’émancipation, sous couvert de neutralité, est masculin (Rodgers 1998; Gothlin 2001). Il faudra attendre Nicole-Claude Mathieu (1973) pour que cette neutralité soit démasquée.De nombreuses philosophes anglo-saxonnes, comme Mary Mellor, Carolyn Merchant, Val Plumwood, Ariel Salleh, Karren Warren, mais aussi l’Indienne Vandana Shiva[3], ont repris le terme « écoféminisme » pour mettre en lien la relation qu’il y a entre l’exploitation et la domination de la nature par les hommes ainsi que l’exploitation et l’oppression des femmes par les hommes. Ces analyses politiques et économiques vont se doubler d’une réinvention du spirituel ou d’une réinterprétation du religieux, ou des deux à la fois, où, là aussi, la suprématie de l’homme sur les femmes et la nature est de rigueur.En partant des racines françaises de l’écoféminisme, nous verrons comment les féministes anglo-saxonnes sont parvenues à faire de l’écoféminisme une pensée capable de relever les grands défis écologiques, économiques et éthiques contemporains. La genèse de l’écoféminisme Les sources 3 Nous commencerons par l’exploration de la pensée princeps de l’écoféminisme que nous attribuons { D’Eaubonne, comme le font par ailleurs Mellor (1997) ainsi que Mies et Shiva (1993). D’Eaubonne (1974) tente de faire la synthèse de deux pensées, soit le féminisme de Simone de Beauvoir et l’écologisme politique de Moscovici (1972, 1977, 2002). La pensée de Simone de Beauvoir 4 D’Eaubonne reprend l’analyse de Simone de Beauvoir dans la mesure où la première reprend l’accusation que la seconde porte contre l’essentialisation des rôles sociaux accordés aux hommes et aux femmes, et la naturalisation du rapport de domination des hommes sur les femmes. Nous insistons bien sur cette remise en cause de l’essentialisme dans la mesure où elle est la principale critique formulée par certaines féministes { l’encontre de l’écoféminisme. Sturgeon (1997) fait une synthèse audacieuse de ce débat. 5 De Beauvoir (1949) rend tout à fait incompatible la société et la nature, renvoyant très distinctement la première à la transcendance et { la liberté, et donc l’émancipation, et la seconde { l’immanence et à la contrainte (Rodgers 1998; Gothlin 2001). Pour De Beauvoir, la seule échappatoire possible pour les femmes est de s’émanciper de l’immanence dans laquelle la société patriarcale les a cantonnées. Immanence qui comprend pour elle l’enfantement et l’ensemble des tâches domestiques que les hommes ont « confiées » aux femmes, naturellement, dans la suite logique de leur rôle, naturel, de mère. De Beauvoir ne remet pas en question le caractère dit naturel de la maternité, confondant ainsi la capacité physique des femmes à mettre les enfants au monde et le fait d’être mère. Pour De Beauvoir, il ne peut donc y avoir de liberté que contre-nature, et ne pas avoir d’enfants pour une femme l’est. 6 De plus, De Beauvoir croyait fortement à la nécessité pour les femmes d’être indépendantes économiquement. Elle les encourage donc à développer cette capacité à transcender leur état de nature, et ce, sur le modèle masculin, c’est-à-dire travailler à transformer la nature et en tirer une rémunération.L’émancipation des femmes selon De Beauvoir n’est possible que par le travail sur la nature afin qu’elles puissent la transcender et non plus la subir comme elles le font par l’entremise de l’enfantement, exigence instinctuelle de l’espèce. Elle ne se méfie pas de ces concepts (nature, immanence et transcendance) construits socialement et donc potentiellement androcentrés. La pensée de Serge Moscovici 7 Cette analyse de Simone de Beauvoir, D’Eaubonne va la mettre en perspective avec la déconstruction de la notion de nature proposée par Moscovici (1972, 1977). Ce dernier est reconnu par D’Eaubonne comme celui qui est { l’origine de la pensée écoféministe. Elle écrit que, pour Moscovici, l’égalité des sexes « répond à un besoin de justice et à un voeu de coeurs; elle ne se fonde pas sur une théorie analytique, une démarche scientifique de l’esprit » (D’Eaubonne 1974 : 9). Cette filiation entre Moscovici et l’écoféminisme est aussi reconnue par Ferry (1992) et Dibie (2002).Moscovici soutient que la nature n’existe pas en elle-même, elle est une construction sociale. Elle n’existe ni en dehors de la société ni au-del{ de l’action que l’être humain a sur elle : « il n’y a pas de rapport de l’homme à son milieu qui ne résulte de l’initiative humaine, non qu’il l’ait engendré, mais parce que l’homme s’est constitué ce qu’il est physiologiquement, psychiquement, socialement, en l’engendrant » (Moscovici 1972 : 12). Ainsi, l’être humain n’est pas en dehors de la nature, ni même le maître et le possesseur, il en est le produit, il est le « créateur et sujet de son état de nature » (Moscovici 1977 : 20) : il n’y a donc ni nature authentiquement naturelle ni société authentiquement culturelle. Moscovici dénonce l’abus que l’on fait de la nature dans la sphère sociale. Selon lui, la nature ne porte pas en soi les inégalités sociales, car c’est bien la société qui crée les inégalités (Moscovici 1972 : 37) : Les rapports entre les hommes et les femmes, entre générations et entre sociétés, le contrat social, les pratiques cynégétiques, la guerre ou le mariage sont décrits comme des effets de la sélection naturelle, qui passe pour être le principe explicatif de tout ce qui arrive là où il y a des êtres vivants – le zoomorphisme remplace l’anthropocentrisme comme cadre de pensée. 8 De plus, Moscovici mentionne que l’être humain est un produit de la nature, que les facultés intellectuelles et les transformations physiques que l’espèce humaine a connues sont issues des interactions entre la nature et le corps humain et qu’elles sont dues { celles-ci. Ainsi, Moscovici (1972 : 140) affirme que « l’art d’un homme devient toujours la nature d’un autre homme ». Toutefois, les hommes et les femmes ne jouissent pas de la même autodétermination. Si l’homme est bien son propre produit, la femme ne l’est pas (Denis 1974 : 1925) : « l’homme est son propre produit, mais pour s’autoproduire, il a fabriqué du produit autour, du paysage de fond, de la matière de base. Nous les femmes, nous sommes produites mais non auto-produites, nous sommes de la matière d’échange, de la provision et peut-être aussi de la limite. » Les femmes font partie de la nature uploads/Philosophie/ recherches-feministes.pdf
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- Publié le Oct 24, 2022
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