25/03/2019 LUCIEN GOLDMANN : le pari socialiste d'un marxiste pascalien https:/

25/03/2019 LUCIEN GOLDMANN : le pari socialiste d'un marxiste pascalien https://www.mediapart.fr/tools/print/251662 1/13 LUCIEN GOLDMANN : le pari socialiste d'un marxiste pascalien 6 nov. 2012 Par Michael Lowy - Mediapart.fr LUCIEN GOLDMANN Le pari socialiste d’un marxiste pascalien Michael Löwy Lucien Goldmann (1913-1970) est un des plus importants réprésentants du courant humaniste et historiciste du marxisme au 20ème siècle. Ses travaux de philosophie et sociologie de la culture - notamment Le Dieu caché (1955), étude novatrice de la vision tragique du monde chez Pascal et Racine - sont fortement marqués par l’influence du Lukacs de Histoire et Conscience de Classe et s’opposent radicalement aux lectures positivistes ou structuralistes du marxisme. Juif roumain établi en France depuis les années 1930, Goldmann se réclamait d’un socialisme autogestionnaire, critique aussi bien de la social- démocratie que du stalinisme. Ce n’est que récemment, grâce à la biographie rédigée par un chercheur nord-américain, Mitchell Cohen, The Wager of Lucien Goldmann (Princeton University Press, 1994) qu’on connaît le parcours roumain de Goldmann, avant son arrivée à Paris : né en 1913 à Bucharest, le jeune Lucian vivait avec sa famille juive dans la petite ville de Botosani en Moldavie. Encore lycéen, il adhére à l’Hashomer Hatzaïr (« Le Jeune Garde »), un grand mouvement de jeunesse sioniste de gauche, qu’il va quitter quelques années plus tard pour devenir militant (ou sympathisant, on ne le sait pas) de l’Union de la Jeunesse Communiste, organisation clandestine en Roumaine. C’est à cette époque (1934) qu’il publie, dans une revue proche des communistes, son premier article, une étude marxiste de la vision tragique du monde chez N.D.Cocea - l’écrivain roumain Nicolae Dumitru Cocea (1880-1949) - et Karl Kraus. Exclu des rangs communistes comme « trotskyste » il part peu après pour Vienne et ensuite Paris où il arrive vers 1934. [1] Refugié en Suisse pendant l’occupation nazie, il présente sa thèse de doctorat sur La Communauté humaine et l’univers chez Kant à l’Université de Zurich ; elle sera publiée en allemand en 1945 et en français en 1948. Revenu en France à la fin de la guerre, il sera admis comme chercheur au CNRS. Un résumé de ses conceptions sociologiques iconoclastes apparaîtra en 1952 sous le titre Sciences Humaines et Philosophie. Mais c’est la publication de sa thèse de doctorat d’Etat, Le Dieu caché, étude sur la vision tragique dans les ‘Pensées’ de Pascal et le théâtre de Racine en 1955 qui le rendra connu. En 1959 paraît un important recueil de ses essais, Recherches Dialectiques ; cette même année il sera élu directeur d’Etudes à l’Ecole Pratique de Hautes Etudes, Sixième Section (la future EHESS). Goldmann a publié un 25/03/2019 LUCIEN GOLDMANN : le pari socialiste d'un marxiste pascalien https://www.mediapart.fr/tools/print/251662 2/13 livre sur la sociologie du roman en 1964, mais il avait une nette préférence pour la forme de l’essai ; deux autres recueils paraîtront vers 1970 : Structures mentales et création culturelle et Marxisme et sciences humaines. Militant du Parti Socialiste Unifié, Goldmann participe activement au mouvement de Mai 68. La mort va interrompre, en 1970, un parcours intellectuel singulier et peu conforme aux tendances dominantes du marxisme e/ou des sciences sociales en France. Tandis qu'aux USA et en Amérique Latine sa pensée et son oeuvre continuent à susciter un très vif intérêt, un étrange oubli semble l'avoir enseveli en France.[2] Il est vrai qu'il s'agit d'une sociologie en rupture totale avec la tradition dominante des sciences sociales françaises, qui va d'Auguste Comte à Claude Levi-Strauss et Louis Althusser, en passant par Emile Durkheim. Mais, d'autre part, par sa ré-interprétation de Pascal, elle n'est pas moins héritière d'un courant dissident de la culture française moderne. On connaît l’hegélo-marxisme, le marxisme kantien et le marxisme wébérien ; mais le concept de marxisme pascalien est inconnu dans les histoires du marxisme. Or, il me semble qu’il convient tout à fait à l’auteur du Dieu Caché. Certes, plusieurs marxistes se sont interessés à Pascal ; à peu près la même époque que le livre de Goldmann sont parus deux volumes sur l’auteur des Pensées par Henri Lefebvre ; mais, comme nous verrons plus loin, celui-ci ne se réclamait nullement de l’héritage pascalien. Peut-on alors parler d’une influence de Pascal sur Goldmann ? Comme celui-ci l’explique dans un passage capital de Sciences Humaines et la Philosophie, l’influence n’explique rien : elle demande à être expliquée : « Tout écrivain ou penseur trouve autour de lui un grand nombre d’œuvres littéraires, morales, religieuses, philosophiques, etc, qui constituent autant d’influences possibles, parmi lesquelles il devra nécéssairement choisir. Le problème qui se pose à l’historien ne se limite nullement à savoir si Kant a subi l’influence de Hume, pascal, celle de Montaigne, Voltaire, celle de Locke, etc ; il faut expliquer pourquoi ils ont subi précisement cette influence et pas une autre, et pourquoi à cette époque déterminée de l’histoire. ‘L’influence’ est donc en dernière analyse un choix, une activité du sujet individuel et social, et non une réception passive. Cette activité se manifeste aussi par les transformations/déformamtions/métamorphoses que le créateur fait subir à la pensée dans laquelle il se retrouve et qui l’influence : quand nous parlons par exemple de l’influence d’Aristote sur le thomisme, il ne s’agit pas exactement de ce qu’Aristote a réellement pensé et écrit, mais Aristote tel qu’il a été élu et compris par Saint Thomas ». [3] Cela s’applique tout à fait au rapport de Goldmann à Pascal : il s’agit d’un choix, d’une appropriation, d’une interprétation, dans un contexte historique déterminé. A un certain moment de son parcours intellectuel et politique, Lucien Goldmann a eu besoin de certaines problématiques qu’il a trouvés chez Pascal, et qu’il a integrés, en les réèinterprétant, à son système de pensée. Trois de ces problématiques me semblent décisives : ma vision tragique du monde, la critique de l’individualisme et, surtout, le pari. La vision tragique du monde Commet expliquer donc « l’influence » de Pascal sur l’auteur du Dieu Caché ? Comment se fait-il que Lucien Goldmann, penseur marxiste/humaniste, juif et athée, s’interesse à la vision tragique du monde des jansénistes et de Pascal ? Une de ses prémières références à Pascal se trouve dans la préface de 1948 à l’édition française de sa thèse sur Kant : « Très souvent, là où nous écrivions ‘Kant a été lé prémier …’ nous aurions pu écrire Blaise Pascal ». Cependant, Pascal et sa vision tragique du monde ne se trouvent pas encore au centre de ses 25/03/2019 LUCIEN GOLDMANN : le pari socialiste d'un marxiste pascalien https://www.mediapart.fr/tools/print/251662 3/13 préoccupations ; son travail futur est presenté dans les termes suivants : « A paraître du même auteur : Etudes sur la pensée dialectique et son histoire : Pascal ; Goethe, Marx ». [4] En d’autres termes : en 1948, la pensée dialectique était l’objet d’étude, et Pascal n’était envisagé qu’en tant que précurseur de celle-ci. Ce n’est que par la suite, vers 1949-50, que Pascal, Racine et la vision tragique du monde vont absorber entièrement son interêt. On ne peut pas considérer l’abandon du projet Pascal-Goethe-Marx au profit du travail Pascal-Racine comme découlant de la dynamique de la recherche elle-même. A notre avis, il ne peut être compris que par un déplacement du point de vue politique de Goldmann, en réponse aux conditions historiques des années 1949-53 : guerre froide internationale, guerres impérialistes en Asie (Indochine, Corée), grands procès staliniens, division du mouvement ouvrier entre un stalinisme jdanovien et une social-démocratie anti- communiste, faiblesse ou dispersion des courants révolutionnaires indépendants. Le lien entre cette conjoncutre et sont orientation vers l’œuvre de Pascal est d’ailleurs implicitement réconnu dans un passage révélateur du Dieu Caché : « Une fois de plus les forces sociales qui ont permis au XIXème siècle de surmonter la tragédie dans la pensée dialectique et révolutionnaire, sont arrivées, par une évolution que nous ne pouvons pas analyser ici, à subordonner l’humain, les valeurs, à l’efficacité, une fois de plus les penseurs les plus honnêtes sont amenés à constater la rupture qui effrayait déjà Pascl entre la force et la justice, entre l’espoir et la condition humaine. C’est d’ailleurs cette situation qui a suscité, non seulement la conscience de l’ambigüité du monde et du caractère inauthentique de la vie quotidienne, mais aussi l‘interêt renouvelé pour les penseurs et les écrivains tragiques du passé ». Une note en bas de page précise : « ces lignes ont été écrites en 1952 ». [5] Evidemment, c’est du stalinisme qu’il s’agit, ce phenomène qui exerçait encore, au début des années 1950, une considérable influence sur l’intelligentsia française - il suffit de penser aux articles de Sartre dans Les Temps Modernes - et sur lequel « Gica » écrivait en 1957, peu après le 20ème ème Congrès du PCUS : « Les intellectuels socialistes ont, dans le monde enteir, subi pendnt de longues années le stalinisme comme une fatalité tragique et inéluctable ». [6] Certes, la vision du monde dont se réclame Goldmann est la dialectique marxiste, tel que Lukacs l’avait formulée dans Histoire et Conscience de Classe (HCC) uploads/Philosophie/ lucien-goldmann-le-pari-socialiste-d-x27-un-marxiste-pascalien-michael-loewy.pdf

  • 14
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager