LA MAGIE DANS L’ÂNE D’OR, OU LES MÉTAMORPHOSES D’APULÉE INTRODUCTION L’ambition
LA MAGIE DANS L’ÂNE D’OR, OU LES MÉTAMORPHOSES D’APULÉE INTRODUCTION L’ambition du présent travail n’est aucunement d’établir une liste exhaustive des occurrences en lien avec la magie, ni même d’épuiser le sujet sur la question, mais de suggérer une étude contrastive entre ses pratiques exposées dans l’Âne d’or, la conception-même qu’Apulée s’en fait et le contexte dans lequel ils s’inscrivent. Nous essaierons de montrer, sans nous laisser piéger par les procès qui lui ont été intentés, comme il n’est pas évident qu’Apulée ait adhéré à l’exercice de la magie, ou du moins, pas sous toutes ses formes. Il faut bien avoir à l’esprit que la magie était omniprésente dans l’empire romain1 : dans les marchés (astrologues, ingrédients magiques2,…), sous formes d’amulettes ou de statues protectrices,… et tout était perçu comme normal. On consultait souvent des astrologues, pour connaître, par exemple, le moment le plus propice pour un événement, que ce soit un mariage ou une bataille. En cela, la présence d’un Chaldéen se trouve tout à fait justifiée. On leur attribue l’invention de l’astrologie et, de ce fait, le terme même en est venu à désigner tout astrologue. II.12. […] Il y a, par exemple, chez nous, maintenant, à Corinthe, un Chaldéen de passage, qui bouleverse toute la ville par ses réponses étonnantes et révèle à tout venant, moyennant quelques sous, les secrets des destins […] Leurs prophéties pouvaient s’appuyer sur d’autres supports comme la lecture dans les entrailles d’animaux, l’analyse du vol des oiseaux, l’interprétation des rêves,… 1 Elle l’était plus encore en Égypte. 2 Nous verrons plus tard l’exemple des « lames écrites ». 1 APULÉE ÉLÉMENTS BIOGRAPHIQUES Ce que nous savons de la vie d’Apulée est majoritairement issu de ses propres œuvres, principalement des Florides, une anthologie réunissant quelques-uns de ses nombreux discours, et de son Apologie, plaidoyer le disculpant des accusations de magie prononcées à son encontre par sa belle-famille. On apprend, dans son Apologie, qu’il aurait dû naître aux alentours de 123. Il s’adresse, en effet, au proconsul Claudius Maximus, ayant exercé ses fonctions en 158/159. Les Florides abondent dans ce sens puisqu’il y indique, dans un fragment3, qu’il a fait ses études en même temps que Strabo Aemilianus, proconsul en 156. Or, l’âge requis pour être consul suffectus (ou subrogé) est de 33 ans minimum. Son Apologie nous indique qu’il est issu d’une colonie autre que Carthage et Sabrata, sans plus de précision. La tradition tend à désigner Madaure4 comme son lieu de naissance, endroit-même où il aurait étudié la littérature et la rhétorique. De plus, dans les Métamorphoses5, un songe le présente comme un « homme de Madaure, mais quelqu’un de très pauvre » ou, plus précisément, « adisse mitti sibi Madaurensem sed admodum pauperem ». Malgré quatre épigraphes présentes à Madaure, mentionnant la gens Apuleia, il est impossible de savoir si la famille d’Apulée est arrivée en colon ou si elle en est originaire. Il a étudié à Carthage, puis profita de son héritage pour séjourner et entamer des études à Athènes, où il s’intéressa au platonisme et au pythagorisme. Il est allé à Samos, passa un peu de temps à Rome et se rendit à Hieropolis, en Phrygie. Il rentre ensuite à Carthage. Rhéteur actif, philosophe, il aurait exercé la fonction de sacerdoce sur la province et, par là, aurait été membre du sénat carthaginois. Nous restons sans informations sur ses occupations ultérieures. Il serait mort dans les années 170. 3 Flor., XVI, 36. […] cum primis commemoravit inter nos iura amicitiae a commilitio studiorum eisdem magistris honeste inchoata […] 4 Actuellement M'daourouch, ville d’Algérie. 5 Mét., XI, 27 2 SON ŒUVRE La variété de sa production est la meilleure démonstration de ses compétences intellectuelles. Elle peut être divisée en trois branches. D’une part, se trouvent les œuvres dont on dispose, réparties en textes rhétoriques (l’Âne d’or, ou les Métamorphoses ; l’Apologie ; les Florides) et philosophiques (De Deo Socratis ; De Platone et eius Dogmate ; De Mundo), d’autre part, ses travaux perdus (Ludicra ; De Proverbiis ; Hermagoras ; Phaedo ; Epitoma Historiarum ; De Re Publica, probablement influencé par Platon et Cicéron) ; Libri Medicales ; De Arboribus ; Erotica ; Arithmetica ; et d’autres œuvres d’astronomie ou concernant la nature) ainsi que les textes lui ayant été attribués par erreur (Asclepius ; Herbarius ; Physiognomia). SON RAPPORT À LA MAGIE Influencé par les philosophes alexandrins6, Apulée ne nie pas l’existence de la magie et en distingue, lui aussi, deux types. L’une de ses formes, qu’il qualifie de vulgaire, permet à l’usager d’obtenir tout ce qu’il souhaite – souvent rien de bien exemplaire – par le biais d’incantations précises. La seconde, bénéfique, se base essentiellement sur des connaissances strictes tant des sciences que des cultes et rituels. Cette dernière plaît aux dieux dans la mesure où elle témoigne de la manière la plus convenable et appropriée de s’adresser à eux, puisque étant le fruit d’une connaissance exacte de leur culte. Cette double considération – nous allons le voir – se retrouve dans les Métamorphoses. LE PROCÈS Malade lors d’un voyage à Alexandrie, il s’arrêta à Oea, auprès d’un ami, Sicinius Pontianus, dont il s’est épris de la mère, Aemiliana Pudentilla. L’affaire n’enchanta guère la famille, qui vit s’envoler l’héritage de cette riche veuve. Déjà accusé de magie, c’est suite à un procès intenté contre Pudentilla, qu’il défend, que le grief prendra effet : on l’accuse d’avoir usé de sortilèges pour conquérir le cœur de celle-ci, et obtenir son argent. Le procès n’aura pas lieu dans la ville d’Oea, mais à Sabrata, face 6 Ils distinguaient goétie (magie malfaisante, recours aux mauvais démons) et théurgie (magie bienfaisante, recours aux bons génies). A la Renaissance, on parlera plus volontiers de « magie noire » et « magie blanche ». 3 au proconsul Claudius Maximus. Deux circonstances favorables à Apulée qui, d’une part, n’est pas devant le peuple qui l’accuse, d’autre part, parce qu’il partage avec Claudius Maximus une formation philosophique similaire. Apulée répondra de ses accusations dans son Apologia siue de magia. On l’inculpe de détenir des espèces rares de poissons intervenant dans la composition de recettes en matière de magie amoureuse. Il s’agit, en vérité, d’animaux qu’il étudie en vue de la rédaction d’un ouvrage concernant la nature. On lui reproche également d’être en possession d’objets magiques, notamment un « objet entouré d’un mouchoir »7. Ce ne sont là, se défend Apulée, que des ustensiles empruntés à différents cultes qu’il a pu côtoyer durant ses voyages. L’objet qui nourrira le plus la polémique est une statuette, qu’il vénère. Il est accusé, par ailleurs, d’avoir prononcé des incantations, muni d’un petit autel, d’une lampe et de quelques complices, à l’égard d’un jeune garçon ainsi ensorcelé. Il serait tombé au sol et, se relevant sans reprendre conscience, leur aurait révélé l’avenir. Il se justifie en précisant qu’il s’agissait là d’un enfant épileptique sur lequel il n’entreprenait rien d’autre qu’une expérience potentiellement profitable à la science. La plupart du temps, Apulée s’innocente par des explications philosophiques, religieuses, voire scientifiques. Mais il faut noter combien la frontière peut être mince, plus encore à l’époque où beaucoup reste à expliquer, entre philosophie, religion et magie. Enfin, Saint-Augustin évoque le fait que si Apulée avait été le grand magicien que l’on prétend, il n’aurait point vécu dans la condition qui fut la sienne, étant donné l’ambition qui le démangeait. On ignore quelle fut la sentence mais il y a tout lieu de croire qu’Apulée ait été relaxé, en témoigne son activité littéraire qui n’a pas connu d’interruption notoire. De plus, les Métamorphoses, œuvre ultérieure à l’accusation, traitent encore – cette étude en est la preuve – largement de magie. 7 Apol., LIII, 2, « quaedam sudariolo inuoluta » 4 L’ÂNE D’OR, OU LES MÉTAMORPHOSES LE TITRE […] La qualification d’aurea ou dorée donnée à la légende fabuleuse des saints allégoriques en indique assez le caractère. L’or aux yeux des initiés est de la lumière condensée, ils appellent nombre d’or les nombres sacrés de la kabbale, vers dorés de Pythagore, les enseignements moraux de ce philosophe, et c’est pour la même raison qu’un livre mystérieux d’Apulée où un âne joue un grand rôle a été appelé l’âne d’or. […]8 Ce titre condense le projet d’Apulée, à savoir, confronter la magie (métamorphose en âne) à la grandeur du culte religieux (or). L’âne est, ainsi, qualifié d’or parce que son parcours s’achève par un rapprochement de la déesse Isis. Si les Métamorphoses apparaît comme le titre original (cf. source grecque), il n’empêche que le texte, à la Renaissance, a été traduit avec l’intitulé l’Âne d’Or. C’est également par ce dernier que Saint-Augustin fait allusion à l’ouvrage d’Apulée. Par contre, dans le résumé qu’il donne du conte de Psyché, Fulgentius parle des Métamorphoses.9 SOURCES LE RÉCIT La question des sources de l’ouvrage fait, encore aujourd’hui, l’objet de débats sans véritables conclusions. Le texte d’inspiration primaire, aujourd’hui perdu, serait grec : Metamorphoseis, attribué à un certain Lucius de Patras, mais il semblerait qu’il n’en soit pas l’auteur. Les philologues, du uploads/Philosophie/ magie-apulee.pdf
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- Publié le Oct 24, 2022
- Catégorie Philosophy / Philo...
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