57 B.  Théories, approches et modèles de la traduction au XXe siècle À côté de

57 B.  Théories, approches et modèles de la traduction au XXe siècle À côté des approches qui désignent une orientation générale des études à partir d´un point de vue disciplinaire particulier (linguistique, sémiotique, pragmatique, communicationnel... ), on trouve un certain nombre de théories spécifiques à la traduction. Les théories de la traduction sont des constructions conceptuelles qui servent à décrire, à expliquer ou à modéliser le texte traduit ou le processus de traduction. Même si elles peuvent s´inspirer des cadres conceptuels existants, elles présentent la particularité d´être exclusives, c´est-à-dire de proposer une réflexion centrée uniquement sur la traduction. Tandis que les approches de la traduction tendent à rattacher la traduction à des disciplines instituées, ces théories veulent renforcer l´autonomie et l´indépendance de la traductologie. La nature même de la traduction fait de la traductologie le champ des études interdisciplinaires. (Guidère, 2010 : 41-77) Introduction aux théories contemporaines À partir de l´après-guerre (1945) naît la traductologie moderne qui recueille les informations et les formulations théoriques sur la traduction. Considérée comme art, travail, discipline relevant des sciences humaines ou objet d´une observation scientifique, la traduction est étudiée, dans la deuxième moitié du XXe siècle, de manière plus systématique. Cela est dû aussi au fait que le progrès de la mondialisation met les langues en contact beaucoup plus intensif qu´avant, ce qui rend nécessaire une didactique de la traduction et donc aussi la réflexion théorique systématique et collective. Au cours des dernières décennies, la traductologie devient objet privilégié de la recherche académique et les instituts privés et publiques, facultés et centres universitaires pour l´enseignement de la traduction sont fondés. Notamment à partir des années quatre-vingts, les études sur la traduction deviennent assez populaires et de nombreux essais qui jusque-là appartenaient à la philosophie, à l´histoire ou à la littérature, sont affiliés au champ de la traductologie (voir p. ex. les essais de W. Benjamin). La deuxième moitié du XXe siècle a vu s´alterner (et dans une certaine mesure s´opposer) deux écoles et deux branches théoriques principales : la traductologie linguistique et la traductologie littéraire. La traductologie linguistique fut la première à s´être libérée du caractère peu systématique des études précédentes. Dès les années cinquante, la traductologie linguistique donna naissance à toute une série de réflexions théoriques sur la nature du Les théories de la traduction 58 LES THÉORIES DE LA TRADUCTION processus de la traduction et à une série d´études pratiques sur les rapports entre les langues existantes (voir la « stylistique comparée » de Vinay et Darbelnet). Ces réflexions et ces études ont nourri un espoir optimiste en la possibilité de forger des modèles linguistiques qui fixent toutes les modalités et mêmes les « règles » de la traduction. À l´époque des premiers expériments réussis en matière de la traduction automatique, il semblait possible d´envisager la traduction comme un simple transcodage linguistique. À partir des années cinquante jusqu´au début des années soixante, l´horizon de la traduction fut occupée presque entièrement par des chercheurs qui voulaient fonder l´étude «scientifique» du processus de la traduction sur l´analyse du transcodage linguistique, ce qui fut notamment le cas des théoriciens allemands qui fondaient la Übersetzungswissenschaft (Otto Kade, Albrecht Neubert et Gert Jäger de l´École de Leipzig, et ensuite Werner Koller et Wolfram Wills). Jusqu´à la fin des années soixante, la prérogative de la Übersetzungswissenschaft fut l´exclusion des faits extralinguistiques de la description du processus de la traduction. Mais finalement, ces chercheurs ont dû admettre que l´on ne pouvait pas ignorer le contexte extralinguistique et l´exclure du champ de la traductologie. Et donc c´était précisément en Allemagne, et dans le cadre des études linguistiques, qu´ont vu le jour, à la fin des années soixante, les essais sur la taxonomie/typologie textuelle et sur la traductologie fonctionnelle qui constituent encore aujourd´hui une base théorique solide pour les praticiens et chercheurs dans le domaine de la traduction. À l´époque de la traductologie linguistique dominante, dans les années cinquante et soixante, les chercheurs littéraires, lorsqu´ils s´intéressaient à la traduction, se dédiaient d´une part aux observations empiriques des et formelles différences sémantiques entre les textes originaux et traduits, et d´autre part, ils se consacraient aux indications didactiques de nature stylistique et éthique. C´était une vision subjective de l´acte de la traduction qui réagissait à la prétendue « scientificité » de la Übersetzungswissenschaft. Au cours des années soixante-dix, précisément dans le cadre des études littéraires comparées, naît une nouvelle école, dite ensuite des Translations Studies, qui se met dès le début en opposition critique vis-à-vis de la traductologie linguistique et aussi vis-à-vis de la traductologie littéraire précédente. Les chercheurs de cette école (qui se développait au début en Grande Bretagne, au Pays Bas et en Israël) se proposaient d´observer le mode en lequel le contexte social, idéologique, politique et culturel conditionne ce passage d´un texte à l´autre et d´une langue à l´autre, qui est communément défini comme « traduction ». On pourrait (selon Massimiliano Morini) comparer la perspective des Translations 59 Studies avec celle du déconstructionnisme philosophique de Jacques Derrida : dans les deux cas, nous avons que faire avec les disciplines qui ne se préoccupent pas tellement de définir les méthodes et les principes, mais plutôt de remonter aux origines des méthodes et des principes qui avaient été définis par d´autres. L´influence théorique et pratique des Translations Studies (en tant qu´école traductologique particulière) est aujourd´hui telle que ce terme coïncide selon certains chercheurs avec la traductologie tout court, notamment dans le monde anglophone. (Morini, 2007 : 18-95) B.I.  Théories linguistiques - les années 1950 et 1960 La « stylistique comparée » : Jean Darbelnet, Jean-Paul Vinay Jean Darbelnet (1904-1990) Professeur émérite de l´Université Laval, Docteur honoris causa de l´Université d´Ottawa, Jean Darbelnet a consacré sa vie à l´étude comparée du français et de l´anglais. Auteur de plusieurs ouvrages et de très nombreux articles dans ce domaine, co-auteur de la célèbre Stylistique comparée du français et de l´anglais, il a jeté les bases d´un champ de recherches et de réflexions théoriques et pratiques utiles à tous les traducteurs. Jean-Paul Vinay (1910-1999) Phonéticien, linguiste, polyglotte, pédagogue, dessinateur, musicien et aussi traducteur, Jean-Paul Vinay est très connu dans le monde universitaire de la traduction. Il a dirigé pendant de nombreuses années la section de linguistique, puis le département de linguistique de l´Université de Montréal où il a mis en place, outre un programme de formation en linguistique, des cours de traduction et d´interprétation. Ses préoccupations théoriques et pratiques en linguistique et en traduction l´ont tout naturellement amené à vouloir mieux structurer l´enseignement, à promouvoir la formation permanente et à participer à l´organisation de la profession de traducteur au Canada. En 1958, paraît chez Didier à Paris et chez Beauchemin à Montréal, la Stylistique comparée du français et de l´anglais. Méthode de traduction de Jean-Paul Vinay et de Jean Darbelnet. Ce livre, bien connu dans tous les pays (l´ouvrage est traduit en anglais en 1995), est encore utilisé de nos jours. Il a connu plusieurs rééditions et révisions et a servi souvent de manuel de base à des générations d´étudiants en linguistique et en traduction. Inspiré des travaux de Charles Bally et d´Albert Malblanc, ce manuel a mis en valeur la nécessité de passer de « l´art » à la « systématisation » dans l´enseignement de la traduction. Ce manuel a beaucoup Les théories de la traduction 60 LES THÉORIES DE LA TRADUCTION contribué à la progression de la réflexion dans ce domaine que l´on appelle de nos jours la traductologie (Übersetzungswissenschaft). En octobre 1955, parait à Montréal le premier numéro du bulletin de l´Association canadienne des traducteurs diplômés, the Canadian Association of Certified Translators, ayant comme titre Journal des Traducteurs/Translators´ Journal. Dès le numéro 5 du premier volume, en octobre 1956, Jean-Paul Vinay, pour promouvoir les études de traduction et donner aussi au bulletin la stabilité voulue, en assure la direction pendant plus de dix ans. La revue a pris le nom de META en 1966. En septembre 1966, Jean-Paul Vinay a abandonné la direction de la revue ; il a cependant, jusqu´à la veille de sa mort, gardé le contact et a joué le rôle de membre correspondant. Dans les années cinquante, dans la suite de la stylistique moderne fondée par Charles Bally au début du XXe siècle, est née la « stylistique comparée », ou l´étude comparée de deux ou de plusieurs systèmes linguistiques aux objectifs de traduction. Les deux auteurs canadiens de la Stylistique comparée du français et de l´anglais (1958), Jean-Paul Vinay (1910-1999) et Jean Darbelnet (1904-1990), se déclaraient persuadés qu´une confrontation des deux stylistiques (la française et l´anglaise) permettra de distinguer les lignes générales et dans certains cas même les lignes précises dont l´application puisse porter à l´automatisation partielle de la traduction. Les deux auteurs notaient que le passage d´une langue à l´autre se fait soit par traduction directe, soit par traduction oblique. Ils définissaient trois procédés techniques de traduction directe (l´emprunt, le calque, la traduction littérale) et quatre procédés relevant de la traduction oblique (la transposition, la modulation, l´équivalence, l´adaptation). (Morini, 2007 : 63-67) Unité de traduction uploads/Philosophie/ approches-et-modeles-de-la-traduction-xxeme.pdf

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